mardi 31 juillet 2018

Marek Janowski, forgeur d'orchestres


Marek Janowski (né en 1939). Photo : DR

Né à Varsovie le 18 février 1939, de père polonais et de mère allemande, Marek Janowski appartient à la fameuse lignée des kappelmeister allemands formés à la dure école de l’opéra. Directeur musical des Opéras de Fribourg-en-Brisgau et Dortmund de 1973 à 1979, puis de l’Orchestre du Gürzenich de Cologne de 1986 à 1990, il est nommé en 1984 à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Radio France. Il en sera directeur musical jusqu’en 2001. Seule formation française à géométrie variable, l’OPRF a acquis sous sa direction une vraie cohésion qui en a fait une référence au sein de l’Hexagone. Pierre Boulez lui-même pensait ouvertement que l’Orchestre Philharmonique de Radio France était devenu la formation symphonique française la plus homogène. Après avoir été directeur musical de l’Orchestre Philharmonique de Dresde de 2001 à 2004, chef principal de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo de 2000 à 2005, il a occupé la même fonction à l’Orchestre de la Suisse romande de 2005 à 2012, ainsi qu’à l’Orchestre Symphonique de la Radio de Berlin de 2002 à 2015. Je l’ai interviewé plusieurs fois à Paris, la première lorsque je m’occupais des publications du Théâtre du Châtelet à l’occasion du premier Ring de Wagner complet de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, ainsi qu’à l’occasion d’une tournée avec l’orchestre de Radio France en Espagne, interview publiée dans le magazine musical madrilène Scherzo en avril 1997. C’est cet entretien, au cours duquel le chef germano-polonais évoque le métier de chef, ses relations avec l’art lyrique et le répertoire symphonique, les répertoires baroque, classique, romantique et contemporain, la mise en scène d’opéra, que je reprends ici et que je soumets à votre appréciation, fédèles lecteurs.

Bruno Serrou

°       °
°

Photo : DR

Bruno Serrou : Musicien allemand, vous êtes né à Varsovie.
Marek Janowski : Je suis en effet fils d'un père polonais et d'une mère allemande de la région de Cologne. Au début de la guerre, elle vivait à Varsovie où je suis né en 1939, et elle est rentrée chez elle à Wuppertal au début de la guerre où je passais ma jeunesse. Ville de plus de quatre cent mille habitants à quarante-cinq kilomètres au nord-est de Cologne. J’y suis allé à l’école, et j’ai terminé mes études à Cologne.

B.S. : Comment vous est venu le goût pour la musique ?
M. J. : Ma mère, comme dans toute famille bourgeoise, m’a mis un instrument entre les mains, c’était pour moi un violon à sept ou huit ans. J’ai commencé avec un professeur amateur. Mais très vite elle m’a confié au violon solo de l’orchestre de la ville de Wuppertal, et un peu plus tard j’ai abordé le piano, en même temps, à neuf ou dix ans, mais les deux instruments dans un genre éducation générale pour un enfant, pas dans un but professionnel. A quinze ans, j’ai fait un peu de contrepoint et de composition. Quand j’ai eu mon baccalauréat, je me suis demandé ce que j’allais faire, hésitant entre musique et mathématiques. J’ai commencé mes études à Cologne en parallèle au Conservatoire d’Etat (Musikhochschule) et à l’université. Mais il m’a fallu faire un choix, en raison d’horaires incompatibles, et je me suis décidé pour la musique, particulièrement pour le métier de chef d’orchestre.

B. S. : Comment avez-vous découvert le métier de musicien ?
M. J. : J’allais régulièrement au concert durant ma jeunesse à Wuppertal,  à l’invitation de mon professeur. L’activité musicale de cet orchestre était pour moi très présente entre mes onze et treize ans, mais ce n’était pas en pensant faire un métier de musicien. J’ai toujours eu une bonne lecture à vue. Quand j’ai commencé vraiment à la Hochschule la lecture de partitions difficiles, j’étais relativement à l’aise pour la réduction pour piano.

B. S. : N'est-il pas aussi question de charisme, d’aisance pour être chef d’orchestre ?
M. J. : On peut avoir envie de faire ce métier, mais il y a tout un aspect qui est lié à ce métier dont on n’a pas idée. Evidemment, un soliste doit avoir un certain charisme, autrement cela ne peut pas vraiment marcher. On ne se rend pas compte que - évidemment pour un chef il y a un côté rayonnant de sa personnalité, c’est aussi d’une certaine importance -, donc le don pour être un organisateur, quelqu’un  qui est à l’aise pour s’imposer à un groupe de cent personnes, pour vivre personnellement la musique, avec deux mille personnes derrière lui, est un sujet dont on ne se rend pas vraiment compte. Du moins pas moi, à cette époque-là. Quand on est jeune, et que l’on a confiance en soi, on pense que cela se fera de toute façon, et l’on découvre, parfois assez tard, qu’il y a quand même pas mal de choses totalement extra-musicales, mais qui sont absolument nécessaires pour un chef d’orchestre, alors que ce n’est pas du tout inclus dans une formation musicale. C’est inné, en quelque sorte, même si l’on peut faire évoluer cela en travaillant, mais il faut d’abord en avoir conscience, et, autour de chaque étape, il faut trouver les moyens d’imposer sa personnalité. En effet, il y a beaucoup de chefs ratés, des inconnus, qui sont de super musiciens, qui ont même un don naturel dans la manière de s’exprimer dans la gestique, mais qui n’ont pas dans leur personnalité la force de dominer un groupe d’adultes, et s’ils ne l’ont pas naturellement - pas d’une façon superficielle ou fabriquée, cela ne sert à rien, les musiciens le sentent tout de suite -, on est perdu, et cela est le dur et amère arbitrage de ce métier. Etre chef, c’est évidemment essentiellement la musique, mais aussi une personnalité qui s’impose naturellement, sans que l’on dise un mot là-dessus, la personnalité au pupitre qui est incontestable et incontestée. Si l’on n’y arrive pas, c’est que l’on n’est pas vraiment fait pour ce métier.

Photo : (c) Klaus Rudolph / Philharmonie Essen

B. S. : Pensez-vous que la direction d’orchestre s’enseigne ? Que vous a apporté le conservatoire ? Si vous n’y aviez pas étudié aurait-ce été différent pour vous ?
M. J. : Cela n’apporte pas grand-chose. C’est pourquoi je refuse catégoriquement de l’enseigner, y compris en master classes ou en cours privés. Je suis parfois sollicité par des jeunes : « Donnez-vous des cours ? », « Accepteriez-vous de dispenser des cours dans un conservatoire ? » Je refuse systématiquement, parce que je suis profondément convaincu que ce qui peut être vraiment appris avec un professeur dans cette matière technique qu’est la direction est très limité et peut s’apprendre très vite. Il suffit d’une journée. Je ne parle pas du goût musical, de l’énorme connaissance musicale très généraliste indispensable pour un chef d’orchestre, à qui il n’est pas seulement nécessaire de connaître tous les chefs-d’œuvre. Il faut également tout connaître des grands compositeurs, de la musique de chambre, de celle pour piano, la musique pour chœur a capella, etc. Il est indispensable d’avoir une connaissance globale de la musique, vaste et approfondie, parce que cela vous conduit à développer votre goût musical. C’est une chose, mais je ne parle pas de ça, il faut énormément apprendre ça dans un conservatoire, si vous participez comme pianiste ou violoniste aux cours de musique de chambre, si vous faites de l’orchestre, etc. Pour ce qui concerne la technique pure de direction d’orchestre, je n’y crois pas. Quelqu’un doit vous transmettre les bases, bien sûr, mais après - ce qui reste aujourd’hui ma conviction profonde pour l’apprentissage de ce métier -, il faut commencer sa vie professionnelle comme un Kappelmeister de base dans une maison d’opéra, et surtout pas par le répertoire symphonique. Le terme Kappelmeister a été un titre honorifique pour les chefs allemands à une certaine époque. Vous ne savez peut-être pas, mais à Munich on a toujours trouvé l’adresse de Richard Strauss à Garmisch-Partenkirchen dans l’annuaire téléphonique, non pas comme compositeur ou musicien, mais sous l’intitulé « Dr Richard Strauss, Kappelmeister ». Et le monde anglo-saxon a transformé ce terme dans une formule descriptive de garçon ennuyeux. Le Kappelmeister est lié à l’opéra, et, en fait, il s’agit de quelqu’un qui maîtrise totalement la technique de ce métier. Ce qui signifie que ce métier peut être techniquement très difficile si vous êtes dans une grande fosse au-dessous d’une scène large et profonde, quand vous avez des chanteurs ou des parties de chœur loin de vous qui n’entendent rien de l’orchestre et qui, de ce fait, ne peuvent suivre que la baguette, l’émission du son leur arrivant depuis la fosse beaucoup trop tard, et pour qu’il chantent sans décalages, le chef doit avoir la technique des bras et les réflexes susceptibles de les éviter, etc. Cela s’explique difficilement avec des mots et s’apprend vraiment en dirigeant, ce qui manque aujourd’hui, même chez la plupart des chefs d’une quarantaine d’années. Tous les grands chefs qui ont aujourd’hui entre soixante-dix et quatre-vingts ans ont eu cette expérience, qui, depuis près de trente ans, se réduit de plus en plus.

