Menton (Alpes Maritimes), Festival de
Musique de Menton, parvis de la basilique Saint-Michel et Musée Cocteau, mardi
5 et mercredi 6 août 2014
Menton, le parvis de la basilique Saint-Michel. Photo : (c) Bruno Serrou
« Voilà
cinquante-quatre ans que j’ai le plaisir de me produire à Menton, et je ne m’en
lasse pas, s’enthousiasme Menahem Pressler. Jouer sur ce parvis, dos à la mer devant
la façade à la réverbération un peu sèche de la basilique Saint-Michel, est un vrai
bonheur. J’ai joué ici pour la première fois en 1960, avec mon Beaux-Arts Trio avec
lequel je suis venu jusqu’en 1998. Mais c’est la première année que j’y donne
un récital, et je compte bien continuer. » Légende vivante de 90 printemps,
silhouette menue disparaissant derrière le grand-queue Steinway sur lequel il interprète
ce mardi soir Debussy, le pianiste d’origine allemande formé en Israël et
vivant aux Etats-Unis où il enseigne depuis 1955 à l’Université d’Indiana, a
commencé voilà peu une troisième carrière, celle de concertiste soliste. « J’ai
eu la chance de vivre trois vies de musicien, se félicite Pressler, l’air
enjoué. Et je suis heureux de l’initiative de Paul-Emmanuel Thomas, directeur
du Festival de Menton, de m’avoir proposé de jouer à la fois en soliste et avec
un jeune quatuor à cordes allemand, le Quatuor Schumann fondé en 2007, avec
lequel j’ai eu plaisir à répéter longuement. Car mon plus grand bonheur est en
fait de transmettre ma longue et fructueuse expérience de chambriste à des
musiciens qui pourraient être mes arrière-petits-enfants. »
Menahem Pressler durant la séance de signature d'après-concert. Photo : (c) Bruno Serrou
Vainqueur
du Concours de Quatuors de Bordeaux en 2013, le Quatuor Schumann porte ce nom
célèbre non pas en hommage au compositeur rhénan mais parce que trois de ses
quatre membres sont des frères dont le patronyme est Schumann, la fratrie étant
constituée d’Erik, Ken et Mark, respectivement premier et second violons et
violoncelle. Seule l’altiste, Liisa Randalu, d’origine estonienne formée à
Karlsruhe, Stuttgart, Francfort et Berlin, est une « pièce
rapportée ». « Nous ne connaissions pas ce lieu qui s’avère enchanteur,
s’enflamme Erik Schumann. Jouer sous les étoiles comme dans une salle de
concert est un véritable enchantement. D’autant plus lorsqu’il s’agit de se
produire avec un maître de la dimension de Menahem Pressler, avec qui nous
rêvions de travailler. » Plus de neuf cents mélomanes de toute provenance
se bousculent sur le parvis de la basilique Saint-Michel à Menton chaque première quinzaine d’août depuis 1950 pour écouter les
plus grands interprètes qui se produisent face à la mer sur un podium planté aux pieds de la statue de l'archange terrassant le dragon. C’est donc avec l’une de ses
figures emblématiques, Menahem Pressler, associée à une toute jeune formation
particulièrement prometteuse, le Quatuor Schumann, que le festival de Menton a commémoré
le soixante-cinquième anniversaire de son premier concert, donné au même
endroit le 5 août 1950 par le Quatuor Vegh. Pour l’occasion, les organisateurs
ont remis à chaque spectateur - à qui il a été également donné un facsimile du
programme de salle de ce concert inaugural - une bougie qui lui a été demandé d’allumer
de façon symbolique au début du concert.
Menahem Pressler. Photo : (c) Festival de Musique de Menton
La
première partie du programme était partagée entre les deux protagonistes de la
soirée. C’est au Maître qu’est revenu l’honneur d’ouvrir la soirée. Renonçant
au Rondo pour piano en la mineur KV. 511
de Mozart annoncé en liminaire, Pressler, vêtu d’une veste de smoking blanc, s’est
immédiatement lancé dans les Estampes
de Claude Debussy, qu’il a jouées partition sur le pupitre du piano avec retenue mais aussi une clarté de chaque instant, même si l’on a pu lui trouver un détachement trop prononcé en regard de ce qu’il avait proposé en
mars 2011 Cité de la Musique à Paris où il s’était avéré infiniment plus
poétique. Ce qu’il a en revanche davantage mis en exergue dans la quatrième
pièce de Debussy qu’il a ajoutée en guise de substitut au rondo mozartien, la troisième partie de la Suite bergamasque, le fameux Clair de Lune, chef-d’œuvre de
douceur et de tendresse qu’il a abordé avec une exquise délicatesse.
