Annecy (Haute-Savoie), Ve Annecy
Classic Festival, Musée-Château et Eglise Sainte-Bernadette, mardi 26 août 2014
Annecy, le Château-Musée. Photo : (c) Bruno Serrou
Les
jeunes musiciens étaient à la fête, hier, à l’Annecy Classic Festival. Tout
d’abord en duo de sonate, avec un récital flûte et piano dans la salle mythique
du festival annécien du Musée-Château, où Eliane Richepin dispensait ses cours
publics réunissant deux jeunes musiciens français : le flûtiste Clément Dufourt,
élève de Philippe Bernold, et le pianiste Tristan Pfaff, élève de Michel Béroff
et d’Aldo Ciccolini, deux Révélations classiques de l’ADAMI en 2006 et du
programme « Déclic » de CulturesFrance en 2007 qui entretiennent une
commune passion musicale et aiment à se produire ensemble. Malgré la pluie, le
public est venu en nombre découvrir ces deux musiciens au seuil d’une carrière
prometteuse...
Annecy Classic Festival. Annecy, Château-Musée : Tristan Pfaff (piano) et Clément Dufourt (piano). Photo : (c) Yannick Perrin
Duo Clément Dufourt (flûte) / Tristan Pfaff
(piano)
Plus
connue dans sa transcription pour violon et piano réalisée pour David Oïstrakh et
Lev Oborine par son auteur en 1943, la Sonate
pour flûte et piano en ré majeur op.
94 de Serge Prokofiev aux contours classiques est dans sa forme initiale
créée en septembre 1943 par Nikolaï Charkovski et Sviatoslav Richter ludique et
pétillante, avec un épisode central au caractère idyllique. Clément Dufourt et
Tristan Pfaff en ont donné une lecture élégante et lyrique, le flûtiste
attestant d’une virtuosité naturelle de bon aloi. Composée dans l’urgence en
1898 pour un concours de flûte du Conservatoire de Paris remporté par Gaston
Blanquart qui l’obligea à confier à Charles Kœchlin l’orchestration de sa
musique de scène pour le Pelléas et
Mélisande de Maeterlinck, la Fantaisie
pour flûte et piano en mi mineur op. 79 de Gabriel Fauré a suscité des
plaintes de son auteur auprès de Kœchlin : « Je suis plongé
jusqu’au cou dans gammes, arpèges et staccati !
J’ai déjà commis cent-quatre mesures de cette pénible torture… » Il est
clair à l’écoute que cette pièce, qui a ennuyé son auteur, ne passionne pas
davantage l’auditeur, même sous les doigts de Dufourt et Pfaff, qui en ont
offert une interprétation aussi scintillante que possible. Les deux jeunes
musiciens français ont en revanche tiré tout le bonheur de jouer possible de la
belle Sonate pour flûte et piano de
Francis Poulenc, qui la créa à Strasbourg en juin 1957 avec Jean-Pierre Rampal,
l’une des pages les plus accomplies du répertoire pour ce duo d’instrument à
vent et clavier. Les deux interprètes ont brillé par leur virtuosité commune
qui a mis en exergue l’impression de liberté improvisée de l’écriture et de
l’inspiration de Poulenc, le pianiste sachant s’effacer devant le chant tout en
délicatesse de la flûte autant que dialoguer de concert avec brio avec cette
dernière dans les passages les plus lyriques et étincelants.
Annecy Classic Festival. Annecy Campus Orchestra répète avec Fayçal Karoui. Photo : (c) Yannick Perrin
Annecy Campus Orchestra
Contrairement
à la session 2013 où ils étaient associés à de jeunes étudiants et professionnels
de 9 à 20 ans venus d’Irkoutsk (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2013_08_01_archive.html),
le Campus d’orchestre d’Annecy Classic Festival 2014 a réuni à partir du 15
août les seuls stagiaires directement inscrits au cursus annécien, ouvert il
est vrai aux étrangers comme aux Français. Cent-quatre participants venus
des quatre coins du monde ont travaillé sous la direction de Fayçal Karoui,
directeur musical de l’Orchestre de Pau Pays de Béarn qu’il a construit de
toutes pièces voilà une dizaine d’années, et encadrés de musiciens de
l’Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg un programme de caractère festif
fait d’œuvres des Etats-Uniens George Gershwin et Leonard Bernstein, et du
Mexicain Arturo Márquez.