B. S. : Est-ce parce qu’il n’y a plus assez de théâtres de répertoire ?
M. J. : Non. C’est parce qu’autrefois il n’y avait pas le disque, ou peu. Il fallait donc apprendre le métier dans le travail avec les chanteurs et avec un orchestre dans la fosse. Aujourd’hui, vous avez les disques chez vous, vous mettez une glace devant vous et vous travaillez sur la plastique de votre gestique. Le grand danger pour les jeunes chefs d’orchestre est qu’ils écoutent beaucoup trop de disques et ne vivent pas la réalité du quotidien d’une fosse d’orchestre.

B. S. : Vous pensez que la fosse est plus importante que l’estrade ?
M. J. : L’orchestre sur un plateau apprend infiniment moins que s’il est dans une fosse. De loin ! Le seul et vrai professeur pour un chef d’orchestre est la fosse d’opéra.

B. S. : Il faut cependant finir par sortir de la fosse !
M. J. : Pas seulement pour la carrière, mais aussi pour l’esprit. Parce que, évidemment, la fosse peut influer dans un mauvais sens avec l’exécution routinière du répertoire lyrique qui peut souiller la justesse de la perception artistique. Il faut donc, une fois la base de la fosse acquise, très vite vivre les deux mondes, et se mesurer aux exigences absolues de la musique symphonique. Mais cela se fait plus vite et plus facilement avec l’expérience de la fosse qu’inversement. On voit, quand on a le métier, tout de suite si quelqu’un s’est développé uniquement dans le répertoire symphonique quand il entre pour la première fois dans la fosse : à partir d’un certain âge, il n’arrive pas à être à l’aise dans la fosse, contrairement à ceux qui ont vraiment la fosse de l’opéra dans le sang. Ces derniers, s’ils sont bons musiciens, arriveront toujours par faire quelque chose de respectable dans le monde symphonique.

Photo : (c) Culturebox

B. S. : Par quelle fosse d’opéra êtes-vous passé ?
M. J. : La toute première a été celle d’Aix-la-Chapelle, Aachen, où Herbert Karajan avait été directeur musical dans sa jeunesse. J’ai commencé comme Chorrepetitor, Chef de chant, pendant la saison 1961-1962. J’avais vingt-deux ans. Mon professeur, M. Wolfgang Sawallisch, m’avait dit à Cologne : « Il n’y a aucun intérêt à ce que tu restes à la Musikhochschule parce que tu n’y apprendras pas grand-chose. Essayes plutôt de trouver quelque place comme assistant dans une petite maison d’opéra. » J’ai ainsi passé un an à Aachen. Puis deux saisons dans le même type de poste à l’Opéra de Cologne. Mon premier poste de Kappelmeister a suivi, à l’Opéra de Düsseldorf, où j’ai progressivement dirigé tous les ballets, les opérettes jusqu’au genre Traviata, Madame Butterfly, le petit répertoire. Je suis ensuite revenu à Cologne pour un poste plus élevé, pendant trois ans. Ma dernière charge de Kappelmeister a été à l’Opéra de Hambourg, entre 1969 et 1973, les grandes dernières années de Rolf Liebermann, qui m’a confié énormément de choses. Ces quatre années hambourgeoises ont été probablement les plus formatrices pour mon métier de chef lyrique. Après, je suis devenu directeur musical de la ville de Fribourg-en-Brisgau en 1973, je suis ensuite monté en devenant Generalmusikdirektor à Dortmund, ville de la Ruhr relativement grande avec un demi-million d’habitants. J’ai renoncé à cette fonction en 1979, pour être libre et développer une carrière de chef symphonique. Il faut dire qu’avec ce genre de poste, on doit assurer tout un ensemble de concerts symphoniques avec l’orchestre de l’Opéra. Même si l’essentiel est le lyrique, il y a par exemple à Freiburg une série de douze concerts d’abonnement par an, comme à Dortmund, dont la moitié est dirigée par le Musikdirektor. C’étaient donc les premières expériences que j’ai faites sur un plateau. Petit à petit, ma carrière internationale a pris de l’ampleur.

B. S. : Quand êtes-vous venu à Paris pour la première fois ?
M. J. : Par hasard. C’était dans mes années de Freiburg, c’est-à-dire entre 1973 et 1975 - 1974, je pense -, à la suite d’une invitation de Prestige de la Musique de Jean Fontaine à Radio France. Au même moment, alors que je devais commencer mes répétitions avec l’Orchestre national de France - je ne parlais pas un mot de français -, Joseph Krips, qui dirigeait une première série de Cosi fan tutte chez Liebermann à l’Opéra de Paris, est tombé malade et Liebermann m’a appelé. Mon premier contact avec Paris s’est donc fait tout de suite avec deux orchestres différents dans la même semaine. Le Cosi a bien marché, puisque j’ai fait toute la série de la saison suivante, et du coup, pendant les années Liebermann, de temps en temps je suis venu à Paris pour diriger plusieurs choses. Puis son successeur, Bernard Lefort, m’a de temps à autres confié des choses. Ensuite, j’ai dirigé Tristan und Isolde à l’époque de Massimo Bogianckino. S’il était resté, j’aurais sûrement continué, parce que, jusqu’à cette époque-là, j’ai entretenu d’excellents rapports avec l’Orchestre de l’Opéra de Paris, avec lequel j’ai eu plusieurs projets. Mais Bogianckino est parti d’un jour à l’autre pour devenir maire de Florence, et mes liens avec l’Opéra se sont interrompus. La seconde moitié des années soixante-dix, je suis plutôt revenu diriger l’Orchestre National de France dans des opéras en version concert, avant d’être invité pour la première fois par ce qui s’appelait à l’époque le Nouvel Orchestre Philharmonique de Radio France (NOP), en remplacement d’un autre chef, qui a annulé sa venue trois ou quatre mois avant la date d’un concert, en 1981. Ainsi, chaque saison, Radio France m’invitais à diriger un concert de l’un ou de l’autre de ses deux orchestres.

B. S. : Vous qui avez dirigé des orchestres allemands, britanniques, américains, japonais, quelles sont en regard les particularités des orchestres français ?
M. J. : Parlons des aspects positifs. Deux choses, on a toujours dit dans les pays anglo-saxons qu’individuellement les musiciens français sont très forts, mais pour la qualité de l’orchestre, l’homogénéité, etc., ce serait une autre paire de manches... Or, il faut le dire, la France a largement comblé son écart avec les autres pays. Aujourd’hui, en France, des orchestres comme ceux de Bordeaux, Lyon ou Strasbourg sont tout à fait comparables aux orchestres du même type en Allemagne et en Angleterre. Là-dessus, il n’y a plus rien à dire. Evidemment, l’esprit gallo-latin produit quelques fois des choses un peu plus difficiles avec la discipline, le comportement, et il est tout à fait possible de régler ces écarts. On dit toujours les orchestres français indisciplinés. Doucement, je vois les choses ailleurs et ici, si le chef est respecté, s’il a justement cette autorité naturelle - pas déclarée ni affichée mais naturelle -, il n’y a pas de problèmes avec la discipline. C’est un cliché qui est bien soutenu et rependu par quelques-uns qui ont peut-être de mauvaises expériences avec les orchestres parisiens. Je voyage pas mal, je peux donc comparer, j’ai évidemment, je pense, sans vouloir me flatter, beaucoup apporté pour l’évolution artistique de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, et je peux dire que je suis extrêmement content d’être le directeur musical de cet orchestre parce que je sais parfaitement ce qu’il représente en termes de qualité et de compétitivité avec des grands orchestres mondiaux. J’aime l’approche des français à la musique, la finesse du son. Le son fondamental est moins puissant, moins gras, moins imposant que chez les allemands, par exemple. C’est parfois un désavantage dans le répertoire des poids lourds mais c’est aussi un grand avantage dans un répertoire qui se situe entre Schubert et Schumann, le premier romantisme, dans le répertoire allemand. A mon goût musical, il arrive que les très bons orchestres allemands approchent ce répertoire d’une façon beaucoup trop pesante et agressive. Mais je constate aussi, avec le Philharmonique, que si l’on travaille sur la seconde période du romantisme allemand, les poids lourds, le Philharmonique - je ne peux là juger l’Orchestre de l’Opéra ou le National, mais je sais trancher pour ce qui concerne le Philharmonique -, si le chef a une vraie conception d’une symphonie de Brahms, le Philharmonique sonne comme un orchestre allemand. Il est donc possible d’obtenir ce que l’on souhaite.

