samedi 30 juillet 2016

Deux futurs grands du piano enluminent La Roque d’Anthéron, Tanguy de Williancourt et Dmitry Malseev

La Roque d’Anthéron (Bouches-du-Rhône). Festival international de piano. Parc du château de Florans. Vendredi 29 juillet 2016

Photo : (c) Bruno Serrou

La crise économique et les menaces d’attentats qui pèsent sur la France n’empêchent pas le public d’assister en nombre aux concerts du Festival de La Roque d’Anthéron. Si l’on trouve davantage de places libres côté cour, c’est-à-dire côté queue du piano, qu’antan, c’est en raison d’une offre toujours plu large chaque année, la manifestation proposant plusieurs rendez-vous en divers lieux au même moment. En fait, le seul signe ostantatoire sécuritaire, la présence de portiques électroniques de sécurité et de vigiles vérifiant le contenu des sacs des spectateurs.

Photo : (c) Christophe Gremiot

Vendredi, première des deux journées auxquelles le journaliste que je suis a droit, à l'instar de tous mes confrères, deux jeunes pianistes ont enchanté le Parc de Florans en ce début de deuxième week-end de la trente-sixième édition du Festival international de piano de La Roque d’Anthéron. L’un est Français, Tanguy de Williancourt, l’autre Russe, Dmitry Malseev. Tous deux sont de la génération de la fin des années quatre-vingt, le premier en 1990 à Paris, le second en 1988 à Oulan-Oude en Sibérie, et ont choisi de s’exprimer sur le même instrument, un somptueux Blüthner.

Tanguy de Williancourt. Photo : (c) Christophe Gremiot

Les instruments de cette marque de Leipzig fort prisée dès sa constitution en 1853, ayant notamment fait le bonheur de Richard Wagner et, surtout, de Richard Strauss qui en possédait deux dans sa maison de Garmisch-Partenkirchen, revient par la grande porte depuis la chute du mur de Berlin. Ces pianos restent néanmoins rares, puisque seuls trois-cents exemplaires sont produits chaque année, auxquels peuvent s’ajouter des commandes spéciales. Les sonorités veloutées et égales sur la largeur du clavier, certes moins étincelantes que celles du Steinway et sans la fêlure du milieu du clavier souvent gênante de la marque de Hambourg et New York, ont aussi envoûtté les gradins de l’amphithéâtre du parc.

Tanguy de Williancourt. Photo : (c) Christophe Gremiot

La prestation de Tanguy de Williancourt s’est avérée prometteuse dès la lecture du programme, particulièrement pensé. C’est en effet sur les Six Bagatelles op. 126 de Beethoven que cet élève de Roger Muraro, Claire Désert et Jean-Frédéric Neuburger (1) a commencé son récital, dans une interprétation poétique et toute en souplesse, le geste sans affectation, le port du corps bien dans l’instrument et les doigts courant sur le clavier sans y toucher, à la façon de son maître Roger Muraro. Cet onirisme et cette vélocité se sont brillamment imposés dans une interprétation flamboyante et singulièrement contrastée de la Sonate en si mineur de Liszt à laquelle le jeune pianiste français a donné la dimension d’un immense poème symphonique. En bis, Williancourt ne s’est pas moqué d’un public qu’il avait tenu en haleine d’un bout à l’autre de sa performance, en lui offrant une magnifique version de la Liebestod de Tristan und Isolde de Wagner dans sa transcription pour piano de Liszt, avant de conclure dans la tendresse d’une Bagatelle op. 33 de Beethoven.

