mardi 29 septembre 2020

Picasso et la musique, superbe exposition à la Philharmonie de Paris

Paris. Philharmonie. Les Musiques de Picasso. Lundi 22 septembre 2020

Photo : (c) Bruno Serrou

Dans la ligne de ses grandes expositions thématiques autour de la musique, plus particulièrement de celles consacrées à Paul Klee (Paul Klee : Polyphonies) en 2011 et à Marc Chagall (Marc Chagall, le triomphe de la musique) en 2015, la Philharmonie de Paris consacre jusqu’au 3 janvier prochain une exposition sur Pablo Picasso et à ses relations à la musique, ou plutôt « ses musiques », tandis que le grand peintre andalou, à l’instar de Victor Hugo, disait à qui voulait l’entendre ne pas aimer la musique : « Au fond quand on parle d’art abstrait, on dit toujours que c’est de la musique, remarquait Picasso à Hélène Parmelin. Quand on veut en dire du bien on parle musique. Je crois que c’est pour ça que je n’aime pas la musique. » 

Arlequin à la guitare, Paris, 1918. Photo : (c) Bruno Serrou

Une déclaration de Picasso qui peut surprendre quand on sait ses relations avec les compositeurs et les chorégraphes, les musiques traditionnelles, populaires et savantes, ses tableaux et sculptures où figurent musiciens, danseurs, instruments de musique qu’il se plaisait à collectionner (violons, luths, mandolines, banjo, cithares, guitares, balalaïka, clarinette, flûte de pan, diaules, tambours, tambourins, xylophone bala et tenora, épinette des Vosges, harpe, orgues de barbarie, clairons, etc.), violonistes croqués dans les rues de Barcelone, joueurs de flûte peints à Mougins, orchestres, saltimbanques, musiciens de cirques, fanfares, corridas, guitaristes et guitares cubistes, aubades, danseurs, ballets, ses amitiés avec les compositeurs comme Stravinski, Satie, Falla, Poulenc, Auric, Honegger, ses rencontres avec Rostropovitch, Manitas de Plata et sa troupe de gitans, pour le flamenco, les coplas andalous.

Joueur de diaule assis (1956), Joueur de flûte debout (1956), Joueur de diaule (1954-1956). Photo : (c) Bruno Serrou

L’importance accordée par Picasso à la musique en tant que sujet d’inspiration place l’artiste espagnol dans la tradition de l’art pictural remontant à l’antiquité, se prolongeant au Moyen Âge et à la Renaissance, pour s’épanouir au XIXe siècle et jusqu’à nos jours, avec compositions et natures mortes, et se plaçant dans l’esprit de Renoir, Degas et Toulouse-Lautrec dans ses scènes de danse et de cabaret.

Homme à la mandoline, Paris, automne 1911. Photo : (c) Bruno Serrou

C’est Jean Cocteau rencontré par l’intermédiaire d’Edgar Varèse avant le départ de ce dernier pour les Etats-Unis, qui lui propose de collaborer au ballet Parade composé par Erik Satie, et qu’il fait la connaissance des compositeurs du Groupe des Six (Georges Auric, Louis Durey, Arthur Honegger, Darius Milhaud, Francis Poulenc, Germaine Tailleferre) pour lequel il réalise le frontispice du livret Le Coq et l’Arlequin, ainsi qu’Igor Stravinski et Serge de Diaghilev, le directeur fondateur des Ballets Russes. Ainsi conçoit-il décors, costumes, rideaux de scène des ballets Le Tricorne de Falla, Parade de Satie, Pulcinella de Stravinski, il fréquente les compositeurs Maurice Ravel, Jean Wiéner, Virgil Thomson, René Leibowitz, Luigi Nono, les chefs d’orchestre Ernest Ansermet, Igor Markevitch, les instrumentistes Pablo Casals, Alfred Cortot, Wanda Landowska, Sviatoslav Richter, Arthur Rubinstein, Andrés Segovia, jusqu’au chanteur d’opérette Luis Mariano…

