Nice, Théâtre National de Nice, Salle Pierre Brasseur, mardi 13
novembre 2012
Metropolis de Fritz Lang et Martin Matalon par l'EOC et Marc Foster au TNN. Photo : (c) Jean-Luc Thibault
C’est sur une journée marathon
que s’est ouverte mardi la 45eme édition des MANCA de Nice, la quatorzième
programmée par le compositeur François Paris, qui dirige ainsi le plus ancien
festival de musique contemporaine de France en activité. De 15h à minuit et
demi, une série de quatre rendez-vous était proposée en guise de hors-d’œuvre à
la décade de création musicale offerte par le CIRM (Centre international de
recherche musicale) organisateur du festival aux Niçois invités à ouvrir leur
oreille sur la création musicale contemporaine. La volonté clairement affichée de François Paris est de faire entrer
de plain-pied la musique dans la pluridisciplinarité en ouvrant les genres et en
posant davantage de questions que de réponses, et en investissant davantage
dans le cinéma, médium à la popularité partagée. Ainsi, quatre ans après la Symphonie diagonale d’Alexandros
Markéas, les MANCA ont choisi de réunir de nouveau musique et image, cette fois
non pas sur une pellicule conçue en fonction de la musique mais sur une musique
pensée en fonction de l’un des grands chefs-d’œuvre du cinéma mondial.
Tramway niçois aux couleurs des MANCA. Photo : (c) Bruno Serrou
Mais avant cette
projection-concert, la journée s’est ouverte sur une conférence de François
Paris consacrée aux « Enjeux de la Musique Classique d’Aujourd’hui »
présentée dans le cadre du cycle de conférences du musicologue niçois Dany
Larché sur l’histoire de la musique dans le cadre de l’Université du troisième
âge de Nice. Devant un public nombreux et passionné, dominé par les cheveux
blancs ponctués de quelques jeunes chevelures, François Paris a tissé le lien entre
passé et présent convainquant les plus récalcitrants par sa spontanéité et sa
clairvoyance dignes du pédagogue qui l’anime, même si les illustrations
sonores, venues des archives du CIRM et des MANCA, étaient un plus centrées sur
le son et le timbre que sur la dynamique et le rythme.
Performance des étudiants de la Villa Arson sur le parvis du TNN. Photo : (c) Jean-Luc Thibault
Après le troisième âge, c’était
au tour de la jeunesse, avec une performance sur le parvis du Théâtre National
de Nice d’étudiants de la Villa Arson, Ecole supérieure d’art de Nice, dont la
proposition née d’une « démarche expérimentale » s’est avérée pour le
moins proche des expériences du Pink Floyd au tournant des années 1960-1970,
celui d’Ummagumma et d’Atom Heart
Mother de 1969-1970, tandis que les jeunes gens bidouillaient
amplificateurs et matériels électroniques avec un sérieux monastique et que les
instrumentistes se montraient distants et introvertis. Mais l’essentiel était à
suivre…
Le TNN. Photo : (c) Bruno Serrou
… Et il se trouvait dans la Salle
Pasteur du TNN, avec deux concerts de l’Ensemble Orchestral Contemporain (EOC) qui
allaient maintenir le public sur les lieux plus de cinq heures de rang. Tout
deux dirigés par Marc Foster, ces concerts ont présenté des œuvres de quatre
compositeurs vivants, dont deux créations mondiales, placés sous la figure tutélaire
du Romain Giacinto Scelsi (1905-1988). Le début de soirée s’ouvrait en effet sur
Prânam II de ce dernier composé en
1973 et dont le titre renvoie au salut qui s’accomplit au début
et à la fin des séances de méditation et des réunions chez les hindous. Cette
œuvre de moins d’une dizaine de minutes pour neuf instruments qui s’écoule en
un temps suspendu mais vivement intériorisée sonne remarquablement, tant Scelsi
est parvenu à la faire sonner comme s’il en avait confié l’exécution à un
orchestre symphonique au grand complet. La première création était signée de l’Italien
Nicola Sani. Né à Ferrara en 1961, actuel directeur de l’Opéra de Bologne, Sani
a étudié auprès de Karlheinz Stockhausen. Il préside depuis 2004 la Fondation
Isabella Scelsi dédiée à l’étude et à la diffusion de l’œuvre de Giacinto
Scelsi. Commande de l’EOC, Deux, le
contraire de un pour dix-sept musiciens est une œuvre d’une vingtaine de
minutes dont le titre s’inspire d’un texte de l’écrivain italien Erri De Luca qui
présente le chiffre deux comme le contraire et non le double de un… Ainsi,
construite en deux parties, la pièce de Sani alterne mouvement vif et mouvement
mélancolique, l’un fondé sur les principes spectraux, fragmentaire et
contrasté, l’autre sur la dynamique théâtrale et le dialogue entre un soliste,
le piano, et les tuttistes. Il en résulte une partition plus inventive et
personnelle dans la seconde partie, tandis que la première maintient l’auditeur
dans le climat instauré par la pièce de Scelsi. Seconde création de la soirée,
commande du CIRM où elle a été réalisée, le Double
Concerto pour clarinette, violon et électronique de Mario Mary. Né en 1961
à Buenos Aires, le compositeur argentin a réalisé cette pièce mixte de deux
instruments acoustiques concertant non pas avec un orchestre classique mais
avec un orchestre virtuel, à la fois complémentaire et autonome et qui trahissent
un créateur maître de l’outil informatique et sachant en exploiter le potentiel
musical. Cette pièce conçue au CIRM a été interprétée avec maestria par Hervé
Cligniez et Gaël Rassaert, deux musiciens de l’EOC, qui en ont souligné la
plastique sonore. Dernière œuvre de cette première partie de soirée, Settembre pour seize instruments de l’hôte
du festival, François Paris. Né lui aussi en 1961, mais à Valenciennes, élève d’Ivo Malec, Betsy Jolas
et Gérard Grisey au Conservatoire de Paris, ex-pensionnaire de la Villa
Médicis, François Paris s’est forgé à la pédagogie à Sarcelles comme directeur
de la musique où il a fédéré tous les publics, du classique au rap, sans pour
autant céder à la facilité. Directeur du CIRM depuis douze ans, il enseigne la composition
aux Conservatoires de Shanghai, Moscou et Américain de Fontainebleau. Avec ou
sans électronique, couvrant tous les répertoires - il travaille actuellement
sur un opéra adapté de Maria Republica
d’Augustin Gomez-Arcos -, sa musique se situe dans l’héritage de l’école
spectrale mais douée d’une énergie fort communicative. Settembre (2010) pour seize musiciens en est la parfaite
illustration : vive, dynamique, riche en timbre et en rythmes, l’œuvre emporte
l’auditeur par la main pour ne plus le lâcher pendant dix-sept minutes qui paraissent
bien courtes.