B. S. : Des gens le disent, mais il y en a d’autres qui ne le souhaitent pas, parce que ce qui peut passer pour une qualité est considéré par d’autres comme un défaut.
M. J. : C’est grotesque. Ce serait un défaut si l’on disait que le Philharmonique ne sait pas jouer la musique française, qu’il ne sait jouer que la musique allemande. Là, c’est vrai, je serais complètement à côté de la plaque. Le Philharmonique est brillant dans un certain répertoire français, on cède la première place pour le répertoire français à l’Orchestre National de France, parce qu’il faut une certaine répartition des points forts dans la maison, puisqu’il y a quand même deux formations à la radio, mais le Philharmonique joue fort bien la musique française, et il joue - et là je sais bien ce dont je parle -, d’une manière ab-so-lu-ment extraordinaire la musique contemporaine. Les musiciens du Philharmonique sont à l’aise avec la création d’une façon incroyable. En France, il n’y a pas d’orchestre comparable, et si je fais la comparaison avec les orchestres de radio dans le monde pour ce qui concerne cette tradition contemporaine en Allemagne, le Südwestfunk ou le Westdeutscherundfunk de Cologne par exemple, le Philharmonique leur est largement supérieur. En outre, les musiciens du Philharmonique, il faut bien le dire aussi, sont peut-être plus à l’aise dans un certain répertoire allemand que les autres orchestres parisiens. Entendre dire que c’est un défaut me fait sourire. Quand j’ai commencé avec eux, j’ai vu la tâche considérable qui se présentait à nous. J’avais quarante-cinq ans, et c’était l’âge pour moi de tenter l’expérience, et j’ai vu là un grand potentiel des instrumentistes individuellement, mais pas, je l’avoue, un grand orchestre. Mais la tâche m’a intéressé. « Seras-tu capable de faire quelque chose avec eux ? », me demandai-je. Et pendant toute la première année, en 1984, je ne m’en cache devant personne, j’ai plusieurs fois pensé « Tu vas essayer un an, un an et demi, et si les choses continuent ainsi, tu vas arrêter. » Les premiers mois, et presque toute la première année ont été très difficiles. Aussi dans le sens de la discipline, l’orchestre n’avait aucun repère d’orientation, ni artistique ni humaine, c’était un peu n’importe quoi. A l’automne 1984, j’étais presque déterminé à arrêter l’expérience. Et vers la fin de 1984, j’ai eu des premiers retours qui m’ont permis de me dire : « C’est quand même possible. » Constatant cela, je me suis décidé : « Tu ne vas pas essayer de former cet orchestre avec le répertoire français ou un répertoire contemporain, mais avec la pureté de la musique la plus difficile, Haydn, Mozart, Beethoven, Schubert, Schumann, etc. Evidemment, on a eu au cours des premières années 1985-1987, un petit échec, on est remonté un peu plus haut, puis redescendu un peu, etc. Une évolution humaine, qui monte un peu, plafonne, s’arrête, remonte, se fait par paliers. Evidemment, au moment où on le vit, parfois comme un échec, on se pose des questions, et la Tétralogie de Wagner en 1986 a pour la première fois montré à tout le monde à Paris et au sein même de l’orchestre, que l’on pouvait vraiment construire quelque chose de solide. Je pense à la vraie évolution vers le niveau qu’a désormais atteint le Philharmonique. Je ne dirai jamais, ni officieusement ni officiellement ni en tête à tête « le Philharmonique est le meilleur orchestre de Paris ». Beaucoup de gens le disent ; pas moi. La seule chose que je puisse dire à Paris et en beaucoup d’autres endroits importants en Europe, « le Philharmonique n’a rien à craindre ». On peut toujours mieux, c’est clair, et je pense que chez la plupart des gens qui participent au Philharmonique, il y a cette conviction, cet engagement de toujours faire mieux. Nous avons vraiment eu la chance ces cinq dernières années - parce qu’à la suite d’un recrutement, d’un concours, voire d’un stage, si l’on décide que la personne est titularisée, on ne sait jamais après deux ou trois ans quelle sera l’évolution des jeunes recrues - de recruter une nouvelle génération de musiciens qui, non seulement dans le jeu individuel mais aussi dans l’esprit qui règne au sein du Philharmonique, se sont tout de suite adaptés. Parce que les gens de mon âge, ou plus âgés que moi, qui ont vécu un passé extrêmement désagréable de l’Orchestre Philharmonique dans les années 1970, se souviennent de cette expérience et font aujourd’hui la comparaison : pour eux, il est normal d’être fier de la situation actuelle, tandis que les plus jeunes chefs se fichent de ce qu’ont connu leurs aînés. Ils n’ont rien vécu, mais grâce à l’atmosphère humaine qui règne dans cet orchestre, ils se comportent devant les musiciens de la même manière que les plus anciens.

B. S. : C’est dire combien le Philharmonique a acquis une personnalité réelle. Un jeune qui arrive au Philharmonique de Berlin acquiert sans temps mort l’esprit de cet orchestre.
M. J. : Cela veut en effet dire que le Philharmonique est fort. L’aspect positif de cet orchestre est l’esprit des gens qui y travaillent. A quatre vingt dix neuf pour cent de l’orchestre, les gens sont conscients de leurs responsabilités vis à vis de la collectivité et du public français, via les ondes, et du public parisien dans les salles de concerts. Il y a donc là une certaine honnêteté professionnelle que l’on ne trouve pas partout.

Marek Janowski à Bayreuth en 2016. Photo : DR

B. S. : Combien de musiciens l’Orchestre Philharmonique de Radio France compte-t-il actuellement ?
M. J. : Cent trente neuf. L’orchestre n’est pas encore très bien équilibré, je tiens aussi à le dire. La tâche et le devoir de jouer en géométrie variable est maintenant quelque chose de facile pour nous, mais, pour moi au début, pour constituer la base d’une cohésion, la géométrie variable ne m’a pas beaucoup aidé, vous pouvez l’imaginer. Mais maintenant ce n’est plus un obstacle à la qualité.

B. S. : Comment fonctionne cette variation entre la géométrie variable et la formation complète ?
M. J. : Il y a très souvent au cours de la saison deux activités parallèles, ou même si l’on a vraiment besoin d’une importante formation, on a également la possibilité d’une petite formation en même temps.

B. S. : Je pense que ce ne sont pas toujours les mêmes musiciens qui se trouvent dans les divers effectifs et répertoires…
M. J. : Les musiciens tournent, bien sûr. Cela en fonction du compte des heures. Ce qui a toujours été le cas, avant même mon arrivée, au moment de l’éclatement de l’ORTF en 1974. On a mis plusieurs orchestres ensemble, un ancien Philharmonique, le Lyrique et un Orchestre de Chambre. Il ne fallait licencier personne. On a donc mis tout le monde ensemble, et par le jeu des retraites, on a un peu réduit les effectifs, et l’on a fait de quelque chose de difficile quelque chose de positif. Mais pour améliorer la qualité de l’orchestre, la géométrie variable n’a pas été d’un grand secours. Maintenant on se débrouille facilement.

B. S. : Est-ce même favorable ?
M. J. : ... Ça l’est presque... Et ce n’est pas une réponse tactique de ma part... Maintenant c’est presque favorable, parce qu’avec cette variété de répertoire qui appartient désormais au Philharmonique et avec cette virtuosité dans la musique contemporaine, cette situation est devenue plus positive que négative.

B. S. : Cela favorise le déchiffrage mais donne aussi une certaine aisance dans le travail du son, du timbre.
M. J. : Absolument. Sur le plan de la sonorité, je ne connais aucun orchestre plus flexible que le Philharmonique. Je pense aux grands orchestres allemands. Cela lui permet de s’adapter à toutes sortes de répertoires, de l’italien à l’allemand, autant qu’à la modernité, à la transparence d’Anton Webern.

B. S. : Dirigez-vous la musique contemporaine ?
M. J. : Les gens pensent que je fais toujours Wagner, Brahms ou [Richard] Strauss. Or, ce n’est pas le cas. Je participe aussi à la vie musicale contemporaine de cet orchestre à laquelle je consacre un ou deux programmes. Mais je ne suis pas un spécialiste.

B. S. : Les chefs invités, est-ce vous qui les sélectionnez ?
M. J. : Je donne évidemment mon accord, et nous essayons toujours d’avoir des chefs importants. Et mieux un chef est, plus il est le bienvenu pour mon orchestre et pour moi. Il faut quand même dire que l’Orchestre National de France, qui a une plus longue et véritable histoire, à l’instar de l’Orchestre de Paris, qui, rappelons-le, est l’héritier de l’Orchestre de la Société du Conservatoire, le Philharmonique a de ce point de vue du retard à rattraper, et lorsque l’on dit soudain et facilement qu’un orchestre qui n’a eu aucune réputation, « voilà un orchestre de grande qualité », les bons chefs vont tout de suite venir. Or, ce n’est pas le cas. Il faut beaucoup de souffle, beaucoup de patience, mais petit à petit cette situation s’améliore. Et si tel ou tel chef s’impose parmi les noms les plus cités, et si j’ai des échos plutôt défavorables dans l’orchestre, c’est à moi de décider que le chef en question ne viendra plus jamais.

B. S. : Il vaut mieux confier l’orchestre à un bon chef plutôt que de risquer de l’abîmer…
M. J. : Bien évidemment. C’est toujours le problème de la musique contemporaine, parce qu’il faut le reconnaître, il y a peu de grands chefs qui se consacrent presque exclusivement à ce répertoire. C’est plutôt un groupe de gens qui ne réussissent pas dans le grand répertoire qui se jettent sur la musique contemporaine, quelques fois avec pas mal de faiblesses. Il faut quand même dire, quand je fais la comparaison avec le cadre des chefs qui reviennent régulièrement pour nos concerts Salle Pleyel et que je compare avec la situation d’il y a six ou huit ans, on commence à pas mal s’améliorer concernant les chefs. Je suis très content.

B. S. : Le Philharmonique touche-t-il au répertoire baroque et classique ?
M. J. : Je ne commenterai pas une approche de Haydn, Mozart ou même Beethoven façon Harnoncourt ou Herreweghe. Cela a sa place, et si l’on peut avoir l’une ou l’autre fois un chef invité de leur envergure, nous leur laisserons toute latitude pour qu’ils essayent aussi d’appliquer ce style à mon orchestre. Mais nous jouons, moi et d’autres chefs, Haydn et Mozart comme nous pensons devoir le faire. La musique baroque est un peu autre chose. Personnellement, j’ai une énorme admiration pour [Jean-Sébastien] Bach, mais pour des raisons difficiles à expliquer, je n’ai jamais dirigé l’une de ses Passions, ni en Allemagne ni ailleurs. J’ai fait évidemment les Brandebourgeois ou l’une des Suites. Avec le Philharmonique, je n’en ai jamais fait, mais c’est dû au hasard. Le côté baroque, je le mets pour moi-même de côté. Mais le Philharmonique a joué sous la direction de Michel Corboz la Passion selon saint Matthieu de Bach. Mes choix artistiques personnels, je ne les applique pas aux choix que je fais pour le Philharmonique. Quand j’ai confiance et que je respecte des chefs comme Corboz, qui n’applique pas la manière baroque mais qui a sa vision et sa conception de Bach, il est le bienvenu.