Costumes de Picasso pour le ballet Parade d'Erik Satie, Paris 1917. Photo : (c) Bruno Serrou

Présentée en neuf sections, placée sous la brillante autorité de Cécile Godefroy, commissaire du projet, sous les conseils avisés de la musicologue Elise Petit, l’exposition rassemble une vingtaine d’instruments de musique ayant appartenu à Picasso. Accueilli par l’installation intitulée Le Chant des Mondes qui réunit trois grandes sculptures représentant trois joueurs de flûte et de diaule tandis que l’on entend les sons de la nature venus des hauteurs de Cannes où vivait alors Picasso dans les années 1950, le visiteur suit un parcours qui le conduit en huit escales ; Musiques d’Espagne, où l’artiste, Andalou de naissance et Catalan de cœur, vit jusqu’en 1904 avant d'y séjourner régulièrement jusqu’en 1934, et dont il n’oubliera jamais les accents et les couleurs, assistant souvent à des corridas et aimant se plonger dans les chants et les danses flamenco et les musiques gitanes. La deuxième section, Le Musicien Arlequin, où l’on retrouve Picasso à Paris, où il fréquente les cabarets, les cafés-concerts et les salles de spectacle de la place de Clichy, se liant aux poètes Max Jacob et Guillaume Apollinaire, ainsi que la chanteuse Yvette Guilbert. La troisième section est consacrée aux Instruments cubistes, présents dans la peinture de Picasso dès 1909 qu’il décline sur une grande variété de supports et de techniques en deux et trois dimensions et dont il fera une source d’inspiration de premier plan dans l’aventure cubiste. 

Violon, Paris 1915. Photo : (c) Bruno Serrou

La section 4, Musique et Poésie, montre combien la relation de Picasso avec Guillaume Apollinaire a été déterminante, avec la guitare déclinée sous toutes les formes, et les poèmes que le peintre compose et qui renvoient aux rythmes entêtants du taconeo et des palmas du flamenco. Les sections 5 et 6 présentent la part la plus connue de la création de Picasso, puisqu’il s’agit des Ballets et de ses Amitiés musicales

Partie de la collection privée d'instruments de musique de Pablo Picasso. Photo : (c) Bruno Serrou

Intitulée Aubades, la Section 7 démontre combien Picasso dans les années 1930 était empli de l’iconographie remontant à l’Antiquité, avec bergers musiciens, muses incarnant le bonheur pastoral, la sensualité solaire. La Flûte de pan, thème de la huitième section, tient dans l’œuvre de Picasso une place centrale dans le cadre de sa période néoclassique, où la musique se fait célébration. 

L'Aubade, Mougins, 19-20 janvier 1965. Photo : (c) Bruno Serrou

L’exposition se termine sur les derniers tableaux de Picasso peints à Mougins entre 1966 et 1972, présentés sous l’intitulé Le Peintre-Musicien, l’artiste s’y incarnant sous les traits de musiciens, guitariste ou flûtiste, au sein de rondes champêtres, d’aubades et de concerts intimes à l’érotisme exacerbé, comme une ultime célébration dionysiaque avant la mort.

Danseuse et guitariste, 29 janvier 1954. Photo : (c) Bruno Serrou

Initialement prévue du 3 avril au 16 août 2020, reportée du 22 septembre 2020 au 3 janvier 2021, cette exposition remarquablement présentée (je recommande vivement au visiteur de se munir des écouteurs gracieusement mis à la disposition du public à l’entrée afin de goûter aux illustrations sonores tout aussi denses qui accompagnent l’exposition) est à voir et à revoir à satiété, riche et multiple, reflet de l’imaginaire foisonnant du plus grand, du plus prolifique et du plus protéiforme des artistes du XXe siècle.

