Paris. Opéra-Comique. Mardi 8 novembre 2023
Il aura fallu attendre quatre pleines années, pour cause de pandémie de
Covid-19, pour que le public parisien découvre Salle Favart, l’un de ses
coproducteurs, l’opéra en un acte de Pascal Dusapin Macbeth Underworld créé le 20 septembre 2019 au Théâtre de La Monnaie de Bruxelles sur un
excellent livret en anglais de Frédéric Boyer et mis en image par un metteur en
scène ayant le vent en poupe, Thomas Jolly.
Le concept de cet opéra en huit « chapitres » est né durant la genèse du précédent opéra de Pascal Dusapin, Panthesilea en 2011-2013. « Appartenant à la mythologie européenne, rappelait le compositeur, Macbeth lors de sa création (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2019/09/pascal-dusapin-propose-bruxelles-un.html) est un archétype qu’il convient de faire revivre. Lorsque j’en ai parlé au directeur du Théâtre de La Monnaie, Peter de Calluwe, il m’a recommandé d’y associer un second terme. C’est ainsi qu’est venue l’idée d’outre-monde, Unterwald allemand, Underworld en anglais. » C’est donc un Macbeth-cauchemar que Dusapin propose ici. Les protagonistes revivent leurs drames, Lady Macbeth n’est plus une ignoble manipulatrice… « Je voulais que le couple s’aime vraiment, qu’il soit victime de sa soumission à un pouvoir occulte qui le dépasse, précise Dusapin. Je souhaite que l’on comprenne à travers cet opéra que nous sommes tous de petites gens capables du pire, et qu’il convient d’y veiller. » Dans cet opéra, une place prépondérante est donnée aux sorcières, qui manipulent jusqu’au subconscient des personnages. Voix émanant d’un autre monde, elles s’expriment dans des registres surhumains. La figure de l’enfant décédé hantant le théâtre shakespearien, sa présence ici permet de pénétrer jusqu’aux abysses de la pensée du couple Macbeth. A l’époque élisabéthaine, l’enfant était un facteur de maîtrise du pouvoir car il permet de maintenir ce dernier au sein d’une même famille. Pour le couple Macbeth, l’enfant mort devient une obsession.
Dans cet opéra qui conte en fait un authentique cauchemar, le couple d’usurpateurs assassins étant condamné à revivre son passé, la direction d’acteur de Thomas Jolly, Molière 2023 pour Starmania et directeur artistique des cérémonies des Jeux Olympiques 2024 à Paris, est réglée au cordeau. Le décor tournant cauchemardesque de Bruno de Lavenère autour d’un tronc d’arbre immense abritant un château délabré, permet une grande diversité de plans délimités par les lumières blafardes d’Antoine Travert, tandis que les costumes fantomatiques de Sylvette Dequest amplifient le côté vespéral du propos.
Remarquablement instrumenté, enrichie d’une sobre partie électronique, la musique sombre, grondante, menaçante de Pascal Dusapin où les instruments graves prédominent, fait de l’orchestre le personnage central polymorphe de l’opéra. Mais les chanteurs, dont la partie vocale est d’une grande exigence, s’expriment trop systématiquement dans une déclamation implacable, la vocalité étant tendue à l’extrême. Dans le rôle le plus chanté, l’excellente mezzo-soprano serbe Katarina Bradić, se substitue favorablement à son aînée tchèque Magdalena Kozena à Bruxelles, une ardente et poignante Lady Macbeth, le baryton étasunien Jarrett Ott, qui succède à Georg Nigl et qui n’a pas de notice biographique dans le programme de salle (pas davantage pour la majorité des participants), est un Macbeth impressionnant, vocalement puissant et endurant empli de son personnage, à l’instar du ténor britannique John Graham Hall, qui succède en fou du roi Porter à l’impressionnant Graham Clark, dont il n’a pas tout à fait la faconde, la basse japonaise Hiroshi Matsui ne démérite pas dans le rôle du fantôme où il succède à Matthew Best. Confiées à Maria Carla Pino Cury, Mélanie Boivert et Melissa Zgouridi, les trois sœurs constituent un ensemble fort homogène, et l’enfant Rachel Masclet, de la Maîtrise Populaire de l'Opéra-Comique, est parfait. Le chœur Accentus assure sa part du spectacle avec son brio habituel. Dans la fosse, Franck Ollu, fidèle serviteur de la création de Pascal Dusapin, dirige au cordeau un Orchestre de l’Opéra national de Lyon, qui après sa somptueuse performance dans sa propre fosse le mois dernier dans La Femme sans Ombre de Richard Strauss (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2023/10/premiere-lyonnaise-enthousiasmante-du.html), s’illustre de nouveau par sa virtuosité et ses sonorités charnues et sombres d’où émergent de saisissants éclairs de lumière.
Regrettons seulement que l’accès à la salle ait tardé sans que le public soit averti de la raison et qu’il ait commencé avec plus de trente-cinq minutes de retard, après une fastidieuse attente dans le hall d’un théâtre saturé de courants d’air…
Bruno Serrou
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