Menahem Pressler et le Quatuor Schumann. Photo : (c) Bruno Serrou
Le maître a ensuite cédé sa place au
Quatuor Schumann, qui a interprété avec précision et une retenue un peu
excessive au risque de l’ennui, le Quatuor à cordes n° 1 en mi
bémol majeur op. 12 de Felix Mendelssohn-Bartholdy. Le jeune quatuor d'archets a été rejoint en seconde
partie par Menahem Pressler pour le Quintette
pour piano, deux violons, alto et violoncelle en fa mineur op. 34 de Johannes Brahms dans lequel les musiciens n’ont
pas donné tout ce que l’on pouvait légitimement attendre d’eux. Justement confié à un quatuor à
cordes constitué dialoguant avec un pianiste de renom visant à l’homogénéité, ce chef-d’œuvre de Brahms est resté en retrait de l’expressivité à fleur de
peau qui en émane pourtant, les longues phrases brahmsiennes d’une
sublime beauté s’essoufflant étonnamment, le son du premier violon restant
près du corps de son titulaire et ce qui en émanait manquant de
luminosité et de sensualité. Seul l’alto s’est détaché de l’ensemble, obtenant
les couleurs charnelles et l’élan caractéristiques de Brahms,
alors que le violoncelle se faisait trop effacé. Pressler s’est quant à lui imposé
à ses partenaires, qui ne demandaient de toute évidence qu’à satisfaire à son
attente. Malgré ces carences, le public a demandé un bis, que les cinq
musiciens se sont empressés de jouer, optant pour le scherzo du second Quintette pour piano et cordes en la majeur op. 81 d’un disciple
de Brahms, Antonin Dvořák qui s’est avéré un peu blafard.
Menton, le parvis de la basilique Saint-Michel. Photo : (c) Bruno Serrou
Corollaire du plein air dans une ville
de la Côte d’Azur aussi fréquentée l’été que l’est Menton, les bruits parasites
intempestifs qui l’emportent régulièrement sur la musique. Mais c’est aussi la
part inévitable inhérente à ce type de manifestation. Néanmoins, si les relents
de musiques actuelles, les meuglements de motos et autres cris de joie inopportuns
perturbent l’écoute, c’est bien peu en regard du « je-m’en-foutisme »
du public des Chorégies d’Orange (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/08/le-premier-otello-de-verdi-de-roberto.html),
celui de Menton s’avérant autrement plus concentré, attentif et plein d’égards
pour les artistes. Le maire, présent mardi, pourrait peut-être décider d’y
changer les choses, en faisant par exemple bloquer la circulation en bord de
mer le temps des concerts…
Photo : (c) Bruno Serrou
Outre les grands concerts donnés sur
le parvis de la basilique, d’autres sont organisés dans un autre lieu captivant,
le musée Cocteau conçu par l’architecte italien Rudy Ricciotti où sont exposés les
dessins du poète. Ils permettent à de jeunes musiciens de se faire entendre, comme
cela a été le cas mercredi en fin d’après-midi pour la violoniste niçoise
Solenne Païdassi, vainqueur du Concours Long-Thibaud 2010, accompagnée de
l’excellent pianiste français d’origine polonaise Frédéric Vaysse-Knitter,
élève de Kristian Zimerman et Lauréat Juventus.
Frédéric Vaysse-Knitter (piano) et Solenne Païdassi (violon) jouant devant le portrait de Jean Cocteau. Photo : (c) Bruno Serrou
Leur programme était conséquent
et téméraire, s’ouvrant avec rien moins que la fameuse Sonate en sol majeur pour violon et piano de Ravel, qui en donna la
première audition en 1927 avec Georges Enesco, suivie du plus rare Divertimento tiré du ballet Le baiser de la fée de Stravinski dans l’arrangement
pour violon et piano du compositeur lui-même, et de la plus courue Sonate n° 2 pour violon et piano en ré
majeur op. 94 de Serge Prokofiev initialement écrite pour flûte et piano. Les
sonorités profondes et riches du pianiste, jouant tout en délicatesse et en
subtilité sur un Bösendorfer aux sonorités charnues, a formé un délectable
complément au son plein et coloré de la violoniste, à qui il a donné la
primauté en s’effaçant quand il le fallait pour mieux dialoguer avec elle dans
les moments où les deux instruments chantent de concert, et instillant une
assise rythmique parfaitement maîtrisée. Impressions confortées dans de
souriants extraits des Danses roumaines de Béla Bartók offertes en bis à un
public ravi.
Bruno Serrou
Note : Une partie de ce compte-rendu a été publiée dans le
quotidien La Croix daté vendredi 8 août 2014
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