Bruno Serrou

Les Musiques de Picasso, Musée de la Musique, Philharmonie de Paris., jusqu’au 3 janvier 2021. Du mardi au jeudi, 11h-18h, du vendredi au dimanche 11h-20h (vacances scolaires mardi, mercredi, jeudi 10h-19h, samedi, dimanche 10h-20h). Tarifs : tarif plein : 12€ ; tarifs réduits : 9 et 6€. Renseignements et réservations : (+33) (0)1.44.84.44.84. www.philharmoniedeparis.fr/expo-picasso. 221, avenue Jean-Jaurès. 75019-Paris.

Publications : Catalogue de l’exposition Les Musiques de Picasso. Sous la direction de Cécile Godefroy. Coédition Gallimard / Philharmonie de Paris. 312 pages, 45€. Pour les enfants : Cahier d’activité Les Musiques de Picasso. Editions de la Philharmonie de Paris, 13,90€. Les Musiques de Picasso, carnet d’exposition de Cécile Godefroy. Découverte Gallimard, 9,50€. Disques : Les Musiques de Picasso, 2CD Harmonia Mundi, 11,50€.

mercredi 23 septembre 2020

Pour sa 38e édition, Musica de Strasbourg tourne une page d'histoire de la création musicale

Strasbourg. Musica. Palais de la musique et des congrès, Salle de la Bourse, Opéra national de Strasbourg. Vendredi 18, samedi 19, dimanche 20 septembre 2020

Beaucoup de changements pour le plus grand festival français voué à la création musicale qui fait son entrée dans le XXIe siècle 

Stéphane Roth (à gauche), directeur de Musica, entouré de journalistes. Photo : (c) Bruno Serrou

Le monde et les temps changent, y compris dans le champ de la création musicale. En deux ans le virage est impressionnant et symptomatique. Là où il y a deux ans Musica défendait une manière de penser la création dans l’héritage des mouvements et écoles successifs des avant-gardes, l’arrivée à sa tête l’an dernier d’un nouveau directeur artistique, Stéphane Roth, fait que le festival, qui se veut le reflet de la création d’aujourd’hui, se présente pour sa trente-huitième édition comme une « borne générationnelle ». 

La casse du piano n° 2 du Piano Concerto de Simon Steen-Andersen. Photo : (c) Bruno Serrou

« Nous en sommes à la post-musique savante, avertit Stéphane Roth. Voilà vingt ans que nous sommes au XXIe siècle, le XXe est donc déjà loin, et la définition de la musique a changé de logiciel. Aujourd’hui il y a la vidéo, les technologies informatiques, l’édition papier n’a presque plus cours, les musiques populaires sont devenues inventives, à l’instar du rap, qui l’est autant sur le plan musical que poétique, il a désormais ses Verlaine et ses Rimbaud... Mon moto est “à bas les catégories”, les génies créateurs sont partout. » Et plus besoin d’avoir fait de longues études de composition pour avoir du talent. A tel point qu’en deux éditions, le public a été renouvelé à soixante pour cent, tandis que les fidèles sont tout aussi nombreux qu’auparavant, bien qu’ils s’avouent « un peu déboussolés » tout en prêtant une oreille attentive à ce souffle nouveau. « Nous restons dans la continuité du projet initial de 1983, assure néanmoins Stéphane Roth, et nous avons créé un Minimusica qui s’adresse aux enfants de trois mois à douze ans, ainsi que des programmes spécifiques pour les diverses tranches d’âge jusqu’à 27 ans, avec des spectacles adaptés reflétant la programmation générale. »

Le dispositif de Run Time Error @Opel de Simon Steen-Andersen. Photo : (c) Bruno Serrou

Musica souhaite aussi se déployer sur l’ensemble du territoire de la région Grand-Est, avec des débordements transfrontaliers, Allemagne, Belgique, Luxembourg, et développer les coproductions avec les infrastructures locales et régionales, avec théâtres comme le Théâtre National de Strasbourg (TNS), Le Maillon, l’Opéra du Rhin, Orchestre Philharmonique de Strasbourg, l’Orchestre Symphonique de Mulhouse, les ensembles voués à la musique contemporaines, La Manufacture de Mulhouse, etc.