B. S. : Pourquoi n’avez-vous jamais touché aux Passions ? Est-ce pour les mêmes raisons que Furtwängler, qui n’a jamais dirigé la Missa Solemnis de Beethoven par respect ?
M. J. : Wilhelm Furtwängler avait peut-être à l’égard de la Solemnis un trop grand respect, mais peut-être pour son être profond n’a-t-il pas trouvé la porte pour la pénétrer. Peut-être dans ce contexte, je n’ai pas moi-même trouvé la porte pour les Passions. J’ai été une fois près de prendre la décision de diriger la Messe en si mineur... Peut-être la ferais-je un jour. Mais je ne me sens pas prêt intérieurement... Ce n’est pas une question de maturité, mais un problème de spiritualité. Je ne suis pas encore assez proche de ces œuvres pour les faire. Je crains le contresens. C’est le message spirituel, pas l’histoire qui est racontée dans les Passions. Et cette portée spirituelle m’intimide. Musicalement, c’est magnifique.


B. S. : Lorsque nous avions parlé de Rheingold au moment où vous lanciez le premier Ring de Wagner avec l’Orchestre Philharmonique de Radio France au Théâtre du Châtelet, vous aviez comparé le personnage de Loge à l’Evangéliste des Passions de Bach. Ces Passions sont donc quelque chose qui vous préoccupe, puisque vous les percevez dans une œuvre de Wagner.
M. J. : C’est presque une confession, je ne suis pas du tout à l’écart, ni spirituellement ni dans ma perception de la vie quotidienne, de la chose religieuse.

B. S. : Vous avez mis personnellement un frein à l’opéra. Que s’est-il passé ?
M. J. : En deux mots. L’évolution de la mode de la mise en scène dans les dix dernières années ne m’est plus supportable. Et ce n’est pas seulement dans le contexte de la mauvaise interprétation de l’essence d’une œuvre, ce n’est pas le seul problème, c’est aussi le fait que pour un effet visuel, qui est hors contexte dans la conception de l’œuvre mais dans le but de « faire » une image pour un tableau, consacrer ou abandonner le principal que sont la musique et l’acoustique, par exemple. Je viens de passer le mois de décembre au Lyric Opera de Chicago. Pour une fois, après de nombreuses années, j’y ai dirigé une Flûte enchantée, et je l’ai reprise en janvier. Mise en scène plus ou moins moderniste mais classique, rien à reprocher dans le fonds. Dans le second acte, on a le magnifique chœur des prêtres Und Isis und Osiris. Il faut pour cela atteindre un certain volume, une certaine sonorité de ce chœur d’hommes non pas polyphonique mais très homophone et compact. Le metteur en scène n’a pas voulu que les choristes soient immédiatement en face du chef pour chanter, alors que c’est là que l’acoustique est idéale. Il fait entrer les chœurs côté cour, loin, à trente mètres au fond de la scène et croisant la scène en diagonale pour terminer les dernières phrases en coulisse côté jardin. C’est visuellement très joli. Mais question musique, mieux vaudrait ne pas la jouer. C’est un petit détail, car c’est encore supportable. Mais cela se produit partout. Le théâtre musical est le grand mot, maintenant. Je peux vous dire qu’à cause de l’existence du « Musiktheater », j’ai abandonné l’opéra. Parce que si l’on met vraiment l’essentiel de la musique au second plan, alors il faut faire du théâtre, pas de l’opéra. Cette histoire a débuté en Allemagne au milieu des années 1970, et a été petit à petit appliquée ailleurs par les intellectuels et les pseudo-intellectuels. Ce sont toujours les liens entre les metteurs en scène extrêmement intellectuels et philosophiques, et les relations de la culture sur le papier dans le quotidien. Voilà encore dix ans, on pensait que ce serait passager, que cela allait disparaître peu à peu, mais cela ne s’est pas fait.

B. S. : Quelqu’un comme Rolf Liebermann ne serait-il pas plus ou moins responsable de cette situation ?
M. J. : Et comment ! Mais quand je travaillais à Hambourg avec Liebermann, j’étais encore très jeune, j’avais beaucoup à apprendre. Mais petit à petit, avec une connaissance de la musique de plus en plus approfondie, je me suis rendu compte du danger. Et avec la Flûte à Chicago, je prends conscience du fait que ce n’est plus mon monde. Je fais le répertoire lyrique en version concert, et quand je suis à la maison, à Munich, je dirige de temps en temps quelque chose à l’Opéra pour entraîner mes réflexes. Au printemps de cette année, je fais par exemple trois représentations d’Ariadne auf Naxos de Strauss à Munich, en septembre 1999 pour le cinquantième anniversaire de la mort du compositeur bavarois, l’Opéra de Munich consacre une semaine entière à ses opéras à laquelle je participerai. Mais on ne peut pas dire que cela fait un emploi lyrique.

B. S. : En 1986, vous me disiez que vous souhaitiez prendre un peu de recul par rapport à l’œuvre de Strauss, à laquelle vous aviez pourtant consacré l’un de vos premiers enregistrements avec la première version officielle discographique de Die schweigsame Frau [La Femme silencieuse].
M. J. : J’y suis revenu. Il faut rappeler que - et Strauss serait le dernier à ne pas être d’accord avec moi, car s’il a toujours pensé être un grand compositeur il a aussi relativisé sa place -, si l’on met la barre au niveau de Mozart, Beethoven et même Wagner, Strauss a toujours estimé ne pas être au même niveau. C’est vrai. Il y a chez lui quelques chefs-d’œuvre absolus, mais il y a aussi pas mal de choses où l’on voit clairement une plume de Strauss qui glisse dans la facilité ou l’inspiration est moindre que chez les très grands. Et, peut-être, quand on a dirigé beaucoup de Strauss comme je l’ai fait dans les années 1970 et au début des années 1980, on est un peu épuisé par cette musique et l’on prend un certain recul pour revenir de temps en temps dessus, pour le plaisir. L’écriture orchestrale et vocale de Strauss est toujours fantastique. Le deuxième acte de Frau ohne Schatten [La Femme sans ombre] est le sommet de la création straussienne.


B. S. : Croyez-vous en l’avenir de l’orchestre symphonique, ou va-t-il devenir un musée ?
M. J. : Je me pose très souvent la question. Il faut admettre que l’évolution de la musique, la création musicale, la créativité des compositeurs, a engendré une énorme masse d’œuvres dans les cinquante dernières années. Mais très peu de choses ont séduit un large public. Le même phénomène régit la première moitié de notre siècle, où l’on a quelques œuvres de Bartók, de Stravinski, même des années 1930-1940, qui ont vraiment conquis le grand public, et quelques autres, sans parler de Ravel. Mais si l’on parle des œuvres créées dans les années 1950-1960, Stravinski inclus, 1970-1980, il y a des milliers de partitions, et presque rien n’a vraiment décollé. Je ne veux pas dire que c’est seulement de la responsabilité des compositeurs, cela peut aussi être dû à un énorme retard du public. Mais c’est un fait, et il en est partout ainsi, à Londres, à Vienne, à Berlin, à Munich... Avec les œuvres contemporaines, Paris est pareil, les salles, comme le Studio 104 de Radio France, ne sont pas pleines, avec deux cents à quatre cents personnes, pas plus. Et toujours les mêmes. Si la popularité de la musique se nourrit exclusivement des œuvres du passé, il faut se poser des questions, en effet. C’est peut-être une énorme vague de manque d’imagination qui saisit l’esprit, l’âme, le sentiment de l’amateur de musique, des mélomanes, où faut-il vraiment convenir que le matériau musical d’aujourd’hui ne peut plus vraiment toucher non seulement le cerveau, comme c’est le cas, mais aussi le cœur de l’auditeur. Le matériau est-il épuisé ? Je ne le sais pas, mais il faut évidemment, considérant les cinquante dernières années de notre évolution musicale, admettre que la musique, en tant que phénomène culturel, soit l’opéra, soit le symphonique, est moins au centre de la perception d’une culture générale qu’il y a un demi-siècle. Ce qui n’a rien à voir avec le fait que l’aspect publicitaire pour le même produit est mille fois plus gonflé qu’il y a cinquante ans. L’essentiel de la culture musicale est moins au centre d’une définition générale de la culture qu’à l’époque, pour ne pas dire quatre-vingt ou cent ans en arrière. Si cette tendance continue, la musique sera encore plus à côté de l’essentiel de la culture – évidemment, on peut maintenant parler pendant deux heures sur la définition de « ce qui est culturel ».

B. S. : Et qu’est-ce qui est musique ?!
M. J. : Absolument ! On peut dire que l’ordinateur est aussi une part de la culture de notre civilisation. Mais dans la perception de la culture, au sens historique, la poésie, la peinture, la musique, la philosophie, les sciences mathématiques, la physique, l’astronomie, etc., ce qui fait la culture des peuples, des civilisations, si la musique continue à ne pas pouvoir être de nouveau un produit qui touche l’être humain, je me pose pas mal de questions. J’espère ne pas être trop pessimiste, mais je réfléchis beaucoup.

