mardi 29 septembre 2020

Picasso et la musique, superbe exposition à la Philharmonie de Paris

Paris. Philharmonie. Les Musiques de Picasso. Lundi 22 septembre 2020

Photo : (c) Bruno Serrou

Dans la ligne de ses grandes expositions thématiques autour de la musique, plus particulièrement de celles consacrées à Paul Klee (Paul Klee : Polyphonies) en 2011 et à Marc Chagall (Marc Chagall, le triomphe de la musique) en 2015, la Philharmonie de Paris consacre jusqu’au 3 janvier prochain une exposition sur Pablo Picasso et à ses relations à la musique, ou plutôt « ses musiques », tandis que le grand peintre andalou, à l’instar de Victor Hugo, disait à qui voulait l’entendre ne pas aimer la musique : « Au fond quand on parle d’art abstrait, on dit toujours que c’est de la musique, remarquait Picasso à Hélène Parmelin. Quand on veut en dire du bien on parle musique. Je crois que c’est pour ça que je n’aime pas la musique. » 

Arlequin à la guitare, Paris, 1918. Photo : (c) Bruno Serrou

Une déclaration de Picasso qui peut surprendre quand on sait ses relations avec les compositeurs et les chorégraphes, les musiques traditionnelles, populaires et savantes, ses tableaux et sculptures où figurent musiciens, danseurs, instruments de musique qu’il se plaisait à collectionner (violons, luths, mandolines, banjo, cithares, guitares, balalaïka, clarinette, flûte de pan, diaules, tambours, tambourins, xylophone bala et tenora, épinette des Vosges, harpe, orgues de barbarie, clairons, etc.), violonistes croqués dans les rues de Barcelone, joueurs de flûte peints à Mougins, orchestres, saltimbanques, musiciens de cirques, fanfares, corridas, guitaristes et guitares cubistes, aubades, danseurs, ballets, ses amitiés avec les compositeurs comme Stravinski, Satie, Falla, Poulenc, Auric, Honegger, ses rencontres avec Rostropovitch, Manitas de Plata et sa troupe de gitans, pour le flamenco, les coplas andalous.

Joueur de diaule assis (1956), Joueur de flûte debout (1956), Joueur de diaule (1954-1956). Photo : (c) Bruno Serrou

L’importance accordée par Picasso à la musique en tant que sujet d’inspiration place l’artiste espagnol dans la tradition de l’art pictural remontant à l’antiquité, se prolongeant au Moyen Âge et à la Renaissance, pour s’épanouir au XIXe siècle et jusqu’à nos jours, avec compositions et natures mortes, et se plaçant dans l’esprit de Renoir, Degas et Toulouse-Lautrec dans ses scènes de danse et de cabaret.

Homme à la mandoline, Paris, automne 1911. Photo : (c) Bruno Serrou

C’est Jean Cocteau rencontré par l’intermédiaire d’Edgar Varèse avant le départ de ce dernier pour les Etats-Unis, qui lui propose de collaborer au ballet Parade composé par Erik Satie, et qu’il fait la connaissance des compositeurs du Groupe des Six (Georges Auric, Louis Durey, Arthur Honegger, Darius Milhaud, Francis Poulenc, Germaine Tailleferre) pour lequel il réalise le frontispice du livret Le Coq et l’Arlequin, ainsi qu’Igor Stravinski et Serge de Diaghilev, le directeur fondateur des Ballets Russes. Ainsi conçoit-il décors, costumes, rideaux de scène des ballets Le Tricorne de Falla, Parade de Satie, Pulcinella de Stravinski, il fréquente les compositeurs Maurice Ravel, Jean Wiéner, Virgil Thomson, René Leibowitz, Luigi Nono, les chefs d’orchestre Ernest Ansermet, Igor Markevitch, les instrumentistes Pablo Casals, Alfred Cortot, Wanda Landowska, Sviatoslav Richter, Arthur Rubinstein, Andrés Segovia, jusqu’au chanteur d’opérette Luis Mariano…

Costumes de Picasso pour le ballet Parade d'Erik Satie, Paris 1917. Photo : (c) Bruno Serrou