Stimmung de Karlheinz Stockhausen par l'ensemble vocal Les Métaboles. Photo : (c) Bruno Serrou

L’édition 2020 subit les aléas de l’épidémie de la Covid-19, avec des programmes fixés au tout dernier moment, puisqu’ils ont fini par être cristallisés peu de jours avant l’ouverture, en fonction des normes sanitaires strictement suivies quoique en constante évolution (quinze mille spectateurs en 2019, neuf mille en 2020). Ainsi, un certain nombre d’œuvres ont été déprogrammées pour être éventuellement reportées sur les prochaines éditions.

Le Trio Catch. Photo : (c) Bruno Serrou

Le week-end d’ouverture montre combien la musique planante plus ou moins vertébrée a le vent en poupe. Les tempos lentissimes, les œuvres sans début ni fin, sécables à volonté sont systématiques. Les ruptures de rythmes, d’atmosphères, les tensions et rémissions sont fort rares. Autant en musique pour orchestre que pour chœurs ou de chambre. Au point que l’on a l’impression de rester dans la même œuvre des heures entières, malgré les changements de compositeurs et d’effectifs.

Choeurs du lycée Stanislas de Wissembourg et du Schiller Gymnasium d'Offenburg dans Teenage Lontano de Marina Rosenfeld. Photo : (c) Bruno Serrou

Le compositeur-clef du premier week-end a été le Danois Simon Steen-Andersen (né en 1976). Sa musique use fréquemment d’instruments acoustiques amplifiés combinés à des samplers, de la vidéo, des objets courants ou de construction artisanale. Les œuvres qu’il a présentées se situent dans le monde industriel. Run Time Error @Opel pour orchestre (2015) est longue et monochrome, mais Piano Concerto, qui met en jeu un piano de concert jeté d’un troisième étage, séduit.


Nicolas Hodges (pianos), le Basel Sinfonietta et Baldur Brönnimann (direction) dans Piano Concerto de Simon Steen-Andersen. Photo : (c) Bruno Serrou

Le pianiste joue de deux claviers, celui de son grand-queue au-dessus duquel est posé un clavier électronique chargé d’incarner le son du piano en lambeaux que le soliste préalablement filmé en noir et blanc joue simultanément. Une pluie de clusters (au sens musical du terme, pas celui des néfastes « foyers » de covid-19) joués avec des gants noirs, découle du combat titanesque et ludique entre le double-pianiste et l’orchestre, et qui reprend à la fin une citation du Concerto n° 1 de Tchaïkovski, qui tente une percée. Ce combat dantesque particulièrement réjouissant entre deux pianos est joué avec panache par Nicolas Hodges et le Basel Sinfonietta réduit à soixante-dix musiciens au lieu des quatre vingt quinze prévus par la partition, à cause de la distanciation contrainte par le covid-19. Précédent cette oeuvre, le Teenage Lontano pour choeur amateur d'adolescents a capella de Marina Rosenfeld (née en 1968) préludait à Joshua Tree de Georg Friedrich Haas (né en 1953), les deux partitions semblant sortir du même moule, la seconde apparaissant comme la version orchestrale de la première...

