mercredi 20 juillet 2016

Les magies du Festival de Beaune

Beaune. Festival international d’opéra baroque et romantique. Hospices de Beaune et basilique Notre-Dame. Samedi 16 et dimanche 17 juillet 2016.  

Beaune. La cour des Hosices. Photo : (c) Bruno Serrou

C’est sur un double hommage aux victimes de l’attentat perpétré à Nice trois jours plus tôt que s’est conclu le deuxième des quatre week-ends du Festival de Beaune dans une basilique Notre-Dame remplie à craquer. 

Anne Blanchard, directrice artistique du Festival de Beaune. Photo : (c) Bruno Serrou

Anne Blanchard, fondatrice et directrice artistique de la manifestation bourguignonne a en effet placé avant son exécution le Requiem en ré mineur KV. 626 de Mozart sous le sceau de la tragédie humaine qui a endeuillé la France et le monde vendredi 14 juillet, tandis que Paul McCreesh, qui dirigeait le concert, donnera en bis à la toute fin du concert un vibrant tribut le motet They are at Rest pour chœur et orgue composé en 1910 par Sir Edward Elgar que le chef britannique a introduit dans un français parfait.

Beaune. Basilique Notre-Dame. Photo : (c) Bruno Serrou

Paul McCreesh, les Gabrieli Consort & Players ont rendu hommage aux victimes de l’attentat de Nice

En première partie de ce concert donné en la basilique Notre-Dame de Beauvais, le Gabrieli Consort a interprété seul avec son directeur fondateur Paul McCreesh, accompagnés à l’orgue positif par Jan Waterfield, le monumental motet à cinq voix de Jean-Sébastien Bach Jesu, meine Freude BWV 227 dans une mise en place d’une absolue perfection suivi de l’Hymne à sainte Cécile que Benjamin Britten composa pour les BBC Singers qui en donnèrent la création le 22 novembre 1942, jour de la fête de la sainte martyr patronne de la musique et de l’anniversaire du compositeur. Le Gabrieli Consort a servi cet Hymn to St Cecilia op. 27 avec panache et une perfection sonore exemplaire, soulignant la diversité des lignes et des climats de l’œuvre.

Paul McCreesh et le Gabrieli Consort. Photo : (c) Bruno Serrou

Les Gabrieli Players ont rejoint le Consort pour le Requiem de Mozart. Paul McCreesh a choisi non pas la traditionnelle version complétée en 1792 par Franz Xaver Süssmayer mais celle de Robert D. Levin réalisée publiée en 1996. Cette version propose des corrections dans les parties de trombones, une extension de l’Hosanna, tandis que la transition du Benedictus vers la fugue de l’Hosanna est entièrement réécrite, à l’instar des dernières mesures du Lacrimosa qui débouchent sur l’Amen, alors que l’Agnus Dei subit des modifications mélodique et tonale. Joué sur instruments d’époque, les clarinettes étant remplacées par des cors de basset en forme de z, les deux trompettes étant naturelles, tandis que les basses étaient assurées par une seule contrebasse renforcée par l’orgue positif, les cordes étant au nombre de quinze (cinq premiers violons, quatre seconds, trois altos, deux violoncelles, contrebasse). 

Paul McCreesh, solistes, Gabrieli Consort and Players. Photo : (c) Bruno Serrou

Dans l’enceinte de la basilique Notre-Dame, la phalange instrumentale a sonné ample et précis, avec des sonorités étonnamment flatteuse, et répondant avec enthousiasme aux sollicitations énergiques et enlevées de son directeur fondateur Paul McCreesh, à l’instar du magnifique consort renforcé des solistes (la soprano Charlotte Beament, la mezzo-soprano Anna Harvey, le ténor Jeremy Budd et la basse Ashley Riches) placés parmi les choristes, chantant autant les soli que les tutti.