B. S. : Que pensez-vous de compositeurs comme Witold Lutoslawski, mort voilà deux ou trois ans, qui ont su toucher un public relativement large ?
M. J. : Il y en a d’autres. Ma conviction, peut-être les seuls deux compositeurs - mais ils sont déjà morts -, qui ont vraiment le potentiel pour attirer dans cinquante ans le public mélomane, ce sont Olivier Messiaen et Witold Lutoslawski. Un peu moins Hans Werner Henze. Mais cela ne fait pas une culture musicale. La musique est à la fois quelque chose de spirituel et de sensuel, peut-être plus sensuel que la poésie ou la peinture.

Recueilli par Bruno Serrou, Paris mars 1997


vendredi 27 juillet 2018

Tan Dun, Guo Wenjing, Xu Shuya, trois compositeurs chinois révélés en France par le Festival d’Automne à Paris en 1995


Chine, musicien de rue. Photo : DR

En 1995, le Festival d’Automne à Paris consacrait une partie de sa programmation musicale à la musique contemporaine chinoise. Avaient notamment été invité trois compositeurs trentenaires qui commençaient à être reconnus en Occident et ayant choisi d’y vivre tout en gardant leur nationalité. Depuis lors, chacun a évolué à sa façon, empruntant leur propre chemin. Violoncelliste de formation, Xu Shuya (né en 1961), est aujourd’hui professeur de composition et a fondé le Centre Informatique et Multimédia au Conservatoire de Musique de Chine à Pékin en 2002. Ses deux opéras, La neige en août sur un livret de Gao Xingijan en trois actes, a été créé avec succès à l’Opéra de Marseille en janvier 2005, le second, In Memory of Taiping Lake sur un livret en deux actes de Zeng Li, a été donné pour la première fois par le Festival International de Pékin en octobre de la même année. Influencé par Claude Debussy, Igor Stravinski, György Ligeti et Toru Takemitsu, mais aussi par les chants populaires de la province du Hunan, il a élaboré un langage fait de couleurs et de timbres, une musique associant culture chinoise et forme unie et calme. Guo Wenjing (né en 1956), contrairement à la majorité de ses confrères, n’a jamais quitté Pékin, à l’exception d’une courte période passée à New York. Pourtant, sa musique est jouée partout dans le monde. Quant à Tan Dun (né en 1957), il est peut-être le compositeur chinois le plus célèbre. Il a composé de nombreuses œuvres pour des « instruments organiques », comme des matériaux de construction, du papier, de l’eau, de la céramique et de la pierre. Tous ont abordé tous les genres, de la musique de chambre à l’opéra, en passant par la symphonie, le concerto et le cinéma.


°       °
°

Xu Shuya (né en 1961). Photo : DR


Xu Shuya (né en 1961)

Bruno Serrou : Vous êtes né en 1961, ma Révolution culturelle a été engagée alors que vous aviez cinq ans par Mao Tsé Toung, qui est mort en 1976. Comment avez-vous découvert la musique occidentale ?
Xu Shuya : Je l’ai découverte avec les disques microsillons que mon père possédait. Ma mère est cantatrice, et mon père violoniste de musique occidentale, formé au Conservatoire de Shanghai, où il sera professeur de composition du début des années 1950 jusqu’à la Révolution culturelle. Il a travaillé dans des orchestres, où il a formé des musiciens. En 1966, envoyé à la campagne. Auparavant, il avait dirigé l’Opéra de Chang-Chun, ville du nord de la Chine où il donnait des œuvres chinoises et du répertoire occidental jusqu’en 1966. Tous chinois, les musiciens ayant un lien avec la musique occidentale ont été envoyés à la campagne.

B. S. : Comment est arrivée en Chine la musique occidentale ?
X. S. : Dans les années 1920, avec Xiao You-Mei et Zhao Yuan-Ren, qui ont fait leurs études à l’Université de Yale aux Etats-Unis, où ils ont suivi des cours d’art et de musique occidentaux, d’harmonie. De retour en Chine, ils ont essayé de donner les premiers cours, puis les années 1930-1940, il y eut un autre compositeur célèbre en Chine, Hsien Hsing-hai, élève de Paul Dukas au Conservatoire de Paris, auteur du Concerto du fleuve jaune aux relents sucrés à vocation populaire, Tan siao PIng, un élève de Paul Hindemith en Allemagne, Masi Chiong, qui, à son retour en Chine, a été bien accueilli par le pouvoir communiste et lui a confié le Conservatoire de Pékin pendant une dizaine d’années, il a écrit un peu dans le style de Debussy, mais il a fui en 1966 et s’est réfugié aux Etats-Unis, où il est mort. Mais ce sont des cas isolés, jusqu’en 1978. A la mort de Mao, en 1976, les universités rouvrant leurs portes, les compositeurs de ma génération sont entrés au conservatoire. Dans les années cinquante, ces conservatoires ont eu pour professeurs beaucoup de compositeurs russes, un compositeur russe Alexandre Tcherepnine a enseigné à Shanghai, première ville ouverte à l’Occident et à avoir un conservatoire en Chine – avant, la musique était traditionnelle et orale dispensée en cours privés. Dans les années 1960, les Russes sont partis, les relations sino-soviétiques s’étant aggravées, mais les conservatoires ont continué à s’inspirer de l’enseignement musical russe. En 1978, les Russes ni les socialiste sont exclus, et les compositeurs occidentaux arrivent d’Europe et des Etats-Unis. Musiciens, disques, livres entrent en Chine. Le premier professeur est venu d’Oxford en 1978, est venu d’Oxford, Alexandre Goehr.

B. S. : Quand vous avez dit à votre père « Je veux composer » ? Comment cela s’est-il passé ?
X. S. : A cette époque-là, mon père ne jouait plus de violon. Il n’a plus pu y toucher de 1969 à 1974, années qu’il a passées « à la campagne ». La musique a été totalement interdite, il était donc impossible d’en entendre, mais il a heureusement pu sauver quelques-uns de ses disques qui ont pu échapper aux flammes, et il les a discrètement emportés avec nous. Alors que j’étais à l’école primaire et que mes parents et mes deux frères travaillaient aux champs pour leur « rééducation », étant encore petit je restais seul l’après-midi, l’école étant le matin, je travaillais pour la maison - il n’y avait ni gaz ni électricité pour cuisiner -, j’allais à la collecte du bois. C’est ainsi que j’ai appris à aimer la nature, qui participe désormais à ma musique. Et je me souvenais vaguement de la musique que j’avais entendue petit chez mes parents jusqu’en 1966 par le biais de la radio, les disques. J’ai donc essayé de retrouver cela avec les disques. Le premier que je me suis procuré est le Concerto pour violon de Beethoven, puis l’Ouverture 1812 de Tchaïkovski. J’avais neuf ou dix ans - il y avait de temps à autres de l’électricité. En 1974, Deng Xiaoping a libéralisé la politique chinoise pendant un an, avant de resserrer le régime. C’est à ce moment-là que nous sommes rentrés chez nous, à Shanghai. J’avais treize ans. Au programme de ce retour, il y avait chaque jour une rééducation de dix heures, sans qu’il soit possible de travailler jusqu’en 1989. J’ai commencé par étudier la mise en scène à travers les livres traduits en chinois. J’ai aussi travaillé à la maison la musique classique avec Jean-Sébastien Bach, la musique romantique avec Beethoven. J’ai choisi le violoncelle à l’école secondaire que je jouais dans la petite troupe musicale des chansons sur des poèmes de Mao, et à l’Opéra de Pékin pour les œuvres révolutionnaires, car il fallait des instruments occidentaux. Il y avait une place pour laquelle un ami de ma famille m’a recommandé, étant moi-même d’une famille de musiciens, alors que je n’avais pas encore reçu de formation. Ma mère a accepté parce qu’ainsi je pouvais rester à la maison pour l’aider dans la journée. Nous avons cherché un poste dans l’Opéra de ma ville, et comme mon père y avait travaillé, presque tout le monde le connaissait. Mes parents ont cherché un professeur, qui m’a donné des cours pendant quatre ans, tous les conservatoires étant encore fermés. Plus tard, alors que le pouvoir cherchait des arrangeurs pour les œuvres de compositeurs officiels, pour la plupart des amateurs qui écrivaient des ballets et des pièces pour l’Opéra de Pékin, je pratiquerai cet exercice parce qu’il fallait fournir des partitions écrites pour orchestre au minimum par deux ou par trois bois. 

B. S. : Est-ce ainsi que vous avez découvert la composition ?
X. S. : Oui, de cette façon. Etant d’une famille de musiciens, on m’a demandé d’arranger en trois jours une partition. C’est la première fois que je le faisais seul, sans professeur. Mon père ne m’aidait pas parce qu’il ne voulait pas que je fasse de la musique jusqu’à ce que j’entre au Conservatoire de Shanghai. En 1977, la révolution terminée, je poursuivais mes cours au lycée, et je suis entré à l’Université à Pékin, tout en continuant à jouer du violoncelle, à arranger les œuvres des autres. Le conservatoire a rouvert, j’ai très vite voulu y entrer, ma mère a suivi mon idée, et mon père n’y pensait pas un instant, mais ma mère l’a convaincu. C’est ainsi que j’ai choisi la composition.

B.S. : Pourquoi cette envie de composer ? Qu’est-ce que cela représentait pour vous ?
X. S. : Pendant les dernières années de la révolution, ma mère, soprano, a recommencé à chanter à l’Opéra les titres révolutionnaires. Mais elle a dû rompre avec le grand répertoire. L’automne est un sentiment que j’ai éprouvé quand j’étais seul, triste, mes parents étant aux champs, j’avais les clefs de la maison autour du cou. Dans le quartier où j’étais, à l’automne, pendant trois mois, de septembre à novembre, les champs restent vides, et pendant près de trente kilomètres, rien d’autre à l’horizon que des champs vides, un petit village au bout qui ne représente qu’un petit point, avec les champs sans fin. Je regardais le soleil couchant, violent. Et à l’automne, il y a du vent ! Tout cela a fertilisé mon imaginaire. Personne ne savait quel était l’avenir, mais nous ne pouvions l’imaginer que triste, solitaire, sans avenir : nous allons définitivement rester aux champs, sans jamais retourner en ville.