Amélie Grould et Alexandre Babel dans Telegraph Music de Ryoji Ikeda. Photo : (c) Bruno Serrou

La veille au soir, le programme d’ouverture avait été conséquent, avec entre autres un singulier Run Time Error du même Steen-Andersen par le somptueux Ensemble Modern, et une œuvre référence des années 1970, Stimmung de Karlheinz Stockhausen (1928-2007), interprétée de façon trop linéaire par l’ensemble vocal Les Métaboles. Le Trio Catch, après deux pièces fleurant des travaux d’élèves, a donné aux Trios pour violoncelle, clarinette et piano de Beat Furrer (né en 1954) et de Georges Aperghis (né en 1945) la dimension de classiques. Malgré son indéniable talent, le Quatuor Diotima n’a pas réussi à sortir l’auditoire d’une fatale torpeur suscitée par des musiques planantes et interminables signées Ryoji Ikeda (né en 1966) qui encadraient le sublime Quatuor op. 131 de Beethoven, où les Diotima n’ont pas été exempts de déséquilibres sonores et de légères approximations.

Quatuor Diotima. Photo : (c) Bruno Serrou

Les œuvres pour percussions du même Ryoji Ikeda n’ont pas la même ambition que ses dispositifs audiovisuels mis en jeu dans ses Body Music et Metal Music donnés la veille par les percussionnistes Alexandre Babel et Stéphane Garin. A l’exception de Ball Music, qui joue avec le rebond de balles de ping-pong, les autres pièces relèvent des farces et attrapes, notamment un interminable duo, Telegraph Music, de morse digne du S.O.S. lancé par le Titanic en train de couler...

Edvard Grieg, Solveig [L'Attente], conception et mise en scène de Calixro Bieito. Photo : (c) Bruno Serrou

En préfiguration de ses futures collaborations avec l’Opéra du Rhin, Musica a intégré une production nouvelle de l’Opéra de Strasbourg loin de ses standards, puisqu’il s’est agi d’un spectacle de Calixto Bieito, Solveig [L’Attente] tiré de la musique de scène de Peer Gynt d’Edvard Grieg (1843-1907), avec la superbe soprano suédoise Mari Eriksmoen, le remarquable choeur de l’Opéra strasbourgeois et un Orchestre philharmonique de Strasbourg en grande forme dirigé avec onirisme par Elvind Gullberg Jensen.

Bruno Serrou

Jusqu’au 3 octobre. Tel.: +33 (0)9 54 10 41 96. www.festivalmusica.fr

jeudi 17 septembre 2020

Olga Neuwirth, la Résistante du Festival d'Automne

 

Olga Neuwirth (née en 1968). Photo : Michael Pöhn/Wiener Staatsoper

Olga Neuwirth, aux côtés de sa consœur finlandaise Kaija Saariaho, est la compositrice la plus en vue de la création musicale contemporaine. La créatrice autrichienne est l’un des compositeurs les plus inventifs, téméraires et anticonformistes de notre temps.

A 52 ans, Olga Neuwirth est une compositrice des plus engagées dans son temps, portant un regard acéré et singulièrement vigilent sur le monde et son actualité, ainsi que sur tous les modes d’expression artistique, cinéma, littérature (elle est proche de la prix Nobel Elfriede Jelinek avec qui elle a signé plusieurs œuvres scéniques), théâtre, danse… Disciple de Tristan Murail, soutenue par Pierre Boulez, elle a toujours été attirée par la culture française dans sa diversité, autant sur le plan musical, entretenant des relations privilégiées avec l’Ircam, l’Ensemble Intercontemporain, le Festival d’Automne, que sur les plans littéraire (Georges Pérec, Raymond Roussel) et cinématographique (sa thèse de doctorat était consacrée à la musique des films d’Alain Resnais). « Je pourrais mentionner nombre d’artistes français. J’ai toujours été intriguée et inspirée par l’immensité et par la diversité de l’art et de la culture, qu’ils soient jugés nobles ou populaires, rugueux ou avenants. »

