Voilà
fort longtemps qu’Antonín Dvořák n’avait
pas fait l’objet d’une intégrale de ses symphonies par ses compatriotes. Avec
la Philharmonie Tchèque, que Dvořák
porta sur les fonds-baptismaux en dirigeant lui-même le premier concert en 1896,
Václav Talich n’a laissé que les quatre
dernières symphonies, le Concerto pour violoncelle avec Rostropovitch, sans
doute le plus bel enregistrement de cette œuvre, et le Concerto pour piano avec
Frantisek Maxian. Karel Ancerl n’a laissé que les même quatre dernières
symphonies, le concerto pour violoncelle avec encore Rostropovitch, à l’instar
du Concerto pour piano avec Frantisek Maxian (mais ce dernier à Francfort),
tandis qu’il a gravé celui pour violon avec Josef Suk puis David Oïstrakh. Enfin,
Václav Neumann, qui, entre 1972 et 1974,
enregistra lui aussi avec la Philharmonie Tchèque les neuf symphonies de Dvořák, ainsi que les poèmes symphoniques,
ouvertures de concert et variations symphoniques, une fois encore pour
Supraphon.
Antonín Dvořák (1841-1904). Photo : DR
Parallèlement,
de 1971 à 1976, Rafael Kubelik, autre Tchèque, enregistrait une intégrale des
symphonies et concertos. Les premières avec le Philharmonique de Berlin chez DG,
tandis que les trois concertos étaient réalisés avec Pierre Fournier en 1965
(Decca), Rudolf Firkusny à Prague en 1946 (Multisonic) et Yuuko Shiokawa et la
Radio Bavaroise en 1979 (Orfeo). Si d’autres Tchèques ont enregistré ce cursus
dans l’intervalle, comme Libor
Pešek avec le Royal Liverpool
Philharmonic Orchestra et la Philharmonie Tchèque, il semblerait que, sauf
erreur ou omission, le coffret de six CD que propose Decca est le premier à
réunir depuis dix-huit ans les symphonies et concertos de Dvořák dans leur intégralité avec une équipe
entièrement tchèque, du moins côté chef et orchestre. Et même si l’une des plus
grandes réussites de la discographie consacrée à Dvořák
a été réalisée par un chef hongrois, István Kertész, à la tête d’une
phalange britannique, le London Symphony Orchestra, déjà pour Decca, il est
indéniable que la parution d’une nouvelle intégrale tchèque mérite une
attention toute particulière.
Jiří Bělohlávek. Photo : DR
Avec
plus de cinq mille concerts et cinq cents disques à son actif, violoncelliste
de formation, Jiří Bělohlávek est aujourd’hui le chef tchèque le
plus prolifique. Né à Prague en 1946, disciple de Sergiu Celibidache, dont il a
été l’assistant, avant de prendre la direction de la Philharmonie de Brno de
1972 à 1978, il a été pendant douze ans Premier chef de l’Orchestre Symphonique
de Prague, de 1977 à 1989, il est nommé en 1990 Chef principal de la
Philharmonie Tchèque. Mais il est remplacé moins d’un an plus tard par Gerd
Albrecht, qu’il remplace à son tour en 1992 dont il encore à ce jour directeur
musical, et fonde l’année suivante le Prague Philharmonia. Il est actuellement
Président du Printemps de Prague, et Premier chef invité du Royal Philharmonic
Orchestra, après avoir dirigé pendant dix-sept ans l’Orchestre Symphonique de
la BBC.
Jiří Bělohlávek et la Philharmonie tchèque. Photo : (c) Martin Kabat
Les
enregistrements réunis dans le coffret Decca ont été réalisés à Prague entre
novembre 2012 et décembre 2013 dans la perspective du cent-dixième anniversaire
de la mort de Dvořák. Bělohlávek
dirige avec élan et lyrisme un compositeur dont il connaît les moindres
intentions. Sa vision, énergique et conquérante mais non dépourvue de délicate mélancolie,
se particularise par une caractérisation exceptionnelle des plans sonores, par
la diversité des coloris et le relief des lignes dont l’on peut percevoir la
profondeur de champ avec une précision rare, toutes les voix étant clairement
identifiable tant elles apparaissent avec une transparence saisissante. Si,
dans la force évocatrice, l’on préfère un Neumann, dans la sensuelle nostalgie
un Kubelik, dans l’évocation dramatique un Kertész, la beauté de l’orchestre,
les timbres somptueusement léchés, la fluidité des textures modelées par Bělohlávek à la tête
de la Philharmonie Tchèque séduisent, convainquent et font tout le prix de ce
coffret bien plus qu’attachant.
D’autant
plus que les concertos de Dvořák
sont interprétés par trois grands solistes, du Concerto pour piano et
orchestre en sol mineur op. 33 de 1876 aux contours traditionnels, si on le
compare au Concerto n° 1 de
Tchaïkovski et au Concerto n° 2 de
Brahms qui l’entourent, joué avec élan par Garrick Ohlsson, mis en regard de la
Symphonie n° 3 en mi bémol majeur op. 10,
au célébrissime Concerto pour violoncelle
et orchestre en si mineur op. 104 de 1896 par Alisa Weilerstein qui, en
complément de la Symphonie n° 1 en ut
mineur op. 3 « les Cloches de Zlonice » de 1865, s’impose par un
nuancier exceptionnel, que Bělohlávek souligne avec un soin de chaque instant, en
passant par le Concerto pour violon et
orchestre en la mineur op. 53
conçu en 1879 pour Joseph Joachim, qui ne le joua jamais, dont les sources
populaires et l’expressivité mélodique sont fort bien mises en valeur par Frank
Peter Zimmermann, et qui complète de façon instructive le CD consacré à la peu
courue Symphonie n° 2 en si bémol majeur
op. 4 de 1865 dont le Scherzo puise
aux mêmes sources, bien que la globalité de cette symphonie soit annonciatrice
de Richard Strauss, né en 1864.
Bruno Serrou
1) Frank
Peter Zimmermann (violon), Alisa Weilerstein (violoncelle), Garrick Ohlsson
(piano). Philharmonie tchèque, direction Jiří Bělohlávek.
1 coffret de 6 CD Decca/Universal Classics 478 6757
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