vendredi 8 août 2014

Légende vivante du piano, Menahem Pressler, fidèle du Festival de Menton, n’entend pas se priver de jouer sur le plus beau parvis de Méditerranée

Menton (Alpes Maritimes), Festival de Musique de Menton, parvis de la basilique Saint-Michel et Musée Cocteau, mardi 5 et mercredi 6 août 2014

Menton, le parvis de la basilique Saint-Michel. Photo : (c) Bruno Serrou

« Voilà cinquante-quatre ans que j’ai le plaisir de me produire à Menton, et je ne m’en lasse pas, s’enthousiasme Menahem Pressler. Jouer sur ce parvis, dos à la mer devant la façade à la réverbération un peu sèche de la basilique Saint-Michel, est un vrai bonheur. J’ai joué ici pour la première fois en 1960, avec mon Beaux-Arts Trio avec lequel je suis venu jusqu’en 1998. Mais c’est la première année que j’y donne un récital, et je compte bien continuer. » Légende vivante de 90 printemps, silhouette menue disparaissant derrière le grand-queue Steinway sur lequel il interprète ce mardi soir Debussy, le pianiste d’origine allemande formé en Israël et vivant aux Etats-Unis où il enseigne depuis 1955 à l’Université d’Indiana, a commencé voilà peu une troisième carrière, celle de concertiste soliste. « J’ai eu la chance de vivre trois vies de musicien, se félicite Pressler, l’air enjoué. Et je suis heureux de l’initiative de Paul-Emmanuel Thomas, directeur du Festival de Menton, de m’avoir proposé de jouer à la fois en soliste et avec un jeune quatuor à cordes allemand, le Quatuor Schumann fondé en 2007, avec lequel j’ai eu plaisir à répéter longuement. Car mon plus grand bonheur est en fait de transmettre ma longue et fructueuse expérience de chambriste à des musiciens qui pourraient être mes arrière-petits-enfants. »

Menahem Pressler durant la séance de signature d'après-concert. Photo : (c) Bruno Serrou

Vainqueur du Concours de Quatuors de Bordeaux en 2013, le Quatuor Schumann porte ce nom célèbre non pas en hommage au compositeur rhénan mais parce que trois de ses quatre membres sont des frères dont le patronyme est Schumann, la fratrie étant constituée d’Erik, Ken et Mark, respectivement premier et second violons et violoncelle. Seule l’altiste, Liisa Randalu, d’origine estonienne formée à Karlsruhe, Stuttgart, Francfort et Berlin, est une « pièce rapportée ». « Nous ne connaissions pas ce lieu qui s’avère enchanteur, s’enflamme Erik Schumann. Jouer sous les étoiles comme dans une salle de concert est un véritable enchantement. D’autant plus lorsqu’il s’agit de se produire avec un maître de la dimension de Menahem Pressler, avec qui nous rêvions de travailler. » Plus de neuf cents mélomanes de toute provenance se bousculent sur le parvis de la basilique Saint-Michel à Menton chaque première quinzaine d’août depuis 1950 pour écouter les plus grands interprètes qui se produisent face à la mer sur un podium planté aux pieds de la statue de l'archange terrassant le dragon. C’est donc avec l’une de ses figures emblématiques, Menahem Pressler, associée à une toute jeune formation particulièrement prometteuse, le Quatuor Schumann, que le festival de Menton a commémoré le soixante-cinquième anniversaire de son premier concert, donné au même endroit le 5 août 1950 par le Quatuor Vegh. Pour l’occasion, les organisateurs ont remis à chaque spectateur - à qui il a été également donné un facsimile du programme de salle de ce concert inaugural - une bougie qui lui a été demandé d’allumer de façon symbolique au début du concert.

Menahem Pressler. Photo : (c) Festival de Musique de Menton

La première partie du programme était partagée entre les deux protagonistes de la soirée. C’est au Maître qu’est revenu l’honneur d’ouvrir la soirée. Renonçant au Rondo pour piano en la mineur KV. 511 de Mozart annoncé en liminaire, Pressler, vêtu d’une veste de smoking blanc, s’est immédiatement lancé dans les Estampes de Claude Debussy, qu’il a jouées partition sur le pupitre du piano avec retenue mais aussi une clarté de chaque instant, même si l’on a pu lui trouver un détachement trop prononcé en regard de ce qu’il avait proposé en mars 2011 Cité de la Musique à Paris où il s’était avéré infiniment plus poétique. Ce qu’il a en revanche davantage mis en exergue dans la quatrième pièce de Debussy qu’il a ajoutée en guise de substitut au rondo mozartien, la troisième partie de la Suite bergamasque, le fameux Clair de Lune, chef-d’œuvre de douceur et de tendresse qu’il a abordé avec une exquise délicatesse.