Présentée en neuf sections, placée sous la brillante autorité de Cécile Godefroy, commissaire du projet, sous les conseils avisés de la musicologue Elise Petit, l’exposition rassemble une vingtaine d’instruments de musique ayant appartenu à Picasso. Accueilli par l’installation intitulée Le Chant des Mondes qui réunit trois grandes sculptures représentant trois joueurs de flûte et de diaule tandis que l’on entend les sons de la nature venus des hauteurs de Cannes où vivait alors Picasso dans les années 1950, le visiteur suit un parcours qui le conduit en huit escales ; Musiques d’Espagne, où l’artiste, Andalou de naissance et Catalan de cœur, vit jusqu’en 1904 avant d'y séjourner régulièrement jusqu’en 1934, et dont il n’oubliera jamais les accents et les couleurs, assistant souvent à des corridas et aimant se plonger dans les chants et les danses flamenco et les musiques gitanes. La deuxième section, Le Musicien Arlequin, où l’on retrouve Picasso à Paris, où il fréquente les cabarets, les cafés-concerts et les salles de spectacle de la place de Clichy, se liant aux poètes Max Jacob et Guillaume Apollinaire, ainsi que la chanteuse Yvette Guilbert. La troisième section est consacrée aux Instruments cubistes, présents dans la peinture de Picasso dès 1909 qu’il décline sur une grande variété de supports et de techniques en deux et trois dimensions et dont il fera une source d’inspiration de premier plan dans l’aventure cubiste. 

Violon, Paris 1915. Photo : (c) Bruno Serrou

La section 4, Musique et Poésie, montre combien la relation de Picasso avec Guillaume Apollinaire a été déterminante, avec la guitare déclinée sous toutes les formes, et les poèmes que le peintre compose et qui renvoient aux rythmes entêtants du taconeo et des palmas du flamenco. Les sections 5 et 6 présentent la part la plus connue de la création de Picasso, puisqu’il s’agit des Ballets et de ses Amitiés musicales

Partie de la collection privée d'instruments de musique de Pablo Picasso. Photo : (c) Bruno Serrou

Intitulée Aubades, la Section 7 démontre combien Picasso dans les années 1930 était empli de l’iconographie remontant à l’Antiquité, avec bergers musiciens, muses incarnant le bonheur pastoral, la sensualité solaire. La Flûte de pan, thème de la huitième section, tient dans l’œuvre de Picasso une place centrale dans le cadre de sa période néoclassique, où la musique se fait célébration. 

L'Aubade, Mougins, 19-20 janvier 1965. Photo : (c) Bruno Serrou

L’exposition se termine sur les derniers tableaux de Picasso peints à Mougins entre 1966 et 1972, présentés sous l’intitulé Le Peintre-Musicien, l’artiste s’y incarnant sous les traits de musiciens, guitariste ou flûtiste, au sein de rondes champêtres, d’aubades et de concerts intimes à l’érotisme exacerbé, comme une ultime célébration dionysiaque avant la mort.

Danseuse et guitariste, 29 janvier 1954. Photo : (c) Bruno Serrou

Initialement prévue du 3 avril au 16 août 2020, reportée du 22 septembre 2020 au 3 janvier 2021, cette exposition remarquablement présentée (je recommande vivement au visiteur de se munir des écouteurs gracieusement mis à la disposition du public à l’entrée afin de goûter aux illustrations sonores tout aussi denses qui accompagnent l’exposition) est à voir et à revoir à satiété, riche et multiple, reflet de l’imaginaire foisonnant du plus grand, du plus prolifique et du plus protéiforme des artistes du XXe siècle.

Bruno Serrou

Les Musiques de Picasso, Musée de la Musique, Philharmonie de Paris., jusqu’au 3 janvier 2021. Du mardi au jeudi, 11h-18h, du vendredi au dimanche 11h-20h (vacances scolaires mardi, mercredi, jeudi 10h-19h, samedi, dimanche 10h-20h). Tarifs : tarif plein : 12€ ; tarifs réduits : 9 et 6€. Renseignements et réservations : (+33) (0)1.44.84.44.84. www.philharmoniedeparis.fr/expo-picasso. 221, avenue Jean-Jaurès. 75019-Paris.

Publications : Catalogue de l’exposition Les Musiques de Picasso. Sous la direction de Cécile Godefroy. Coédition Gallimard / Philharmonie de Paris. 312 pages, 45€. Pour les enfants : Cahier d’activité Les Musiques de Picasso. Editions de la Philharmonie de Paris, 13,90€. Les Musiques de Picasso, carnet d’exposition de Cécile Godefroy. Découverte Gallimard, 9,50€. Disques : Les Musiques de Picasso, 2CD Harmonia Mundi, 11,50€.

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