Festival d'Automne à Paris, Amphithéâtre de l’Opéra
national de Paris Bastille, lundi 12 novembre 2012
La face nord de l'Eiger, le Mönch et la Jungfrau, Alpes bernoises (Suisse). Photo : DR
Centré sur l’Angleterre contemporaine et la célébration de la Terre par deux
compositeurs britanniques vus à travers le prisme de la polyphonie pré-Renaissance, le dernier
des concerts du Festival d’Automne à Paris proposé cette année dans l’Amphithéâtre
de l’Opéra Bastille a accueilli deux remarquable formations, l’une allemande, l’Ensemble
MusikFabrik, dont les musiciens, qui en sont tous les patrons, portent haut l’image
de la Rhénanie du Nord-Westphalie depuis plus de vingt ans, l’autre anglaise, l’Ensemble
vocal Exaudi, qui, sous la direction bicéphale de Juliet Fraser et de James Weeks,
se situe dans la lignée d’excellence de la tradition chorale britannique au
profit de la création contemporaine. Capable de tout faire, quelles que soient
les configurations, visant à l’interdisciplinarité, MusikFabrik s’est aisément
intégré à l’hommage que le Festival d’Automne a consacré cette année à Benedict
Mason.
Benedict Mason. Photo : British Council, DR
Sept ans après un premier concert
en 2005, comme je l’écrivais le mois dernier dans le quotidien La Croix, le Festival d’Automne à Paris a
proposé cette année douze rendez-vous autour de ce compositeur britannique. Né
en 1954 à Budleigh-Salterton, Mason vit désormais entre Paris et Berlin.
« Je me considère autodidacte, m’a-t-il dit. J’ai appris la musique en
passant des heures penché sur les partitions. Je n’appartiens de ce fait à
aucune école. » Le cinéma a été son premier centre d’intérêt. Il a étudié la
réalisation de films au Royal College of Art de Londres. Mais peu à peu la
musique de film et le montage-son se sont imposés à lui. Si bien qu’il a fini
par se tourner vers à la composition à la fin des années 1980. « Le cinéma
m’a appris la performance artistique, la
bande son, l’espace sonore hors champ, le rythme du montage, etc.
Le tout s’intègre à ma pensée par strates qui reviennent à la surface à divers
moments de ma vie. »
Couverture du programme de salle du concert représentant l’embouchure de l'un des instruments de The neurons... de Benedict Mason. Photo : BS
Dans l’imaginaire de Mason, les
dispositifs scéniques sont autant d’invitations à inscrire la musique dans un
espace singulier propre à chaque œuvre qu’il écrit. Même la salle de concerts,
dans la diversité de ses dimensions, est une aire de jeu et de perception. Tout
lieu est pour lui une scène où les musiciens sont en
représentation. L’attention qu’il porte aux qualités acoustiques de tout
corps sonore mis en vibration, du banal tube aux instruments les plus élaborés,
est inépuisable. Pour le compositeur, la forme est une constante préoccupation,
renouvelée à chaque projet. Autre paramètre, le rythme, mais le timbre importe peu.