Car,
a contrario d’Académies comme celle
du Festival Berlioz, qui s’adresse à de futurs musiciens d’orchestre
professionnels, ou comme l’Orchestre Français des Jeunes, qui travaille des
programmes ambitieux comprenant des partitions concertantes et symphoniques
d’envergure dans lesquelles ils sont appelés à se produire en plusieurs lieux -
ce qui pourrait néanmoins être envisagé à Annecy, considérant le fait que cette
académie a la chance de se tenir à proximité de son équivalent vocal, ce qui
pourrait permettre la programmation d’œuvres pour chœur et orchestre -, l’Annecy
Campus Orchestra entend rassembler des jeunes instrumentistes étudiants des
conservatoires pour les former au métier de l’orchestre dans un esprit bon
enfant et dans des œuvres au caractère à la fois ludique et pédagogique et dans
le but de se produire en public dans une œuvre concertante avec le pianiste
Denis Matsuev à l’issue du stage. Ainsi, au lieu de Beethoven, Schubert,
Berlioz, Brahms, Bruckner, Franck, Saint-Saëns, Dvorak, Debussy, Mahler, R.
Strauss, Sibelius ou Ravel, Fayçal Karoui a choisi pour cette session 2014 de
travailler des pages festives, Rhapsody
in Blue pour piano et orchestre de George Gershwin, une succession de pages
parmi les plus fameuses de West Side Story de Leonard Bernstein et le
deuxième Danzón d’Arturo Márquez.
Le Concert de clôture du stage Annecy
Campus Orchestra 2014
Annecy Classic Festival. Denis Matsuev (piano), Fayçal Karoui (direction), Annecy Campus Orchestra. Photo : (c) Yannick Perrin
Durant
leur concert public de clôture de stage donné hier après-midi en l’église
Sainte-Bernadette, les jeunes musiciens de l’Annecy Campus Orchestra s’en sont
donné à cœur joie dans le répertoire retenu cette année, ne faisant guère dans
la dentelle, à l’instar de leur parrain Denis Matsuev, avec qui ils ont
rivalisé de puissance dans l’œuvre concertante, le nuancier étant pour confiné
dans un registre situé entre forte et
fortississimo… Il n’en est pas moins sorti
quelques traits d’orchestre des plus réussis, notamment du côté des bois
(flûte, hautbois, clarinette, saxophone et basson) et cuivres (cor, trompette,
trombone, tuba basse - ce dernier tenu par un tuteur) solistes, tandis que les
cordes ont eu du mal à émerger du grondement quasi assourdissant du piano et
des instruments à vent dans la Rhapsodie
in Blue. Pour en rester à l’influence du jazz nord-américain, poussé par
les ovations d’un public plus jeune que de coutume, Denis Matsuev s’est lancé
dans deux très longs bis d’improvisations jazz façon Erroll Garner (1921-1977) mais
en plus terrien dans lesquels le pianiste russe a joué de plus en plus fort
avant de conclure dans deux brefs piani.
Annecy Classic Festival. Denis Matsuev (piano), Fayçal Karoui (direction), Annecy Campus Orchestra. Photo : (c) Yannick Perrin
La
suite d’orchestre de West Side Story
de Bernstein qui a suivi a été bienvenue pour sortir le public du long tunnel
d’improvisation pianistique, réveillant la salle entière. Celle-ci s’est mise au
diapason des jeunes assemblés sur le plateau qui se sont lancés dans un swing
communicatif sur les rythmes haletants des morceaux les plus enlevés de la
suite tirée par Bernstein de son musical,
mais en négligeant plus ou moins le lyrisme des scènes d’amour et de désarroi. Pour
clore le programme, une pièce tout aussi entraînante que celle de Bernstein
mais en beaucoup moins raffiné, la Danzón n° 2 pour grand orchestre (1994)
de Márquez qui assimile des
musiques mexicaines de l’Etat de Veracruz et cubaines. Les jeunes musiciens se
sont donnés sans restriction dans ces pages bondissantes et sans difficultés majeures
autres que rythmiques, les instrumentistes à vent jouant leurs enchaînements en
se levant chacun à la façon de lames de fond, avant de conclure sous les salves
d’applaudissements d’un auditoire en liesse. L’étonnant est que, dans la
perspective attendue de ce succès, Fayçal Karoui, qui s’est montré infiniment
plus engagé, concentré et proche de ses stagiaires que l’an dernier tout en en faisant encore un peu trop dans sa gestique, n’ait pas
préparé de bis, ce qui lui aurait évité de reprendre des passages de West Side Story et de la Danzón
interprétés de façon plus relâchée, la concentration initiale ayant disparu…
Bruno Serrou
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