Orange, Chorégies, Théâtre antique, dimanche 3 août 2014
Giuseppe Verdi (1813-1901), Otello. Inva Mula (Desdemona) et Roberto Alagna (Otello). Photo : (c) Gromelles
Pour sa quatorzième participation
aux Chorégies d’Orange en vingt et un ans, Roberto Alagna n’a pas choisi la
facilité, abordant devant son public d’aficionados le rôle-titre de l’Otello de Verdi, l’un des plus exigeants
du répertoire lyrique.
Le plateau du Théâtre antique d'Orange. Décor d'Emmanuelle Favre pour Otello de Verdi. Photo : (c) Bruno Serrou
Au côté de l’ultime Falstaff, également puisé par Arrigo Boito
chez William Shakespeare, Otello est
le chef-d’œuvre absolu de Giuseppe Verdi, qui, en 1885, signait avec cet
ouvrage son pénultième opéra. L’on se souvient encore, à Orange, de
l’hallucinante interprétation de Jon Vickers dans ce même ouvrage aux côtés de
Teresa Zylis-Gara dirigés par Lorin Maazel en 1975 avec l’Orchestre
National de France. En juillet 2003, en plein conflit des intermittents et mis
en scène par Nicolas Joël, Vladimir Galouzine décevait face à une éblouissante
Tamar Iveri, un magistral Yann Beuron en Cassio et un très sonore Jean-Philippe
Lafont en Iago, avec le même orchestre mais dirigé par Evelino Pido. C’est dire
combien Roberto Alagna, coqueluche du public d’Orange, était attendu pour sa
prise de rôle à la scène, après avoir présenté en concert le printemps dernier
au public parisien de larges extraits de l’opéra.
C’était sans compter sur les
intempéries le soir de la première. Car le ciel est souvent facétieux. Ce qu’il
a prouvé en déversant samedi des trombes d’eau sur Otello, tandis que le crépuscule était transpercé d’éclairs, l’orage
s’avérant plus puissant que la tempête déchainée par Verdi dès les premières
mesures de sa partition. Tant et si bien que le public, qui eut le loisir
d’être trempé jusqu’à la moelle des os en attendant l’annonce micro du report
au lendemain par des organisateurs étrangement absents, dut retourner dimanche
à Orange… Vingt-quatre heures plus tard, au même endroit, le ciel se faisait de
nouveau menaçant au terme d’une journée caniculaire. En effet, quelques gouttes
se sont mises à tomber de nuages noirs. Stoïque, le public ne s’en est pas
particulièrement ému, jusqu’à ce que de qu’une pluie aussi torrentielle que
brève s’abatte sur le théâtre antique et détrempe plateau, fosse et gradins.
Ces derniers allaient être séchés par les spectateurs avec les moyens du bord,
tandis que les premiers étaient épongés par un jeu de balais dextrement
manipulés par les techniciens du festival. Les gradins de l’amphithéâtre de
César Auguste n’étaient pas combles, peut-être en raison des incertitudes du
temps, certains spectateurs ayant dû partir sous d’autres cieux…
… Mais la soirée n’en avait pas
fini avec les désagréments. En effet, à la fin du premier acte, des coupures de
courant ont suscité l’interruption de la représentation à deux reprises. La
première obligea un arrêt complet de la soirée quelques minutes, avant que Myung-Whun
Chung, qui dirigeait par cœur, reprenne à l’endroit précis où il avait dû s’arrêter,
tandis que la seconde fois, plus brève, tous les protagonistes ont continué à
jouer dans le noir quelques secondes…
Giuseppe Verdi, Otello. Roberto Alagna (Otello). Photo : DR
… Contrairement à samedi,
Myung-Whun Chung a eu dimanche raison du ciel, en déclenchant enfin le
cataclysme orchestral attendu. Immédiatement, le chef coréen, la partition dans
la tête, de ce fait au contact direct de ses musiciens, dirigeant sans
conducteur, a rappelé à qui l’avait oublié combien il a le sens du théâtre
acquis pendant les six années passées à la tête de l’Orchestre de l’Opéra de
Paris. Ainsi, le geste ciselé, le regard vif et vigilent, la main gauche d’une
expressivité rare, la baguette tenue de la main droite battant sans relâche la
mesure d’un mouvement précis attisant des nuances infinies, le chef coréen a
dirigé avec panache un Orchestre Philharmonique de Radio France des grands soirs,
qui a littéralement transcendé la soirée, portant l’œuvre à la fusion. Roberto
Alagna s’est donné sans réserve dans le rôle d’Otello, lui donnant des accents
déchirants, mais tirant à l’excès vers le vérisme et le larmoyant, tandis que la
voix manque d’harmoniques graves, ce qui la rend trop légère et fluide pour le
rôle, au point que le ténor a eu quelque difficulté à aller au bout de l’œuvre.
Face à lui, le Iago de Seng-Hyoun Ko a certes le timbre approprié mais la voix
sature dans l’aigu et il a, lui aussi, du mal à aller au bout. Inva Mula fait
parfois songer à Mirella Freni en Desdémone, mais la ligne de chant bouge
beaucoup, et Florian Laconi campe un Cassio effacé.
Signée Nadine Duffaut, épouse du
directeur des Chorégies, plantée dans une scénographie d’Emmanuelle Favre dont
l’axe est un miroir brisé sur lequel se meuvent les protagonistes et une vague
vidéo en noir et blanc, la mise en scène est réduite aux acquêts sur cette
vaste scène de soixante-seize mètres de large il est vrai complexe à maîtriser
sur lequel les chœurs se déplacent tels des pachydermes, empêchant la musique
de se faire entendre.
Giuseppe Verdi (1813-1901), Otello. Salut final. Photo : (c) Bruno Serrou
A noter une baisse considérable de
la qualité d’écoute du public d’Orange qui ne cesse de discuter comme s’il
était assis devant son poste de télévision pour un match de football, beaucoup dormant
profondément profitant de leurs rares moments de veille pour tousser, éternuer
et se moucher bruyamment, tandis que l’on regrette très vite l’invention du
smartphone tant son usage intense pour photos et vidéos s’avère pour le moins
perturbateur. Bref, les gradins d’Orange virent de plus en plus du théâtre au
cirque…
Bruno Serrou
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