Paris. Piano****. Théâtre des Champs-Elysées. Vendredi 17 novembre 2023
Découvert voilà sept ans dans la foulée de sa victoire au prestigieux
Concours Tchaïkovski lors d’un récital au Festival de La Roque d’Anthéron donné
Parc du château de Florans le 29 juillet 2016 (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2016/07/deux-futurs-grands-du-piano-enluminent.html),
Dmitry Masleev se produit depuis lors régulièrement en France où chacune de ses
prestations confirme l’impression laissée à cette occasion, l’un des grands pianistes
de la génération née dans les années 1980. Cette fois, c’est dans un programme
remarquablement construit qu’il a littéralement charmé le Théâtre des
Champs-Elysées
Dmitry Masleev est un artiste impressionnant.
Chez lui, tout est musique, et de toute évidence il ne pense qu’à elle. Il n’est
jamais démonstratif, il reste au contraire constamment concentré, empli des partitions qu’il interprète
et du piano sur lequel il joue, semblant sur une autre planète. A la fin de chaque pièce, il ne s'attarde point
sur les saluts, se limitant à un sommaire
lever du corps et d’un baisser de tête et d'épaules, pour retourner le plus rapidement possible à son clavier
et donner tout ce qu’il a en lui de musique, de technique pure, de couleurs, d’expressivité.
Tel un véritable florilège alternant pages de virtuosité et élégiaques, son programme
a commencé sur une Sonate de Nikolaï Medtner (1879-1951), compositeur
rare encore quoique de plus en plus programmé soixante-douze ans après sa mort
en exil à Londres, ce virulent opposant de l’avant-garde, qu’il qualifiait
d’hérésie, était un admirateur de Serge Rachmaninov (1873-1943), à qui il dédia
son deuxième concerto pour piano. De cet auteur de quatorze sonates pour piano, c’est
la deuxième que Masleev a retenue pour son récital. Cette Sonate « Reminiscenza » op. 38/1 a été conçue en 1918 en
un seul mouvement et se situe clairement dans le romantisme allemand, ignorant
bel et bien la révolution Scriabine. Sur son Steinway fort bien réglé, Masleev a
restitué avec délicatesse le caractère sombre et feutré de cette musique. Serge
Rachmaninov a donc naturellement succédé dans ce récital à Medtner, avec un vertigineux
arrangement du Scherzo du Songe d’une Nuit d’Eté de Félix Mendelssohn-Bartholdy
(1809-1847), qui a préludé à deux œuvres plus nostalgiques jouées avec une
noble pénétration, le Nocturne n° 3 en ré
mineur composé en 1902 par Mily Balakirev (1837-1910), qui, avec sa
première partie intimiste et mélancolique et sa seconde partie fiévreuse avant
de s’évaporer dans l’extrême aigu, associe le double héritage de Glinka et de
Chopin, suivi du nostalgique Nocturne
en fa mineur intitulé « La Séparation »
que Mikhaïl Glinka (1804-1857) écrit en 1839 pour le départ de sa sœur
Elizaveta du cocon familial, préludant à la conclusion de première partie du
concert sur une impressionnante et magistrale interprétation d’Une Nuit sur le Mont Chauve de Modest
Moussorgski dans l’adaptation pour piano de Konstantin Chernov (1865-1937).
C’est avec L’Alouette, romance pour voix composée par Mikhaïl Glinka en 1840 transcrite pour piano par Mili Balakirev après la mort de son aîné que Dmitry Masleev a débuté la seconde partie de son récital dans un feu d’artifice de virtuosité virevoltante sans artifices ni gesticulation parasitaires. C’est ainsi que ses Rachmaninov atteignent le sublime, tant ses mains immenses semblent avoir été modelées pour les œuvres de son aîné. Ses vingt Variations sur un thème de Corelli op. 42 composées en 1931 par Rachmaninov, alors installé en forêt de Rambouillet, d’après la Sonate pour violon, violone et clavecin op. 5/12 du compositeur italien Arcangelo Corelli (1653-1713) lui-même inspiré d’un thème populaire des Folies d’Espagne. Masleev en a donné tout ce qu’elle contient de diversité esthétique, depuis l’Andante initial où est exposé le thème baroque, jusqu’au postromantisme dont Rachmaninov est l’un des apôtres, en passant par ce qu’elle doit à Chopin et à Liszt. Enchaînant ces pages de Rachmaninov inspirées d’un thème d’origine ibérique, Masleev a porté son dévolu sur la Sérénade op. 40/5 de César Cui (1835-1918) emplie d’espagnolades, rendant à la perfection caractère et rythmes, comme il l’a fait dans la pièce avec laquelle il a choisi de conclure son récital, la Rhapsodie espagnole S. 254 écrite en 1863 par Franz Liszt (1811-1886) qui se présente elle aussi sous la forme de brillantes variations pour piano et s’inspire également de La Folia, à l’instar de celles de Corelli, tandis que Liszt est ici clairement marqué par Glinka.
A ce programme fourni et d’une grande variété cimenté par une structure particulièrement élaborée, Dmitry Masleev a ajouté deux bis, un arrangement pour piano de l’Adagio du Concerto pour hautbois en fa majeur BWV 1053 de Jean-Sébastien Bach (1685-1750), et sa coutumière page jazzy de son ami compositeur d’origine ukrainienne Nikolaï Kapoustine (1937-2020).
A noter que Dmitry Masleev vient de publier chez Mirare un CD (1) conçu autour des Saisons de Tchaïkovski, complété par des pages de Glinka, Cui, Balakirev et Moussorgski, dont certaines jouées dans le cadre du récital de ce jeudi.
Bruno Serrou
1) 1 CD Mirare MIR704. Durée : 1 h 12 mn. Enregistré en juin 1922 et
juin 1923. DDD
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