Née à Graz en 1968, Olga Neuwirth est une écorchée vive, toujours inquiète, bouillonnante, enthousiaste, déterminée. Pour elle, la crise de la Covid-19 a été une période difficile, assistant à de nombreuses annulations tandis que ses œuvres étaient programmées dans de nombreux pays. « Je n’ai pas pu me concentrer pendant toute la durée du confinement, mais j’ai beaucoup jardiné, et cuisiné au point d’avoir l’impression d’être Rossini à la fin de sa vie (rires) : au lieu de composer, j’ai cuisiné. » Olga Neuwirth a passé cette période dans la campagne autrichienne non loin de Graz, sa ville natale, où elle a terminé la commande d’une œuvre pour contre-ténor et orchestre, tandis que l’épidémie l’a empêchée de se rendre à New York où l’une de ses œuvres était initialement programmée, ainsi qu’une longue tournée aux Etats-Unis. « Après la création de mon opéra Orlando d’après Virginia Woolf à l’Opéra de Vienne en décembre 2019 et la composition de ma nouvelle pièce d’orchestre, mon activité a été réduite à zéro. N’étant ni interprète ni professeur, je ne vis qu’avec ma musique, et les temps sont durs pour moi. » En ces temps particulièrement difficiles, elle craint pour l’avenir de la création musicale et sa diffusion auprès du public : « Je ne suis pas un messie pour savoir ce qui va se passer, je peux seulement dire que la création musicale est encore plus remise en question en ces temps critiques sur les plans économiques et socio-politiques. Orchestres, opéras et grands festivals sont des institutions coûteuses et l’on constate, après leur lente réouverture que peu proposent des œuvres nouvelles. Les directeurs espèrent qu’avec la tradition, ils pourront récupérer un peu d’argent. Mais c’est un signe d’exclusion d’un public d’esprit plus ouvert. Mais les petites institutions, elles, se battent vaillamment pour obtenir des financements pour notre musique. Si quelque chose peut se maintenir, ce sera avec de petites pièces jouées avec des effectifs réduits. »

Cet automne, la musique d’Olga Neuwirth s’invite à Paris dans quatre soirées, dont trois dans le cadre du Festival d’Automne. Après une première œuvre donnée par l’Intercontemporain (Hommage à Klaus Nomi) le 16 septembre, deux autres pièces sont programmées par le Festival d’Automne (1) par les Orchestres Les Siècles et Philharmonique de Radio France.

Bruno Serrou

1) 26-27/09 Théâtre de Chaillot (Clinamen/Nodus), 20/11 Maison de la Radio (Masaot, Clocks Without Hands), www.festival-automne.com 01.53.45.17.17

mercredi 16 septembre 2020

Paul Mefano, infatigable militant de la musique, est mort le 15 septembre 2020. Il avait 83 ans

Paul Méfano (1937-2020). Photo : DR

Paul Mefano est mort mardi 15 septembre 2020 des suites d’un cancer. Compositeur, chef d’orchestre, fondateur de l’ensemble 2e2m en 1972, professeur de composition et d’orchestration au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, il avait été directeur du Conservatoire de Champigny-sur-Marne et du Conservatoire de Versailles. Chaque rencontre avec cet homme de grande culture, humble, profondément humain, constituait un véritable bonheur, tant son contact était confiant, amical. Il laisse une œuvre riche, exigeante, poétique et profondément humaine. Voilà huit ans, La Croix m’avait demandé de brosser de lui un portrait à l’occasion du quarantième anniversaire de l’Ensemble 2e2m qu’il a fondé en 1972, l’une des première formation entièrement vouée à la création musicale contemporaine, après Le Domaine Musical de Pierre Boulez… Son inhumation a lieu mardi 22 septembre à 14h au cimetière de Chilly-Mazarin.

