Paris, Salle Pleyel, mercredi 7 novembre 2012
Christian Tetzlaff, l'Orchestre de Paris et Neeme Järvi répétant le Concerto n° 3 de Mozart. Photo : DR Orchestre de Paris
L’Orchestre de Paris a offert hier soir à son
public venu en nombre un concert pour le moins enthousiasmant. Pourtant, le
programme bien pensé - deux œuvres créées en France dans les années 1910 qui entouraient
deux pages concertantes conçues à plus de deux siècles de distance mais
permettant de juger de l’universalité d’un violoniste de très grande classe -,
avait commencé à petits pas, avec une interprétation peu convaincante parce que
peu convaincue du Tombeau de Couperin
de Maurice Ravel. Une lecture un brin froide et manquant de peps. Et même si l’on
sait qu’e le compositeur a dédié chacun des quatre volets de sa suite à un
soldat mort au combat sur les champs de bataille de la Première Guerre
mondiale, Ravel réinvente surtout le classicisme français à travers la figure
de Couperin et, surtout, celle de Jean-Philippe Rameau. Or, la vision de Järvi
évoquait davantage la gravité du tombeau que la grâce fruitée du baroque,
tandis que la direction a manqué d'énergie, particulièrement dans le menuet, trop
lent comme vidé de sa substance, malgré un orchestre chatoyant.
Christian Tetzlaff - Photo : DR
En revanche, le classicisme et la sensualité viennois étaient bel et bien présents dans le Concerto n° 3 en sol majeur KV. 216 de Mozart. Un orchestre splendide (les cordes), notamment dans le menuet d’une lumineuse sensualité, avec un Tetzlaff éblouissant, raffiné, gourmand, primesautier, voluptueux, étincelant, bien dans l’esprit de Mozart. Pénétrant dans son approche des œuvres, le violoniste allemand, qui avait brillamment ouvert la saison de Pleyel le 7 septembre avec l’Orchestre Symphonique de Saint-Louis dans un éblouissant Concerto de Beethoven (voir ce blog en date du 9 septembre 2012 http://brunoserrou.blogspot.fr/2012/09/le-saint-louis-symphony-son-directeur.html) quatre mois après un remarquable Concerto n° 1 de Karol Szymanowski avec le London Symphony Orchestra dirigé par Péter Eötvös (voir ce blog en date du 2 mai 2012, http://brunoserrou.blogspot.fr/2012/05/peter-eotvos-dirige-mardi-le-premier.html), aussi à l’aise dans le répertoire contemporain, comme il l’a prouvé avec maestria dans le beau poème nocturne pour violon et orchestre d’Henri Dutilleux, Sur le même accord, composé à la demande d’Anne-Sophie Mutter (1). Œuvre d’un compositeur de 85 printemps - dont l'absence a été fort remarquée hier, tant il a toujours été présent lorsque l’une de ses œuvres est programmée -, maître de son art, qui se fait ici à la fois rigoureux dans ses structures et expressif dans ses intentions, cette page d’un seul tenant mais clairement divisée en trois sections (vif-lent-vif), est riche en timbres, rythmes, et technique violonistique. Tetzlaff en a brossé une lecture vif-argent, poétique et charnelle magnifiée par une technique au cordeau ; du grand art. Avec son bis attendu, une sarabande de Jean-Sébastien Bach, Tetzlaff a confirmé combien il est à l’aise dans tous les répertoires et quelle que soit la configuration.