B. S. : En quoi consistait l’apprentissage de la composition ?
X. S. : Au début, j’ai suivi les cours d’écriture, de contrepoint, de fugue, d’orchestration, d’instrumentation. C’était comme en Europe, et nous avons commencé par le classicisme de Bach. L’un de mes professeurs avait été formé en Union Soviétique, il avait connu Dimitri Chostakovitch et d’autres musiciens qui étaient classés d’avant-garde, Claude Debussy, Maurice Ravel... Pas du tout Arnold Schönberg, même dans les années 1980-1982, car il était classé capitaliste, antirévolutionnaire - le directeur du Conservatoire de Shanghai a même écrit dans la presse que sa musique était sans mélodie, l’harmonie et l’orchestration étaient chaotiques, etc. Avant la révolution, on ne connaissait ni Stravinski ni Schönberg. Deux professeurs cependant, dans les années 1940, ont essayé d’écrire avec le système dodécaphonique, mais rien n’a été publié.

B. S. : Mais pour les Chinois, Beethoven ne devait pas être plus compréhensible que Schönberg, puisque la musique occidentale n’y a été découverte qu’à partir de 1920. Il n’y avait donc aucune tradition d’écoute en Chine. Du coup, les Chinois étaient susceptibles d’accepter toutes sortes de musiques nouvelles.
X. S. : Oui, mais la révolution a tout bloqué. Si nous jouions, même chez soi ou chez le professeur, des œuvres interdites, le voisin nous entendait et pouvait nous dénoncer.

B. S. : Et la musique chinoise, était-elle autorisée ?
X. S. : Cela dépend… Actuellement [NDR : 1995], il faut un titre très révolutionnaire. Soit on chante des poèmes de Mao écrits dans la forme ancienne, et il y aura plusieurs versions de chansons sur les mêmes textes. Mais le patrimoine a disparu. Pas les instruments, car ils étaient utilisés dans les œuvres révolutionnaires, qui mêlaient instruments traditionnels chinois aux instruments occidentaux. Les conservatoires n’ont plus d’archives, ni partitions, ni disques, qui ont été jeté au feu dans des autodafés. A partir de 1977 et de l’ouverture des conservatoires, tout a été commandé en Europe, de Bach à aujourd’hui.

B. S. : Qu’est-ce qui vous a décidé à vous rendre en France ? Qu’attendiez-vous de votre venue en Occident ?
X. S. : J’ai reçu une bourse du ministère français des Affaires étrangères. J’ai commencé à composer en Chine des œuvres dans des formes occidentales, notamment un Concerto pour violon en 1982. Un premier concours a été organisé après la révolution avec la Fondation Alexandre Tcherepnine, qui a organisé un concours en Chine, à New York et à Chicago. J’ai remporté le premier prix, et ma pièce a été jouée à New York. J’ai ainsi pu commencer des pièces de musique de chambre, plus particulièrement un Quatuor à cordes.

B. S. : Est-ce une musique que vous reconnaissez encore ?
X. S. : J’ai essayé dès cette époque de respecter ma culture chinoise dans mes compositions. Par exemple, dans le Quatuor à cordes, j’ai tenté de glisser une chanson populaire très particulière, avec des micro-intervalles, système qui était utilisé pour la première fois dans une pièce chinoise de tendance occidentale. Ce sont des chants de paysans, les sons montent imperceptiblement. Les jeunes compositeurs chinois font des choses très différentes de ce qui se faisait avant la révolution, y compris les compositeurs les plus âgés.

B. S. : Pourquoi la France, plutôt que les Etats-Unis ?
X. S. : L’un de mes professeurs, parallèlement à celui formé en Union Soviétique, avait été formé dans les années 1940 à l’Ecole normale de Musique et au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris comme auditeur, suivant les cours de Nadia Boulanger et d’Arthur Honegger. J’ai donc entendu parler d’eux au Conservatoire. Le système d’enseignement chinois de la musique est toujours avec une mélodie populaire chinoise, ou un peu de théâtre traditionnel,  avec une orchestration façon occidentale. Par exemple, le Concerto du fleuve jaune, est tout à fait romantique à la Liszt-Tchaïkovski-Rachmaninov. C’est complètement copié. Au début au conservatoire, je considérais que cette façon n’était pas la bonne voie. Le premier choc que j’ai reçu est survenu lorsque je me suis rendu en province et que j’ai interviewé des paysans, les ai invités à chanter et à jouer sur des feuilles de bois. J’ai été bouleversé. Les paysans chantent la même chose, les notes restent les identiques mais en même temps, comme j’ai été éduqué à la musique, cela sonne à mes oreilles comme des fausses notes. J’ai essayé dans mon premier Quatuor à cordes à utiliser ce système. Et aujourd’hui, c’est le micro-intervalle. J’ai essayé de noter cela sur mes partitions pour que ce soit compréhensible aux instrumentistes, mais ils m’ont demandé comment exécuter cela. Je réponds « Je ne sais pas ! Tu essayes un peu plus haut que si bémol » Il me dit « mais c’est si bécarre », je lui rétorque : « Non, pas tout à fait. » En fait, cela se fait naturellement en Chine, car c’est une tradition populaire paysanne. Dans les trois périodes poétiques traditionnelles de l’histoire de la Chine, la première est le poème normal, la deuxième est celle des poèmes rythmés, et l’on sait comment chaque phrase s’arrête, et combien de temps. Aujourd’hui [NDR : en 1995], j’écris une pièce sur un poème en rythmes, le Libai, qui est très différent, sortant complètement de la musique avec le théâtre traditionnel, et le troisième est le poème en vers chanté, qui se tourne davantage vers la musique. Puis j’ai fait la connaissance de la musique du XX° siècle, qui m’a plus ou moins rappelé ça. La récitation se fait sur une ligne de chant proche du sprechgesang. Ce n’est pas écrit mais l’on sait cela à travers les cours de littérature traditionnelle à l’école. C’est de la littérature ancienne. Le compositeur chinois fait la synthèse du tout pour écrire de la musique. Avant, on mélangeait, refaisait la mélodie qui provenait de la musique traditionnelle chinoise, empruntait, mélangeait, refaisait ou folklorisait ou instrumentalisait. Il y a aussi la poésie, les acteurs des théâtres de chaque province, qui fondent langues, accents, sons divers, mis en valeur de différentes façons.

B. S. : A Paris, avec qui avez-vous étudié ?
X. S. : Au CNSM, avec Alain Bancquart, Ivo Malec et Gérard Grisey, à l’ENM avec Michel Merlet. Il est plus difficile de venir en Europe qu’aux Etats-Unis, qui se sont très vite ouverts aux Chinois, et où les gens sont allés en groupe dans les universités. C’est pourquoi j’ai eu envie de venir en Europe. A Paris, j’ai découvert Olivier Messiaen et Maurice Ravel, qui sont les compositeurs les plus appréciés en Chine, parce que l’on pense que c’est une musique, une culture, un langage très proches de l’orient, de la musique instrumentale chinoise. Ceux qui ont choisi les Etats-Unis proviennent directement de John Cage, George Crumb, de la nouvelle esthétique contemporaine ayant un lien philosophique avec l’Orient. En Chine, à partir des années 1980, les premiers cours qui présentèrent systématiquement la musique du XX° siècle ont été dispensés à Pékin par un compositeur britannique ayant travaillé à Cambridge University, Alexander Goehr, qui a présenté les dernière pièces de Debussy jusqu’à nos jours, Stravinski, Bartók, qui a été très aimé par les Chinois, et les sériels, Messiaen, et un peu de Chostakovitch, Boulez. Ces cours ont été dispensés pendant trois mois, en 1980. C’était organisé par le ministère de la Culture au Conservatoire de Pékin, ainsi qu’à Shanghai, où quelques étudiants ont été envoyés. Mais j’étais encore trop jeune pour m’y rendre, et ceux qui y ont assisté nous ont ramené les cours, comme Ge Ganru, qui est allé de Shanghai. Le tout a été imprimé et envoyé ou commandé par chaque conservatoire. Deux volumes ont été diffusés, alors que seuls ceux qui étaient en fin d’études avaient pu y participer. C’est ainsi que l’on a commencé à découvrir la musique à partir de Schönberg. On n’avait jusque-là ni disques ni partitions. On ne savait pas ce qu’était la musique de Schönberg, ni celle de Stravinski, pas même Le Sacre du printemps. C’est à partir de ces premiers échanges avec l’Occident que l’on a commencé à parler de tout cela. Dans les livres, on a seulement pu voir des exemples ou des extraits de partitions. C’est au Conservatoire de Paris, j’ai pu enfin tout regarder - j’avais appris le français en Chine quelques mois, puis en France deux mois durant.