Je le reprends ci-dessous mon article publié dans le quotidien La Croix daté 14 mai 2012 remis à jour

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 « La musique est un acte social, s’enflammait Paul Méfano. J’ai toujours cherché l’authenticité et à établir des ponts entre les professionnels de la création musicale et le public populaire. Je suis allé vers lui dans les banlieues sinistrées, les milieux défavorisés, les écoles, les hôpitaux... Si je me suis appuyé sur les municipalités communistes c’est parce qu’elles faisaient alors un travail d’ouverture considérable. » A 75 ans, Méfano était toujours aussi engagé qu’à 25 ans. Généreux, enthousiaste, rêveur, continuellement pressé, cheveu hirsute façon Géo Trouvetou, regard malicieux, timide mais spontané, il est de ces défricheurs qui savent qu’un artiste doit partager avec le plus grand nombre. Poétique et humaine, sa musique est d’un caractère qui allie une délicate sensibilité et un sens profond du son à un souffle vigoureux. Si certains de ses projets restent utopiques, il se félicite du chemin parcouru depuis sa première œuvre jouée, Paraboles d’après Yves Bonnefoy. C’était en 1965 au Domaine musical de Pierre Boulez dirigé par le brillant compositeur chef d’orchestre Italien Bruno Maderna. « Conscient du snobisme dominant dans le milieu de la création, disait Paul Mefano, j’ai adopté en fondant l’Ensemble 2e2m voilà quarante ans une voie considérée plus ingrate pour atteindre un public neuf, sans préjugés ni parti-pris. J’ai aussi tenté de valoriser le métier de compositeur en cherchant à donner à mes confrères un cachet pour les répétitions. Ce que je n’ai finalement pas fait faute de moyens. J’ai aussi bâti un pont Occident-Orient en établissant des relations avec l’URSS, l’Arménie, la Chine. J’ai ainsi vu combien ceux qui ne connaissent rien à la musique entrent d’emblée dans cet univers, comme les enfants. »

Né le 6 mars 1937 à Bassora (Irak), Paul Méfano est un compositeur inclassable à la solide formation. Elève au Conservatoire de Paris de Darius Milhaud et Olivier Messiaen, qui le qualifiait d’« impatient, intense et en perpétuelle quête de solutions radicales », de Pierre Boulez, Karlheinz Stockhausen et Henri Pousseur, il est de 1966 à 1968 artiste en résidence aux États-Unis, où il étudie les musiques javanaises et balinaises à l’université de Californie à Los Angeles, avant de séjourner à Berlin avec une bourse de la DDAD. A son retour, il prend la direction du Conservatoire de Champigny-sur-Marne jusqu’en 1988, année où il est nommé à la tête du Conservatoire de Versailles jusqu’en 2002, tout en enenseignant la composition et l’orchestration au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris. En 1972, il crée l’Ensemble 2e2m (étude et expression des modes musicaux), nom qui exprime l’idée de diversité et de multiplicité à l’encontre du monolithisme prôné par Boulez en 1963 dans son ouvrage Penser la musique aujourd’hui. Initié pour l’animation culturelle d’une cité de banlieue parisienne, Champigny-sur-Marne, 2e2m joue rapidement un rôle central dans la propagation de la musique contemporaine, à Paris comme à l'étranger, révélant des compositeurs qui comptent désormais parmi les plus grands. C’est ainsi que Paul Mefano a découvert et soutenu des confrères comme Brian Ferneyhough, Giuseppe Sinopoli, Hugues Dufourt ou Philippe Manoury. Ce sont à ce jour (2012) plus de mille deux cents concerts de plus trois mille œuvres composées par plus de six cent quatre vingt compositeurs qui ont été programmés par 2e2m en quarante ans, dont deux cent quatre vingt deux créations mondiales et deux cent quarante trois premières auditions françaises.

Paul Mefano s’apprêtait à voir la publication d’un nouveau CD, Luktklang chez ACEL2 (distribution UVM), disponible à partir du 25 septembre 2020, cinq jours après son lancement dans le cadre d’un concert au Théâtre Aleph d’Ivry-sur-Seine, dimanche 20 septembre à 18h30

Bruno Serrou

1) Pour découvrir Paul Méfano, outre le nouveau CD à paraître le 25 septembre (voir ci-dessus), Micromégas (CD Maguelone) et 4 CD du label Ensemble 2e2m, www.ensemble2e2m.fr