Igor Stravinski. Photo : DR
Mais le moment le plus attendu était Le Sacre du Printemps d’Igor Stravinski
qui a occupé toute la seconde partie du concert. Cette œuvre qui célèbrera le
centenaire de sa création le 29 mai prochain au Théâtre des Champs-Elysées,
également centenaire, est programmée neuf fois par l’Orchestre de Paris les
prochaines semaines, à Pleyel ce soir, dans un environnement moins intéressant
qu’hier, en Allemagne et en Suisse dans le cadre de sa proche tournée (12-21
novembre). Dès son solo introductif ensommeillé et nostalgique au velouté inouï,
le fagott solo (formidable Giorgio Mandelosi) donne le ton de l’œuvre entière,
qui va se révéler d’une intensité et d’un panache extrême, tant instrumental
que rythmique, mais aussi onirique et épique. Si la vision de Paavo Järvi n’a
pas la fermeté et la nervosité de celles de Pierre Boulez, qui excellait dans
cette partition d’une énergie implacable, le chef estonien sait faire chanter
l’orchestre tout en se faisant tellurique et respirer les solistes à qui il
laisse la bride sur le cou tout en les sollicitant dextrement. Concentrés et heureux
de jouer, les musiciens se sont investis sans retenue tout en restant
concentrés et à l’écoute, menant des crescendos incandescents, les fortississimi restant toujours audibles
et limpides à l’exception du pénultième, laissant ainsi la polyphonie s’embraser.
Le public en a eu à plusieurs reprises le souffle coupé, scotché sur les
fauteuils, pour finalement se lever comme un seul homme à peine le dernier tutti martelé. Seule infime réserve,
l’anacrouse en forme de clin d’œil des bois avant la mesure finale articulée
par l’orchestre entier, curieusement retenue au point de contraindre la
conclusion au risque de paraître inopportun, cette pirouette de Stravinski se devant
d’être exposée à la vitesse de la paupière clignotant sur la prunelle. C’est en
toute équité que Järvi a salué l’orchestre entier, qui rayonnait de bonheur à
la fin de cette extraordinaire prestation, faisant se lever tour à tour les pupitres
qui se sont donnés sans compter, chacun des solistes suscitant des volées
d’applaudissements bien sonores (Giorgio Mandelosi, déjà cité, et Marc Trénel, Philippe Aïche, l'ensemble des altos menés par Ana Bela Chaves, Vicens Prats et Vincent Lucas, Florence Souchard-Delépine, Anaïs Benoit, Alexandre Gattet et Michel Bénet, Gildas Prado, Philippe Berrod et Pascal Moraguès, Olivier Derbesse, Philippe-Olivier Devaux, André Cazalet, Frédéric Mellardi et Bruno Tomba, Benjamin Gallon, Stéphane Labeyrie et Frédéric Macarez).
Malgré - ou à cause de ? - la qualité
du programme et de la prestation des protagonistes, le public n’a pu s’empêcher
de se manifester bruyamment, comme ces
deux femmes d’un âge certain qui n’on cessé de commenter à haute voix les
prouesses de l’orchestre, du chef et les propriétés des œuvres comme si elles
étaient seules devant leur poste de télévision. Et, à tout moment, surtout les
plus imperceptibles, les toux et éternuements bien appuyés ont ponctué œuvres
et pauses, trahissant un manque de respect d’autrui toujours plus prégnant, du moins à Paris.
Bruno Serrou
1) Y aurait-il anguille sous roche ? C’est
la question que l’on a pu se poser hier soir, tant, après sa double prestation,
Christian Tetzlaff, qui a enregistré sous la direction de Pierre Boulez le Concerto n° 1 de Karol Szymanowski (CD DG), a été plus qu’entouré, carrément couvé et choyé, par des
décideurs comme Laurent Bayle, directeur de la Salle Pleyel, Georges Zeisel,
directeur de ProQuartet, Didier de Cottignies, directeur artistique de
l’Orchestre de Paris... Serait-ce en raison du désistement d’Anne-Sophie Mutter pour Anthèmes
3 que Pierre Boulez est en train de peaufiner, en raison de l’ajout de l’électronique en temps
réel, originellement prévue pour violon et petit orchestre sans
électronique pour le centième anniversaire de la naissance de Paul Sacher en
2006, Anne-Sophie Mutter, qui en était la destinataire, aurait reculé devant le
fait que le projet intègre l’électronique live associée à un grand orchestre, à
l’instar du Concerto pour piano Echo-Daimónon de Philippe Manoury (voir
dans ce blog en date du 2 juin 2012 http://brunoserrou.blogspot.fr/2012/06/une-splendide-creation-de-philippe.html).
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