La Roque d’Anthéron (Bouches-du-Rhône). Festival international de piano. Parc du château
de Florans. Vendredi 29 juillet 2016
Photo : (c) Bruno Serrou
La crise économique et les
menaces d’attentats qui pèsent sur la France n’empêchent pas le public d’assister
en nombre aux concerts du Festival de La Roque d’Anthéron. Si l’on trouve
davantage de places libres côté cour, c’est-à-dire côté queue du piano, qu’antan,
c’est en raison d’une offre toujours plu large chaque année, la manifestation
proposant plusieurs rendez-vous en divers lieux au même moment. En fait, le seul signe ostantatoire sécuritaire, la présence de portiques électroniques de sécurité et de vigiles vérifiant le contenu des sacs des spectateurs.
Photo : (c) Christophe Gremiot
Vendredi, première des deux
journées auxquelles le journaliste que je suis a droit, à l'instar de tous mes confrères, deux jeunes pianistes ont
enchanté le Parc de Florans en ce début de deuxième week-end de la trente-sixième
édition du Festival international de piano de La Roque d’Anthéron. L’un est
Français, Tanguy de Williancourt, l’autre Russe, Dmitry Malseev. Tous deux sont
de la génération de la fin des années quatre-vingt, le premier en 1990 à Paris,
le second en 1988 à Oulan-Oude en Sibérie, et ont choisi de s’exprimer sur le
même instrument, un somptueux Blüthner.
Tanguy de Williancourt. Photo : (c) Christophe Gremiot
Les instruments de cette marque
de Leipzig fort prisée dès sa constitution en 1853, ayant notamment fait le
bonheur de Richard Wagner et, surtout, de Richard Strauss qui en possédait deux
dans sa maison de Garmisch-Partenkirchen, revient par la grande porte depuis la
chute du mur de Berlin. Ces pianos restent néanmoins rares, puisque seuls
trois-cents exemplaires sont produits chaque année, auxquels peuvent s’ajouter
des commandes spéciales. Les sonorités veloutées et égales sur la largeur du
clavier, certes moins étincelantes que celles du Steinway et sans la fêlure du
milieu du clavier souvent gênante de la marque de Hambourg et New York, ont aussi envoûtté les gradins de l’amphithéâtre du parc.
Tanguy de Williancourt. Photo : (c) Christophe Gremiot
La prestation de Tanguy de
Williancourt s’est avérée prometteuse dès la lecture du programme,
particulièrement pensé. C’est en effet sur les Six Bagatelles op. 126 de Beethoven que cet élève de Roger Muraro,
Claire Désert et Jean-Frédéric Neuburger (1) a commencé son récital, dans une
interprétation poétique et toute en souplesse, le geste sans affectation, le port
du corps bien dans l’instrument et les doigts courant sur le clavier sans y
toucher, à la façon de son maître Roger Muraro. Cet onirisme et cette vélocité
se sont brillamment imposés dans une interprétation flamboyante et
singulièrement contrastée de la Sonate en
si mineur de Liszt à laquelle le jeune pianiste français a donné la
dimension d’un immense poème symphonique. En bis, Williancourt ne s’est pas
moqué d’un public qu’il avait tenu en haleine d’un bout à l’autre de sa
performance, en lui offrant une magnifique version de la Liebestod de Tristan und
Isolde de Wagner dans sa transcription pour piano de Liszt, avant de
conclure dans la tendresse d’une Bagatelle
op. 33 de Beethoven.
Dmitry Malseev. Photo : (c) Christophe Gremiot
A 21h30, sous la même coque du
Parc du château de Florans, Dmitry Malseev a donné son tout premier récital en
France. Pour l’occasion, il a présenté un programme plus éclectique que celui
de son cadet de deux ans, mais conçu pour démontrer la diversité de son talent.
