Annecy, Annecy Classic Festival, église
Sainte-Bernadette, mardi 19 août 2014
Annecy, le lac. Photo : (c) Bruno Serrou
L’Orchestre
Philharmonique de Saint-Pétersbourg ex-Leningrad est de la cour des
grands. Même si son renom international s’est un peu amoindri depuis la
disparition en 1988 de son directeur musical charismatique qui le porta au firmament, Evgeni
Mravinski, il reste d’une tenue et d’une homogénéité exceptionnelle, comme il l'a confirmé hier à Annecy. Malgré un ascendant moins marqué que son prédécesseur, celui qui en fut son chef assistant avant de le remplacer, Yuri Temirkanov, à qui Valeri Gergiev succéda en
1988 comme chef principal du Théâtre Mariinsky, est un musicien impressionnant et un directeur
d’orchestre de grand talent, comme l’atteste la qualité de la phalange
pétersbourgeoise dont il dirige la destinée depuis vingt-six ans.
Zoltan Kocsis. Photo : DR
Comme
de coutume depuis la première édition de l’Annecy Classic Festival en 2010, Yuri Temirkanov confie son orchestre à un chef invité pour les concerts d’ouverture
de la manifestation aoûtienne, avant de le retrouver à la fin du festival. Cette année, c’est le pianiste
chef d’orchestre compositeur hongrois Zoltan Kocsis (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/08/la-ve-edition-de-lannecy-classic.html),
qui a été choisi pour diriger l’Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg dans deux programmes. Comme il le fait de plus en plus depuis 1983, c’est sur l’estrade du
chef d’orchestre qu’il se produit exclusivement cette année à Annecy, dirigeant
par cœur, le geste large et saccadé de ses grands bras émergeant d’une
silhouette de bucheron, deux programmes comprenant des œuvres concertantes avec
notamment en soliste le pianiste russe Denis Matsuev, directeur artistique de
l’Annecy Classic Festival, qui, conformément à l’usage, se produit en concerto
le soir de l’ouverture de la manifestation.
Annecy. Denis Matsuev, Zoltan Kocsis et l'Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg. Photo : (c) Yannick Perrin
La
première partie du premier concert de l’édition 2014 a permis à Zoltan Kocsis
de chanter dans son jardin, avec des œuvres de son compatriote Franz Liszt,
l’initiateur du poème symphonique. Les trois partitions retenues, la page
symphonique et les deux pièces concertantes, tenaient d’ailleurs de ce concept
de musique descriptive. C’est avec le plus célèbre des treize poèmes
symphoniques de Liszt, Les Préludes
composés en 1854 d’après une ode d’Alphonse de Lamartine, que Kocsis a ouvert
le concert inaugural. Une œuvre foisonnante qui a longtemps fait les beaux
soirs des sociétés de concerts parisiennes, jusque dans les années 1970, mais
qui a depuis lors disparu des programmations. Pourtant, l’on a beau connaître
par cœur cette œuvre d’un quart d’heure, l’on se laisse toujours volontiers
porter par cette page impressionnante qui constitue bon gré mal gré une
extraordinaire leçon d’orchestre et un somptueux support pour l’apprentissage et
l’étude du travail sur les couleurs et les timbres instrumentaux, la découverte
de l’orchestration et le passage des matériaux mélodiques et harmoniques entre
les divers pupitres de l’orchestre. Zoltan Kocsis a donné de la plus célèbre
partition d’orchestre de son compatriote une interprétation frénétique et
colorée, emportant l’orchestre vers des sommets de virtuosité et d’allant,
suscitant l’enthousiasme des pupitres de l’orchestre, richement fourni, sans
jamais saturer l’espace, malgré une acoustique sèche et s'écrasant dans les murs de béton.