B. S. : Pensez-vous retourner un jour en Chine ?
X. S. : Je reste en France parce que chaque année, par des institutions, je reçois des commandes d’Etat, notamment de l’Ensemble Intercontemporain pour janvier 1996, une autre du Neue Ensemble d’Amsterdam, d’autres encore pour le Festival d’Automne à Paris, l’Ensemble Contrechamps de Genève. Je programme un voyage en Chine par an. Les conservatoires de Pékin et de Shanghai sont les plus importants. Ils m’ont demandé des conférences, des présentations de la musique occidentale, des cours pratiques aux jeunes. Pour ma composition, c’est en France que j’ai tout changé, que j’ai connu mes premiers succès. En Chine, il reste des problèmes, l’éducation, l’affaire de la place Tien an Men, ils évitent de parler politique, et tout le monde pense économie, commerce. Même au conservatoire, les professeurs de composition, d’écriture, ne font pas exception. La musique pop, le rock, et la musique de film sont à la mode, et cela rapporte beaucoup d’argent. Donc, c’est devenu quelque chose de noble, d’intéressant. On est joué gratuitement, il n’y a pas de droits d’auteur, pas de régime de commandes en Chine. Les orchestres paient un peu pour les créations, pour faire le matériel, et après les œuvres sont libres de droits. Le compositeur ne peut donc pas vivre de sa création. Il n’y a pas de concerts de musique contemporaine, alors qu’il y a beaucoup de concerts de musique classique. Les orchestres de jeunes ont envie de jouer les jeunes compositeurs, les orchestres de radio aussi, notamment celui de Shanghai, ainsi que l’Orchestre Central de Chine à Pékin, qui sont demandeurs, mais aucun participe au financement des œuvres nouvelles.

B. S. : La Chine se démocratiserait-elle ?
X. S. : Elle crée son propre modèle : un modèle chinois de capitalisme, car différent du capitalisme occidental. Je ne suis pas interdit, je ne suis pas un exilé, je suis venu en France six mois après les événements de Tien an men.

B .S. Où en êtes-vous dans votre création ?
X. S. : Mon catalogue compte une vingtaine d’œuvres [NDR : en 1995]. Elles sont éditées chez Gérard Billaudot. J’ai gagné le Concours de composition de Besançon en 1992, ce qui m’a ouvert les portes de Billaudot. Si je m’installais en Chine, je serais obligé de faire du rock pour vivre et de la musique de film. Je n’ai pas envie de faire ça. Les professeurs de musique aussi en font, et donnent des cours de rock. Quant à moi, j’ai envie d’écrire comme je le fais en France.

Recueilli par Bruno Serrou, Paris  septembre 1995

°       °
°

Guo Wenjing (né en 1956). Photo : DR


Guo Wenjing (né en 1956)

Bruno Serrou : Pourquoi vivez-vous toujours en Chine, alors que la majorité de vos compatriotes compositeurs en sont partis ?
Guo Wenjing : Plusieurs raisons à cela : je n’arrive pas à ingéré la cuisine occidentale. Je considère qu’il y a deux sortes de gens qui souhaitent vivre en occident : ceux qui cherchent à développer une carrière de musicien, et ceux qui cherchent uniquement le confort matériel. Les premiers ont fait un gros effort pour quitter la Chine pour l’Occident, alors qu’ils ne s’approchent de leur but que par illusion. En réalité non. A mon avis, si ces compositeurs cherchent à avoir plus de chance de voir leurs œuvres jouées, finalement ils sont loin de la réussite, plus encore que s’ils étaient en Chine. Ce n’est pas parce que l’on est à Paris que les gens ont plus de considération pour vous. Mes camarades installés en Europe ou aux Etats-Unis ont beaucoup de difficultés. Pour les résoudre, ils perdent beaucoup de temps et d’énergie et il vaut mieux les utiliser à la composition. A l’université, j’avais un professeur d’harmonie qui avait fait ses études en Allemagne. Il a dit, ce avec quoi je suis tout à fait d’accord, « pour apprendre à composer, ce n’est pas la peine de sortir de Chine », et plus le temps passe, plus je trouve cette phrase d’une parfaite actualité. Tous ces gens qui vivent en occident cherchent à retourner en Chine pour se ressourcer. La culture occidentale n’appartient pas aux Chinois. Un Chinois reste un Chinois.

B. S. : Et la liberté de se mouvoir, de penser ?...
G. W. : Dans les grandes villes, il est possible de trouver une variété digne de l’Occident, des ressources occidentales. Depuis Tan Ciao Ping, la Chine est beaucoup plus ouverte qu’auparavant. Pour ce qui concerne l’art et la culture, le gouvernement ne contrôle pas autant que le cinéma ou la littérature. En musique, on a une petite liberté. Personne ne m’a contrôlé jusqu’à maintenant. La vraie question n’est pas au gouvernement mais à la société musicale. Le problème est qu’il n’existe pas de bons ensembles ou de bons orchestres pour jouer la musique contemporaine. Beaucoup de gens essayent de promouvoir cette musique, de monter un orchestre, mais c’est très difficile.

B. S. : Comment vous-même avez découvert la musique ?
G. W. : Je l’ai découverte très tard. A treize ans, par hasard. Pendant la Révolution culturelle, j’habitais ma province, et il y avait des conflits et débats violents de critiques. Ainsi je n’avais pas besoin d’aller à l’école, et je regardais les batailles dans la rue, mais c’était très dangereux. A ce moment-là mon père m’a acheté un violon - le style artistique de la Chine populaire devait, selon la volonté de Madame Mao, être accompagné par les instruments occidentaux au nom de la modernisation du pays.

B. S. : Où situez-vous votre musique ?
G. W. : Je considère que ma musique est plus chinoise qu’occidentale. Toute ma vie est en Chine. Jusqu’à vingt-deux ans, j’ai vécu dans les montagnes de la Chine centrale. Les Chinois utilisent les instruments occidentaux (piano, etc.) et, en plus, la musique chinoise traditionnelle n’est pas polyphonique, ce qui rend le côté mélodique assez occidental. Sur ce point, ma musique a un peu l’aspect occidental, parce que les instruments le sont. Les instruments chinois traditionnels sont restés figés, sans évolution. Je suis content maintenant que ces derniers n’aient pas changé pour pouvoir les utiliser dans ma propre musique.

B. S. : En Chine, le compositeur peut-il vivre de sa musique ?
G. W. : Il peut en vivre, et plutôt bien. Bien sûr, ce n’est pas en écrivant une musique d’avant-garde. En Chine, dans le conservatoire où j’enseigne, les jeunes compositeurs écrivent toutes sortes de musiques, du rock à l’avant-garde - je n’en fais pas, mais j’écris pour le cinéma, ce qui me suffit à peine pour acheter des cigarettes américaines. Les professeurs ont leur maison gratuitement mise à disposition par le conservatoire, en plus du salaire de 500,00FF [NDR : environ 500€ d’aujourd’hui], ce qui suffit à se nourrir. Cela semble très peu, mais en fait c’est pas mal, car on n’a pas de loyer, pas de frais médicaux, la nourriture est très bon marché. Bien sûr, je ne peux pas acheter de disques, mais il y a des bibliothèques. Il n’y a pas de droits d’auteurs. C’est ce qui est le plus scandaleux. S’il y en avait, ma vie serait encore plus confortable. Mais cela viendra. Je ne sais comment nous parviendrons à obtenir des droits d’auteur, et cette idée est très occidentale. Il vient de se créer une association pour les droits d’auteur voilà un ou deux ans [NDR : en 1995], je leur ai dit que l’une de mes œuvres allait être jouée en France, je leur ai demandé si je pourrais avoir quelque chose, la commission m’a répondu par la négative, parce que nous n’avons pas encore de liens avec la France. J’ai demandé s’ils en avaient avec d’autres pays. Non ! Il y a très peu de gens qui écoutent ce genre de musique. Le problème est que l’État n’aide en rien, et les compositeurs sont un peu isolés. Nous écrivons pour nous ! A l’heure qu’il est, je ne peux pas vivre de ma création, seulement de ce que je fais à côté. Je vis de la musique quand même. Mais en France, c’est la même chose pour les compositeurs : films, professeur de composition au Conservatoire de Pékin. Ma profession est celle d’enseignant, la composition c’est pour le plaisir.

B. S. : Avez-vous des contacts avec les compositeurs occidentaux ?
G. W. : Je ne connais personne. J’écoute leur musique mais ne les connais pas. A l’occasion, si je les rencontre c’est très bien, mais je ne cherche pas le contact, ce n’est pas nécessaire pour moi. A Pékin, je reste chez moi. Je suis un solitaire, je sors uniquement dans mon jardin ou dans les parcs de la ville où je me promène, et un peu avec ma fille. Je crains la vie en société. La composition est un métier de reclus. La nature compte énormément pour moi. Je vis à Pékin où il est difficile de s’en approcher. Il faut trois heures d’avion, quatre heures de voiture pour s’en approcher. Il y a trop de monde en Chine. La nature est dans ma tête et dans mon cœur. La plupart de mes œuvres sont inspirées de la nature, mais perçue de l’intérieur, elle n’existe que dans ma tête, précisément celle de ma communauté, la Chine centrale, où il y a les pandas.

B. S. : L’opéra vous intéresse-t-il ?
G. W. : J’ai pour le moment composé un seul opéra, Wolf Club Village, qui est présenté ce soir au Festival d’Automne. Après ces cinquante minutes, j’ai été complètement sous le charme de l’écriture de ce genre de pièces. J’ai déjà trouvé beaucoup de romans modernes chinois qui m’intéresseraient pour une mise en opéra. Dommage que je n’ai pas encore de commande d’opéra.

