Paris, Théâtre de l’Athénée-Louis
Jouvet, mardi 27 novembre 2012
Philip Glass, les Enfants terribles. De gauche à droite : Olivier Dumait (Gérard et Narrateur), Chloé Briot (Elisabeth), Guillaume Andrieux (Paul) et Amaya Dominguez (Agathe). Photo : DR
Après la mort de leur mère, Elisabeth
et Paul, frère et sœur orphelins livrés à eux-mêmes et liés par une affection
exclusive, vivent ensemble dans leur grand appartement parisien. Ils se sont
construit un univers chimérique régi par de sibyllins symboles. Leur chambre
est un véritable sanctuaire où trône un « trésor » chargé d’une signification
connue d’eux seuls. Cependant, Elisabeth rencontre Michaël et l’épouse, mais il
meurt le lendemain des noces dans un accident de la route sans que leur mariage
ait été consommé. Elle hérite de la fortune de Michaël, dont un grand hôtel
particulier où Paul la rejoint avec leur trésor. Gérard, un camarade de Paul, et
son amie Agathe, qui ressemble étrangement au mauvais garçon Dargelos que Paul
idolâtre, viennent bientôt habiter avec eux. Mais lorsqu’Elisabeth comprend que
l’amour est en train de naître entre son frère et Agathe, elle tisse un piège perfide
pour que son frère ne puisse pas lui échapper. Comme dans la tragédie antique,
l’issue ne peut être que fatale. Telle est la trame du roman que Jean Cocteau
publia en 1929 après l’avoir écrit d’une traite durant une cure de
désintoxication avant d’en tirer vingt ans plus tard un scénario pour le film
éponyme de Jean-Pierre Melville. Une histoire apparemment banale qui cache en
fait une tragédie fondée sur le désir morbide, résurgence de l’inéluctable fin de
l’adolescence, de ses mythes, de sa grâce, de ses illusions.
Chloé Briot (Elisabeth) et Guillaume Andrieux (Paul). Photo : DR
A l’instar de nombre de ses aînés
qui ont côtoyé Jean Cocteau, l’Etatsunien Philip Glass (né en 1937), connu pour
son Einstein on the Beach né en 1976
au Festival d’Avignon de sa collaboration avec Robert Wilson, se plaît à mettre
en musique les grands textes du poète français dont il a tiré dans les années
1990 trois opéras, Orphée (1993), la Belle et la Bête (1994) et les Enfants terribles (1996). Ce dernier
ouvrage se fonde sur un livret du compositeur et de Susan Marshall qui s’avère
dramatiquement efficace. Mais la musique, répétitive et minimaliste, est
réduite à un squelette sans attrait, et pourrait illustrer n’importe quelle
histoire. Les séquences sont plaquées les unes à la suite des autres, sèchement,
sans la moindre transition, fondées sur un matériau banal et quasi invariable, lancinant
et soporifique, ce qui constitue en fait le seul lien avec les idées qui
obsèdent les personnages de l’opéra détachés du monde comme sous l’empire de l’opium,
drogue dure dont Cocteau se désintoxiquait alors qu’il écrivait son roman. La
structure minimaliste transforme rapidement la musique en un fond sonore
hypnotique, tandis que l’écriture vocale se cantonne au récitatif et met l’accent
sur la prosodie, ce qui met le texte en avant, si bien que l’on finit par ne
plus s’intéresser qu’à ce dernier et au jeu des chanteurs-acteurs. Cette
non-musique assénée en boucle jusqu’à l’abrutissement est d’autant plus anémiée
que « l’orchestration » est réduite à trois pianos quart de queue
réunis dans la fosse dextrement tenus ici par trois musiciens infaillibles,
Anne-Céline Barrère, Nicolaï Maslenko et Emmanuel Olivier, directeur musical du
spectacle présenté à l’Athénée.
Guillaume Andrieux (Paul). Photo : DR
En effet, trois ans après en avoir
donné la création française de l’ouvrage dans une production de Paul Desveaux,
le Théâtre de l’Athénée reprend en ce moment les Enfants terribles de Philip Glass, cette fois dans une mise en
scène de Stéphane Vérité conçue voilà un an pour l’Opéra de Bordeaux en
coproduction avec le Teatro Arriaga de Bilbao avec une distribution de jeunes
chanteurs ayant l’âge des rôles. Stéphane Vérité signe une mise en scène
retenue et concise qui souligne les troubles et tensions sentimentaux des
personnages. A la façon d’un huis-clos, les mouvements sont réduits au strict minimum,
mais suffisamment déterminés pour suggérer le cadre des diverses scènes, ce qui
permet au metteur en scène de jouer sur le geste et l’intimité expressive du
cinéma, impression plus prégnante encore avec la promiscuité que permettent les
volumes réduits du Théâtre de l’Athénée. L’action se déploie au cœur d’un décor
unique conçu et éclairé par Stéphane Vérité fait d’un puis de deux lits et de
chaises diversement répartis sur un tapis au pied d’un écran qui occupe toute la
largeur du fond de scène où sont diffusées de belles et glaciales images
numériques réalisées par Romain Sosso.
Chloé Briot (Elisabeth). Photo : DR
Constituée de quatre jeunes
chanteurs en début de carrière, la distribution est homogène et en phase avec
le sujet. Frère et sœur sont parfaitement campés par Chloé Briot (Elisabeth) et
Guillaume Andrieux (Paul), tant sur la plan vocal que physique. Leurs deux partenaires
sont un peu moins convaincants, Amaya Dominguez (Agathe) en raison d’une diction
défaillante, Olivier Dumait (Gérard et le narrateur) à cause d’une ligne de
chant mal dominée dans l’aigu - mais il est vrai qu’il lui faut constamment
passer du chant au parler. Néanmoins, les quatre protagonistes sont tous
excellents comédiens, servant de façon irréprochable le texte de Jean Cocteau si
efficacement condensé par Philip Glass et Susan Marshall que l’on fait
rapidement abstraction de la musique robotisée du premier…
Bruno Serrou
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