Entrée des Hospices de Beaune. Photo : (c) Bruno Serrou

Raphaël Pichon, l’Ensemble Pygmalion dans Zoroastre de Jean-Philippe Rameau

Né deux ans après la première édition du Festival international d’opéra baroque de Beaune, Raphaël Pichon et son Ensemble Pygmalion créé en 2005 sont des invités privilégiés depuis 2010 de la manifestation bourguignonne.

Devenu le grand rendez-vous estival de musique des XVIIe et XVIIIe siècles, Beaune a accueilli le captivant Raphaël Pichon depuis 2010. Sa première apparition a été placée sous le signe de Jean-Sébastien Bach avec une Messe brève et le Magnificat, Bach qu’il retrouve en 2013 avec la Passion selon saint Jean, Rameau est très vite le centre de son activité du festival beaunois : première mondiale en 2011 de la version remaniée en 1744 de Dardanus, seconde révision d’Hippolyte et Aricie (1757), Castor et Pollux dans la version de 1754.  C’est d’ailleurs à Rameau que Pichon a voué son ensemble en lui attribuant le nom de l’opéra-ballet Pygmalion.

La cour des Hospices de Beaune à l'issue de Zoroastre de Rameau. Photo : (c) Bruno Serrou

Rameau, qui est l’un des compositeurs les plus programmés à Beaune depuis 1987 avec des œuvres pour clavecin, pour orchestres, sacrées et des opéras. Cet aîné de deux ans de Jean-Sébastien Bach et de Georg Friedrich Haendel, est le plus grand compositeur français du XVIIIe siècle, et s’avère être plus novateur et posséder le sens du drame que le second de ses cadets. Dix-huit ans après un premier Zoroastre confié à William Christie et les Arts florissants, le Festival de Beaune a programmé le même opéra, cette fois dans sa version de 1756 avec des ajouts de celle de la création en 1749 de la quatrième et ultime tragédie lyrique de Rameau. Avec cette œuvre créée à l’Académie royale de musique, Rameau ouvre une ère nouvelle du théâtre lyrique français, avec entre autres une ouverture à l’italienne et non plus à la française, une entrée directe dans l’action, avec la suppression de prologue, une plongée dans la mythologie persane en lieu et place de la traditionnelle tragédie grecque, l’absence de premier rôle féminin, la dimension didactique du livret de Louis de Cahusac marqué par le manichéisme autour de la lutte pour le pouvoir entre un mage réformateur (Zoroastre) et un grand prêtre ambitieux (Abramane), le tout sous le sceau de la franc-maçonnerie…

Raphaël Pichon, solistes, xhoeur et orchestre de l'Ensemble Pygmalion. Photo : (c) Bruno Serrou

Une soirée de longue haleine, puisque l’ouvrage dure dans cette réalisation près de trois heures, avec de longs et superbes intermèdes orchestraux qui permettent de goûter le brio de l’Ensemble Pygmalion et de ses trente-six musiciens, qui, s’ils ont dû côté cordes entre chaque acte effectuer de longs moments pour se réaccorder, se sont avérés d’une homogénéité, d’une énergie et d’une justesse remarquables. Dans l’acoustique précise et claire de ce lieu sublime qu’est la cour des Hospices de Beaune, tandis que le soleil se couchait dans un ciel d’une pureté inédite depuis plusieurs mois et tandis que la pleine lune le relayait, Pichon et ses musiciens régalaient un public nombreux et connaisseur de leurs sonorités chaudes et profondes, fondées sur un continuo exceptionnel, avec deux clavecins, trois violoncelles et une contrebasse, tandis que flûtes, hautbois, bassons, cors s’imposaient par la sereine volubilité. Côté distribution, pas la moindre défaillance, avec un vaillant Zoroastre de Reinoud van Mechelin, l’impressionnant Abramane de Nicolas Courjal aux graves abyssaux, les deux excellents prêtres Zopire de Virgile Ancely et Narbanor de Etienne Bazola, Christian Immler dans les rôles d’Oromasès et de La Vengeance, et, côté femmes, une Katherine Watson déchirante et humble Amélite, Emmanuelle de Negri Erinice en amoureuse vindicative…

Bruno Serrou

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