Recueilli par B. S., Paris septembre 1995

Après ce premier essai, Guo Wenjing a écrit six autres opéras, le dernier en date, Rickshaw Boy, ayant été créé en juin 2014


°       °
°

Tan Dun (né en 1957) dirige l'Orchestre National de Lyon en 2015. Photo : ONL

Tan Dun (né en 1957)

Bruno Serrou : Comment définissez-vous votre musique ?
Tan Dun : Elle mélange les musiques occidentales et chinoises. Pour moi, Orient et Occident ne sont pas si différents que cela, car elles contiennent la même humanité. C’est comme des gens qui parlent des langues différentes, français, anglais, allemand, chinois : ce sont tous des êtres humains. Pour moi, ce qui est le plus important est le son, la nature, le genre humain. Comme compositeur, ce n’est pas le fait d’être de l’Est, de l’Ouest, du Nord ou du Sud qui importe, mais de porter une âme, un cœur, d’exprimer, d’écrire de la musique. Pour moi, bien sûr, mêler tout est naturel, pour exprimer ma propre voie, cela m’est plus familier. Parce que je ne veux pas suivre une tradition, mais je ne veux pas non plus créer de nouvelles choses qui ne seraient pas fondées sur la tradition. Donc, je n’aime pas la tradition, mais j’aime la tradition. Je l’aime d’un point de vue historique, je ne l’aime pas d’un point de vue créatif. Je pense que ma musique est le son d’aujourd’hui que j’utilise pour m’exprimer moi-même à propos de la société internationale. Ma musique n’est pas seulement fondée sur la tradition chinoise, mais aussi sur la tradition occidentale, et plein d’autres choses. Différentes de mes propres visées, de mon propre point de vue, de ma propre expérience personnelle, spirituelle et technique, pour découvrir de nouveaux langages. L’élément primordial pour écrire de la musique, est la joie, l’âme, la souffrance de l’âme, le partage de tout cela. La musique est le meilleur média pour exprimer le tout.

B. S. : Pensez-vous que vous pourriez composer en Chine ce que vous composez à New York ?
T. D. : Vous pouvez composer ce que vous voulez n’importe où. Mais vous ne pouvez pas le faire jouer partout. A New York, oui. Mais New York n’est pas l’Amérique. C’est une ville internationale, très ouverte et très libre. Vous pouvez écrire ce que vous voulez où vous le pouvez. Pas à Pékin, qui est une ville très surveillée et où vous n’êtes pas vraiment libre. La ville est très limitée pour un artiste, mais vous pouvez vous exprimer au plus profond de votre âme, ce qui fait les plus grands artistes. Quel que soit l’environnement politique, l’artiste restera un artiste, car l’art est une attitude spirituelle. Ma musique est créée pour l’âme, la culture, l’esprit, la nature, le genre humain, non pour des échanges culturels, pour la politique, pour le nationalisme, l’internationalisme ou quoi que ce soit d’autre.

B. S. : Votre style est caractérisé à partir de quels modèles ?
T. D. : J’ai mon propre langage, qui est aussi influencé par l’avant-garde occidentale, par exemple John Cage, le plus prégnant, ou Edgar Varèse, Stravinski, Bartók, Philip Glass, Meredith Monk, Steve Reich. Je pense que j’ai eu d’excellents rapports avec la musique de Cage, qui a eu beaucoup de signification pour moi. Mais ma musique est tout-à-fait différente de celle de Cage, parce qu’il s’est beaucoup intéressé à la nature, comme moi, mais je le suis aussi par le genre humain, tandis que Cage s’attachait davantage à la nature qu’au genre humain.

B. S. : L’expérience que vous avez vécue durant la Révolution culturelle n’a pas changé votre perception du genre humain ?
T. D. : Profondément, parce que j’ai fait de terribles expériences à cette époque-là. J’aime encore plus l’humanité depuis lors.

B. S. : Et la Chine d’aujourd’hui ?
T. D. : Je pense que c’est un pays étrange. Economiquement, il est ouvert. Mais politiquement, non. Intellectuellement pas davantage. Parce que ce n’est pas encore un pays démocratique. C’est un nationalisme très pragmatique. Ils ne pensent pas appartenir à la société internationale.

B. S. : Pourquoi avez-vous choisi de vous installer à New York ?
T. D. : Pour des raisons scolaires. J’ai obtenu une bourse pour Columbia University.

B. S. : Aviez-vous rencontré des musiciens occidentaux en Chine ?
T. D. : Beaucoup de monde. Par exemple Alexandre Goehr, Toru Takemitsu, George Crumb, Hans Werner Henze. J’ai découvert Olivier Messiaen, Claude Debussy, Pierre Boulez n’étaient pas introduits avant les années 1980, car l’avant-garde était taxée de capitalisme. Nous avons plus appris sur eux hors de Chine. Mais maintenant, nous avons plus de chance d’apprendre sur eux parce que nous pouvons entrer davantage de musique en Chine, échanger des idées.

B. S. : L’exemple de Takemitsu utilisant la musique traditionnelle japonaise avec la musique occidentale la plus moderne vous a-t-il servi d’exemple en Chine ?
T. D. : Je pense que c’est un peu différent. Le résultat est probablement le même, mais je pense que Takemitsu est plus fondé sur la culture occidentale. Mais sa musique est pleine à la fois de musique française et d’influences japonaises. Mais ma musique est plus fondée sur la culture chinoise que sur l’occidentale. Il y a aussi l’Est et l’Ouest, mais l’Est plus que l’Ouest, contrairement à moi qui suis plus à l’Ouest. Mais musique est mienne, ni Est ni Ouest, c’est mon propre langage, même si j’ai été quand même influencé par Takemitsu par les ponts qu’il fait en utilisant les instruments japonais et les instruments occidentaux pour créer des couleurs combinées. D’un point de vue sonore, c’est très intéressant. J’utilise tout, même l’électronique et l’informatique. J’aimerais travailler à l’IRCAM, j’ai bon espoir. C’est la première expérience musicale que j’ai en France cet automne. Je n’étais venu en France qu’en vacances jusqu’à présent.

B. S. : Votre musique est âpre, explosive…
T. D. : Ce n’est pas de la musique populaire, folklorique. Par exemple, vous pouvez écrire pour des instruments occidentaux, et vous pouvez aussi y combiner votre propre expérience, mais votre expérience peut être de l’Est et de l’Ouest, mais ce n’est pas plus une musique occidentale qu’orientale. C’est votre propre musique, votre propre interprétation. J’écris en ce moment un opéra en trois langues (italien, anglais, chinois) parce qu’il s’agit d’un ouvrage sur Marco Polo. Je viens de l’achever, et il sera créé en mai 1996 sous ma direction à Munich, puis à Amsterdam, à Oslo, à New York, à Hong-Kong, à Prague… Le livret est de Paul Griffith, mais le concept est de moi. Il s’agit d’un opéra de deux heures pour quatorze chanteurs, et quarante musiciens. J’écris actuellement un autre opéra que m’a commandé un théâtre de Londres sur le Dalai Lama.

B. S. : Pensez-vous qu’il soit important pour un compositeur de diriger ?
T. D. : Pour un compositeur je ne le pense pas. Pour moi oui, du moins pour ma propre musique. Je dirige Boulez, Varèse, Bartók, la nouvelle musique chinoise, Takemitsu, etc. Je ne connais pas Boulez encore. Mais il a beaucoup influencé ma façon de diriger est très influencée.

B. S. : Quand la démocratie sera revenue en Chine, y retournerez-vous ?
T. D. : Je pense que, maintenant, je travaille trop dans la société internationale. Parce que tous mes contrats, mes compositions et mon métier de chef inclus, sont remplis pour les quatre années à venir. Je ne pense pas qu’être installé à Pékin, à Paris ou à New York ou où que ce soit dans le monde soit important parce que je voyage partout. Mais vivre à Pékin est trop limité. S’il y avait la démocratie, si Pékin était comme Tokyo, alors je choisirai de vivre à Pékin. Russes, Hongrois, Grecs ont choisi de vivre eux aussi loin de chez eux, ce qui ne crée aucun problème. Le passeport chinois est très stupide, parce qu’il est difficile de voyager avec, car il faut toujours des visas, et pour l’obtenir on doit se rendre dans une ambassade chinoise, où que l’on se trouve. J’ai ma Green Card, et je ne sais pas encore si je demanderai un jour la nationalité américaine.

B. S. : Voyez-vous régulièrement vos compatriotes musiciens ?
T. D. : Oui, parce que je dirige leurs œuvres. Je suis chef invité à la BBC Ecossaise, Principal Composer, et je dirige à ce titre la musique du XX° siècle [NDR : et du XXIe siècle]. Je suis le premier compositeur oriental à avoir de hautes responsabilités dans un orchestre européen comme Compositeur résident.

B. S. : Est-ce pour vous important d’être Chinois ou non ?`
T. D. : Je pense qu’il n’y a aucune importance à choisir sa citoyenneté, comme artiste. Parce que je ne suis pas un musicien qui travaille pour la Chine, ou pour les Etats-Unis, mais pour le monde.

B. S. : Si un jour un conservatoire chinois vous demande de travailler pour lui, accepteriez-vous sa proposition ?
T. D. : Cela a déjà été fait. J’y retourne parfois pour y enseigner. Mais je n’ai pas le temps. Le plus important pour moi est la liberté, et si la liberté est acquise, j’irai. C’est ma première condition. Parce que sans liberté vous ne pouvez pas enseigner grand-chose, si vous voulez enseigner Messiaen, Boulez, ce n’est pas bon. Ni ma propre musique. C’est un problème.

B. S. : Votre musique est-elle jouée, en Chine ?
T. D. : Peut-être, mais il y a de grandes controverses. Il y a beaucoup d’orchestres en Chine. Rien qu’à Pékin, il y en a dix.

Recueilli par B. S., Paris septembre 1995