Dmitry Malseev. Photo : (c) Christophe Gremiot

A 21h30, sous la même coque du Parc du château de Florans, Dmitry Malseev a donné son tout premier récital en France. Pour l’occasion, il a présenté un programme plus éclectique que celui de son cadet de deux ans, mais conçu pour démontrer la diversité de son talent. Vainqueur du prestigieux Concours Tchaïkovski 2016 section piano devant un jury présidé par Valéry Gergiev, le jeune russe a commencé son récital avec la Partita n° 1 en si bémol majeur BWV. 825 de J.-S. Bach  avec laquelle il n’est pas apparu à son affaire. Au-delà d’infimes problèmes techniques, Malseev est resté distant et froid dans ces pages d’une poésie pourtant évanescente, le chant s’avérant glacial et les sonorités trop dures. La Sonate n° 2 en sol mineur op. 22 de Schumann s’est avérée un rien mécanique, et l’on était loin du miracle de la jeune Brigitte Engerer, elle-même formée à l’école russe, qui s’était imposée dès son premier disque publié chez Harmonia Mundi voilà une quarantaine d’années. Mais après ce long échauffement, cet élève de Mikhaïl Petukhov s’est enfin révélé en offrant un lied de Schubert Auf dem Wasser zu singen D. 774 transcrit par Liszt d’une poésie enchanteresse, avant de conclure sa première partie de concert sur un brillantissime Wilde Jagd (Chasse sauvage), huitième des Douze Etudes d’exécution transcendante S. 139 de Liszt d’une densité et d’une sereine vélocité. 

Dmitry Malseev. Photo : (c) Christophe Gremiot

Avec les quatre des Dix-huit Pièces op. 72 de Tchaïkovski qu’il a choisies, Masleev s’est illustré par sa sensibilité, son humour et sa digitalité exceptionnelle, au point que l’on se demande pourquoi ces pages sont si peu jouées, y compris en bis. Alternant morceaux élégiaques et brillants, le pianiste russe a démontré combien Tchaïkovski n’est pas seulement un compositeur dramatique au pathos surdimensionné mais aussi un poète sachant sourire à la vie. L’on ressent notamment ce qui relie Tchaïkovski et Debussy dans l’ultime pièce opus 72, Scène dansante, emplie de mélodies aux élans populaires et enfantins. Rare encore, Nikolaï Medtner (1879-1951) apparaît de plus en plus sur le devant de la scène, soixante-cinq ans après sa mort en exil à Londres. Ce virulent opposant à l’avant-garde, qu’il qualifiait d’hérésie, était un admirateur de Rachmaninov, à qui il dédiera son deuxième concerto pour piano. Auteur de quatorze sonates pour piano, c’est la deuxième que Masleev a présentée au public de La Roque d’Anthéron. Cette Sonate « Reminiscenza » op. 38/1 a été conçue en 1918 en un seul mouvement et se situe clairement dans le romantisme allemand, ignorant bel et bien la révolution Scriabine. Les spécificités du piano Blüthner se sont avérées parfaitement adaptée à cette musique sombre et feutrée, tandis que la Danse macabre de Saint-Saëns dans sa réduction pour piano à deux mains réalisées par Vladimir Horowitz ont été stupéfiantes de brio, de flamboyance, de maîtrise technique et sonore. Malseev a continué à illustrer la variété de son talent dans ses deux bis, tout d’abord dans une page de l’ère classique, avec un chaleureux Rondo Presto de la Sonate en ut majeur Hob. XVI : 48 de J. Haydn suivi d’une jazzistique Etude n° 3 « Toccatina » op. 40 de Nikolaï Kapoustine…

Bruno Serrou

1) Tanguy de Williancourt donnera en création mondiale une œuvre pour piano seul de Jean-Frédéric Neuburger le 4 septembre prochain à Paris, dans le cadre du Festival Les Solistes de Bagatelle. Il est à noter que Tanguy de Williancourt a également suivi les cours de direction d’orchestre d’Alain Altinoglu.
2) Dmitry Malseev sera à la Philharmonie de Paris le 20 septembre prochain avec tous les lauréats du Concours Tchaïkovski de Moscou 2016 sous la houlette de Valery Gergiev. 

2 commentaires:

  1. Tout à fait d'accord pour saluer la prestation remarquable de Tanguy de Williencourt.Comparé à lui le jeu de Dmitry Malseev, certes brillant et acéré dans la deuxième partie, a paru peu sûr dans Bach et Schumann et, au-delà des dérapages assez nombreux, assez contraint dans l'expression.

    RépondreSupprimer
  2. Merci pour cette revue. On s'y croirait !

    RépondreSupprimer