Denis Matsuev. Photo : (c) Annecy Classic Festival
Zoltan
Kocsis et le Philharmonique de Saint-Pétersbourg largement dégarni (l’effectif
des cordes passant de soixante à trente, les bois et cuivres étant par deux au
lieu de trois dans les Préludes)
étaient rejoints par Denis Matsuev pour les deux œuvres pour piano et orchestre
de Liszt inscrites au programme, commençant par le second concerto pour piano et orchestre,
celui en la majeur S. 125 créé en
1857 mais parachevé en 1861. Son caractère rhapsodique en un mouvement subdivisé
en six sections l’inscrit dans la forme d’un poème symphonique concertant, plus
encore que le premier concerto, qui, quoique de forme cyclique, est encore
construit en quatre mouvements. Moins véloce que le premier, qui met en valeur
le soliste, le second concerto est
davantage l’œuvre d’un musicien qui tient à se démontrer qu’il est désormais
non plus un virtuose du piano mais un compositeur à part entière. Liszt ainsi
moins l’accent sur les aptitudes techniques du soliste, tels que les échelles
en octaves et le mouvement contraire, et au lieu d’être un soliste dominateur,
le pianiste se fait souvent accompagnateur des bois et des cordes. Ce que
confirme le fait que le pianiste ne se voit jamais confié le thème moteur dans
sa forme originale, mais se doit de créer, des variations autour du matériau
thématique. C’est précisément ce qu’a semblé vouloir créer Denis Matsuev au
début de l’exécution de l’œuvre, mais le pianiste russe a fini par imposer sa
vision de virtuose, se révélant peu l’écoute des solistes de l’orchestre,
notamment de la clarinette, du hautbois et du cor, mais aussi et surtout, du
violoncelle, tous pupitres pourtant particulièrement brillants, ce qui s’est
avéré contraire à l’esprit de Liszt. Dans cette interprétation où trois
personnalités, si l’on compte l’orchestre, se sont livrées une bataille de
Titan, Zoltan Kocsis a incité la formation russe à s’exprimer tel un véritable partenaire
de l’instrument soliste, mais la fusion n’a pas pris, Denis Matsuev faisant
tout son possible pour rester maître du discours.
Franz Liszt (1811-1886)
Paraphrase
sur la séquence médiévale Dies Irae à
laquelle Liszt associe le faux-bourdon composé par Louis Homet en 1722, la Totentanz (Danse des morts) S. 126
de Franz Liszt met davantage en avant la virtuosité du soliste, avec laquelle
rivalise celle de l’orchestre. Composée en 1849, révisée dix ans plus tard,
publiée en 1865 puis en 1919 par un autre compositeur-virtuose du piano,
Ferruccio Busoni, la Totentanz est un
authentique morceau de bravoure, sa réputation de partition parmi les plus
difficiles du répertoire pianistique n’étant pas usurpée. Aussi, extrêmement
rares sont les pianistes à s’y aventurer, à l’instar de la Toccata de Busoni, par exemple. Si l’on a en mémoire les versions
aussi ardentes que poétiques de György Cziffra et de Martha Argerich, ce qu’en
a fait hier Denis Matsuev tient de la performance pure. Avec ses doigts
d’airain et ses bras tout en muscles, jouissant d’une puissance de marathonien,
le pianiste russe en a donné une interprétation époustouflante, tenant en
haleine le public, qui en a littéralement attrapé le tournis, tandis qu’un
certain nombre d’oreilles en ont attrapé des acouphènes dont il reste encore ce
matin des séquelles. Il faut reconnaître à Matsuev sa latitude à jouir
librement de ses aptitudes techniques et sonores vertigineuses dans une
partition qui laisse le champ libre à une telle performance. Zoltan Kocsis en a
d’ailleurs tiré profit en faisant sonner son orchestre avec une énergie et une
force conquérante, attisant lui aussi tout son potentiel sonore dans une course
frénétique avec son soliste, les pupitres du Philharmonique de
Saint-Pétersbourg rivalisant de virtuosité et d’éclats vertigineux avec leur
compatriote pianiste.
Pour
apaiser l’enthousiasme de son public qui attendait impatiemment un bis de sa
part, Denis Matsuev a offert un court morceau d’introspection interprété de
façon retenue mais sans pour autant traîner, d’une petite élégie pour piano
seul de son compatriote Rodion Schchedrin (né en 1932).
Antonín Dvořák (1841-1904)
La
seconde partie était entièrement consacrée à la première des deux séries de
huit Danses slaves d’Antonín
Dvořák, celles de l’op. 46 conçues en
1878. Ces pages comptent parmi les plus populaires du répertoire, que ce soit
dans leur version pour piano ou celle pour orchestre. Cette dernière est
néanmoins plus directement accessible tant l’orchestration de Dvořák est d’une
richesse polychromique saisissante. Zoltan Kocsis a surchargé l’effectif des
cordes, reprenant celui qu’il avait réuni pour les Préludes de Liszt, tandis que l’acoustique de l’église Sainte-Bernadette
opacifiait les sonorités, ce qui a alourdi l’interprétation de l’œuvre, qui est
apparue un peu trop éloignée de la pensée du compositeur bohémien, bien que les
deux Prestos ouvra nt et fermant ce premier cahier ont eu l’exact
énergie des Furiants expressément
voulus par Dvořák.
Ce
concert est à écouter sur Medici-tv (www.medici.tv/#!/annecy-classic-festival)
pendant les trois prochains mois.
Bruno Serrou
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