Menahem Pressler et le Quatuor Schumann. Photo : (c) Bruno Serrou

Le maître a ensuite cédé sa place au Quatuor Schumann, qui a interprété avec précision et une retenue un peu excessive au risque de l’ennui, le Quatuor à cordes n° 1 en mi bémol majeur op. 12 de Felix Mendelssohn-Bartholdy. Le jeune quatuor d'archets a été rejoint en seconde partie par Menahem Pressler pour le Quintette pour piano, deux violons, alto et violoncelle en fa mineur op. 34 de Johannes Brahms dans lequel les musiciens n’ont pas donné tout ce que l’on pouvait légitimement attendre d’eux. Justement confié à un quatuor à cordes constitué dialoguant avec un pianiste de renom visant à lhomogénéité, ce chef-d’œuvre de Brahms est resté en retrait de l’expressivité à fleur de peau qui en émane pourtant, les longues phrases brahmsiennes d’une sublime beauté s’essoufflant étonnamment, le son du premier violon restant près du corps de son titulaire et ce qui en émanait manquant de luminosité et de sensualité. Seul l’alto s’est détaché de l’ensemble, obtenant les couleurs charnelles et l’élan caractéristiques de Brahms, alors que le violoncelle se faisait trop effacé. Pressler s’est quant à lui imposé à ses partenaires, qui ne demandaient de toute évidence qu’à satisfaire à son attente. Malgré ces carences, le public a demandé un bis, que les cinq musiciens se sont empressés de jouer, optant pour le scherzo du second Quintette pour piano et cordes en la majeur op. 81 d’un disciple de Brahms, Antonin Dvořák qui s’est avéré un peu blafard.

Menton, le parvis de la basilique Saint-Michel. Photo : (c) Bruno Serrou

Corollaire du plein air dans une ville de la Côte d’Azur aussi fréquentée l’été que l’est Menton, les bruits parasites intempestifs qui l’emportent régulièrement sur la musique. Mais c’est aussi la part inévitable inhérente à ce type de manifestation. Néanmoins, si les relents de musiques actuelles, les meuglements de motos et autres cris de joie inopportuns perturbent l’écoute, c’est bien peu en regard du « je-m’en-foutisme » du public des Chorégies d’Orange (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/08/le-premier-otello-de-verdi-de-roberto.html), celui de Menton s’avérant autrement plus concentré, attentif et plein d’égards pour les artistes. Le maire, présent mardi, pourrait peut-être décider d’y changer les choses, en faisant par exemple bloquer la circulation en bord de mer le temps des concerts…

Photo : (c) Bruno Serrou

Outre les grands concerts donnés sur le parvis de la basilique, d’autres sont organisés dans un autre lieu captivant, le musée Cocteau conçu par l’architecte italien Rudy Ricciotti où sont exposés les dessins du poète. Ils permettent à de jeunes musiciens de se faire entendre, comme cela a été le cas mercredi en fin d’après-midi pour la violoniste niçoise Solenne Païdassi, vainqueur du Concours Long-Thibaud 2010, accompagnée de l’excellent pianiste français d’origine polonaise Frédéric Vaysse-Knitter, élève de Kristian Zimerman et Lauréat Juventus. 

Frédéric Vaysse-Knitter (piano) et Solenne Païdassi (violon) jouant devant le portrait de Jean Cocteau. Photo : (c) Bruno Serrou

Leur programme était conséquent et téméraire, s’ouvrant avec rien moins que la fameuse Sonate en sol majeur pour violon et piano de Ravel, qui en donna la première audition en 1927 avec Georges Enesco, suivie du plus rare Divertimento tiré du ballet Le baiser de la fée de Stravinski dans l’arrangement pour violon et piano du compositeur lui-même, et de la plus courue Sonate n° 2 pour violon et piano en ré majeur op. 94 de Serge Prokofiev initialement écrite pour flûte et piano. Les sonorités profondes et riches du pianiste, jouant tout en délicatesse et en subtilité sur un Bösendorfer aux sonorités charnues, a formé un délectable complément au son plein et coloré de la violoniste, à qui il a donné la primauté en s’effaçant quand il le fallait pour mieux dialoguer avec elle dans les moments où les deux instruments chantent de concert, et instillant une assise rythmique parfaitement maîtrisée. Impressions confortées dans de souriants extraits des Danses roumaines de Béla Bartók offertes en bis à un public ravi.

Bruno Serrou

Note : Une partie de ce compte-rendu a été publiée dans le quotidien La Croix daté vendredi 8 août 2014

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