« Je m’attache à tout type d’instruments acoustiques, jusqu’au
bout de ficelle. Ce qui me permet de tout réduire
au plus simple et au plus pur. Je m’étonne toujours de la richesse et de la complexité qui résulte de cette simplicité. Ces instruments sont
bien sûr limités par leurs ressources
souvent très réduites, mais je n’invente rien : tout instrument nouvellement conçu ne fait qu’obéir aux lois de l’acoustique
qui existent depuis que la Terre tourne. »
Vue sur la répartition au sol de l'instrumentarium de The neurons... de Benedict Mason. Photo : BS
A l’écoute, les deux œuvres proposées
lundi se sont avérées décevantes en regard des promesses suscitées par ce que m’avait
déclaré le compositeur. Créé à Cologne le 7 octobre 1989 par l’Ensemble Modern,
écrit pour douze instruments (bois, cuivres sans cor, cordes sans contrebasse,
percussion et piano par un), The Hinterstoisser
Traverse célèbre le tragique exploit de l’alpiniste allemand Andreas
Hinterstoisser (1914-1936) qui conquit en juillet 1936 l’Eiger dans l’Oberland
bernois par la face nord sans jamais en revenir. Il s’agit de la première œuvre
de Benedict Mason. Fondée sur une seule note jouée selon des rythmes,
dynamiques et types de sons différents, cette œuvre répétitive apparaît brute de fonderie, sans
quête de quelque sophistication élémentaire. La seconde pièce, qui avait
instauré un climat exotique dès l’entrée dans la salle, son instrumentarium
étrange jonchant le plateau au milieu duquel les douze musiciens requis par Hinterstoisser Traverse ont joué,
alignés en rang d’oignon sur toute la largeur de la scène. Malgré la diversité
des instruments de toutes origines réunis en nombre nécessitant la
participation de vingt-deux musiciens, l’utilisation restreinte de l’écriture,
du jeu de timbres et des registres sonores fait que l’œuvre conçue en 2000-2001
au titre impossible à retenir, the
neurons, the tongue, the cochlea… the
breath, the resonance « pour vingt-deux musiciens jouant des
instruments nouvellement inventés ou rares » n’a au bout du compte d’intérêt autre qu’anthropologique, se situant largement en-deçà des
réalisations iconoclastes de Mauricio Kagel (1931-2008), notamment Exotica de 1972, malgré le gigantisme de
l’installation demandant assurément des heures de mise en place pour un
résultat limité à des sons désincarnés de percussion et d’instruments à vent
assemblés au sol tel un gamelan sans timbres. Au total, une pièce de près d’une
demi-heure interminable, fort applaudie néanmoins par un public apparemment (poliment ?)
conquis…
Brian Ferneryhough. Photo DR
La deuxième partie du concert était d’une toute
autre portée. Elle s’est ouverte sur quatre sublimes pages vocales de l’Ars
nova interprétées par les six membres de l’ensemble vocal Exaudi qui ont donné
de ces œuvres composées au XIVe
siècle (Machaut, Ciconia, Rodericus et Molins) pour deux, trois et quatre voix une
interprétation d’une radieuse beauté spirituelle comme seuls les groupes vocaux
anglais savent en offrir. La soirée s’est conclue sur la création mondiale d’une
pièce puissante et foisonnante de Brian Ferneyhough (né en 1943) pour sextuor
vocal amplifié et ensemble, avec une guitare, comme très souvent chez
Ferneyhough, mais que l’on entend un peu plus que de coutume. Composée en
2012, fruit d’une commande conjointe de l’Ensemble MusikFabrik, de la Kunststiftung
NRW de Düsseldorf, du Festival d’Automne à Paris et de Casa da Mùsica de Porto,
Finis Terrae est une œuvre d’une
vingtaine de minutes pour six voix (deux sopranos, contreténor, deux ténors,
basse) et dix-neuf instrumentistes (flûte / piccolo, hautbois / cor anglais,
clarinette / clarinette basse et contrebasse (2), basson / contrebasson, cor,
trompette, trombone, tuba, guitare, piano, percussion (2), violon (2), alto, violoncelle,
contrebasse). Ferneyhough y chante la fin de la terre en dépeignant des « paysages
de moraines ravagés, ravinés et configurés par les forces géantes propres aux
ères glaciaires ». Mis en regard de l’Ars nova, le compositeur britannique
perpétue clairement l’esprit de musiciens de la Renaissance par le tissage complexe
des textures harmoniques à travers de subtiles entrelacs. Le langage s’avère
judicieusement fragmentaire mais garde une intense expressivité, une mélancolie
qui puise sa force à la fois dans le passé et dans la contemporanéité pour accomplir
une véritable alchimie sonore, mêlant les magnifiques voix amplifiées à la
façon de Luciano Berio (1925-2003) dans Sinfonia
(1968) d’Exaudi qui chantent un texte onirique quoique fait de descriptions
scientifiques des topologies des moraines, et le remarquable ensemble
MusikFabrik prestement dirigé par Emilio Pomarico.
Bruno Serrou
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