Vainqueur du prestigieux Concours Tchaïkovski 2016 section piano devant un jury
présidé par Valéry Gergiev, le jeune russe a commencé son récital avec la Partita n° 1 en si bémol majeur BWV. 825
de J.-S. Bach avec laquelle il n’est pas
apparu à son affaire. Au-delà d’infimes problèmes techniques, Malseev est resté
distant et froid dans ces pages d’une poésie pourtant évanescente, le chant s’avérant
glacial et les sonorités trop dures. La Sonate
n° 2 en sol mineur op. 22 de Schumann s’est avérée un rien mécanique, et l’on
était loin du miracle de la jeune Brigitte Engerer, elle-même formée à l’école
russe, qui s’était imposée dès son premier disque publié chez Harmonia Mundi
voilà une quarantaine d’années. Mais après ce long échauffement, cet élève de
Mikhaïl Petukhov s’est enfin révélé en offrant un lied de Schubert Auf dem Wasser zu singen D. 774
transcrit par Liszt d’une poésie enchanteresse, avant de conclure sa première
partie de concert sur un brillantissime Wilde
Jagd (Chasse sauvage), huitième
des Douze Etudes d’exécution transcendante
S. 139 de Liszt d’une densité et d’une sereine vélocité.
Dmitry Malseev. Photo : (c) Christophe Gremiot
Avec les quatre
des Dix-huit Pièces op. 72 de
Tchaïkovski qu’il a choisies, Masleev s’est illustré par sa sensibilité, son
humour et sa digitalité exceptionnelle, au point que l’on se demande pourquoi
ces pages sont si peu jouées, y compris en bis. Alternant morceaux élégiaques
et brillants, le pianiste russe a démontré combien Tchaïkovski n’est pas
seulement un compositeur dramatique au pathos surdimensionné mais aussi un
poète sachant sourire à la vie. L’on ressent notamment ce qui relie Tchaïkovski
et Debussy dans l’ultime pièce opus 72, Scène dansante, emplie de mélodies aux
élans populaires et enfantins. Rare encore, Nikolaï Medtner (1879-1951) apparaît
de plus en plus sur le devant de la scène, soixante-cinq ans après sa mort en
exil à Londres. Ce virulent opposant à l’avant-garde, qu’il qualifiait d’hérésie,
était un admirateur de Rachmaninov, à qui il dédiera son deuxième concerto pour
piano. Auteur de quatorze sonates pour piano, c’est la deuxième que Masleev a
présentée au public de La Roque d’Anthéron. Cette Sonate « Reminiscenza » op. 38/1 a été conçue en 1918 en
un seul mouvement et se situe clairement dans le romantisme allemand, ignorant
bel et bien la révolution Scriabine. Les spécificités du piano Blüthner se sont
avérées parfaitement adaptée à cette musique sombre et feutrée, tandis que la Danse macabre de Saint-Saëns dans sa
réduction pour piano à deux mains réalisées par Vladimir Horowitz ont été
stupéfiantes de brio, de flamboyance, de maîtrise technique et sonore. Malseev
a continué à illustrer la variété de son talent dans ses deux bis, tout d’abord
dans une page de l’ère classique, avec un chaleureux Rondo Presto de la Sonate en
ut majeur Hob. XVI : 48 de J. Haydn suivi d’une jazzistique Etude n° 3 « Toccatina » op. 40
de Nikolaï Kapoustine…
Bruno Serrou
1) Tanguy de Williancourt donnera
en création mondiale une œuvre pour piano seul de Jean-Frédéric Neuburger le 4
septembre prochain à Paris, dans le cadre du Festival Les Solistes de Bagatelle.
Il est à noter que Tanguy de Williancourt a également suivi les cours de
direction d’orchestre d’Alain Altinoglu.
2) Dmitry Malseev sera à la
Philharmonie de Paris le 20 septembre prochain avec tous les lauréats du
Concours Tchaïkovski de Moscou 2016 sous la houlette de Valery Gergiev.
Tout à fait d'accord pour saluer la prestation remarquable de Tanguy de Williencourt.Comparé à lui le jeu de Dmitry Malseev, certes brillant et acéré dans la deuxième partie, a paru peu sûr dans Bach et Schumann et, au-delà des dérapages assez nombreux, assez contraint dans l'expression.
RépondreSupprimerMerci pour cette revue. On s'y croirait !
RépondreSupprimer