Metropolis de Fritz Lang et Martin Matalon, avec l'EOC dirigé par Marc Foster. Photo : (c) Jean-Luc Thibault
La dernière partie de soirée en était en fait le plat de
résistance… Il s’agissait en effet de la projection dans sa version intégrale et
restaurée de l’un des plus grands films de l’histoire du cinéma, Metropolis de Fritz Lang projeté avec
une musique jouée « live » de Martin Matalon (né en 1958). Subdivisé
en trois parties (Prélude, Interlude, Furioso),
ce film muet expressionniste que le célèbre cinéaste allemand a tourné en 1927 conte
l’histoire d’une mégapole futuriste où l’élite vit au sommet
de gigantesques gratte-ciels alors que les ouvriers s’entassent dans une ville
souterraine. Sorte de Siegfried sorti des Nibelungen
du même Lang, Freder, fils du maître de Metropolis - ce dernier ressemblant
comme deux goutes d’eau à Maurice Ravel -, tombe amoureux de Maria, une jeune
femme aux allures de sainte qui prêche l’amour, la patience et la paix à ceux d’en
bas. Rotwang, sorte de Mime fou, kidnappe Maria et donne son apparence au robot
qu’il a construit pour satisfaire le maître de Metropolis qui espère ainsi exercer
un contrôle sur les ouvriers grâce a ce subterfuge. Le robot incite les
ouvriers à faire une révolution et à détériorer les machines qui permettent à
la ville et aux nantis de vivre, mais tout finit bien car Freder et Maria parviennent
ensemble à sauver la cité. En regard du noir et blanc de la
pellicule, la musique polychrome du compositeur argentin instille un
foisonnement de couleurs qui amplifie le propos noir et blanc du cinéaste
allemand. Se substituant à la musique originelle
post romantique de Gottfried Huppertz largement inspirée de Richard Wagner et
de Richard Strauss, la musique du compositeur argentin, très personnelle, enluminée,
singulièrement expressive et toujours renouvelée, ne fait jamais redondance
avec ce qui est donné à voir mais met efficacement en relief la monochromie de
la pellicule et du propos du cinéaste allemand, dont l’intégralité du film et
du scénario a été retrouvée en Argentine à la fin des années deux mille et
restaurée en 2010. D’une longueur peu commune pour une partition instrumentale
contemporaine, avec pas moins de cent quarante neuf minutes de musique, l’œuvre
de Matalon est née en 1995 à la suite d’une commande de l’IRCAM, quinze ans avant
d’être entièrement revue et enrichie pour s’adapter au format de la nouvelle
version du film de Lang dotée des deux scènes totalement inconnues retrouvées
au Musée du cinéma de Buenos Aires. Cette nouvelle réalisation pour flûte,
clarinette, basson, saxophone, deux trompettes, trombone, quatre
percussionnistes, guitare électrique, basse fretless,
harpe, violoncelle, contrebasse et électronique en temps réel qui a été créée
en 2011, a été présentée mardi au public niçois par l’Ensemble Orchestral
Contemporain avec la technologie du CIRM sous la direction de Marc Foster. Une
exécution en direct qui a nécessité un nombre important de répétitions à Lyon,
mais d’une hardiesse et d’une virtuosité telles maintenue en outre près de deux
heures trente de rang, qu’il est difficile voire impossible pour les musiciens d’être
continuellement au sommet de leur technique et réglés au cordeau sur l’image. Pourtant,
c’est avec délectation que l’on écoute les beautés sonores des instrumentistes
de l’EOC mises au service de l’œuvre subtilement bigarrée et expressive de Matalon,
confirmant ainsi combien cet ensemble excelle dans le répertoire pour lequel l’a
brillamment formé son fondateur, Daniel Kawka, qui en a fait l’un des meilleurs
ensembles de musique contemporaine d’Europe.
Bruno Serrou
Les MANCA se poursuivent jusqu’au 23 novembre. http://www.cirm-manca.org
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