Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mercredi 29 novembre 2023
Cette semaine, l’Orchestre de Paris avait invité l’ex-directeur musical de
l’Opéra de Paris, Philippe Jordan, actuel directeur musical de l’Opéra d’Etat
de Vienne. Aussi, le choix du programme qui lui était confié ne devait rien au hasard,
avec deux grandes partitions d’autant de compositeurs viennois couvrant l’ensemble
de l’ère romantique, Franz Schubert (1797-1828) et Anton Bruckner (1824-1896)…
Cette semaine, l’Orchestre de Paris
était dirigé avec un bonheur et un enthousiasme communicatifs par Philippe
Jordan, face à des musiciens qui, en retour, lui renvoyaient des visages rayonnants
et joviaux. Au programme, deux symphonies composées à Vienne restées inachevées.
Le concert était si enthousiasmant que l’on n’a pu que regretter l’absence d’une
troisième inachevée viennoise, la Symphonie
n° 10 (du moins son Adagio initial,
complet) de Gustav Mahler, qui aurait conduit à un triptyque chronologique (1822,
1894, 1911) et numérologique (huit, neuf, dix).
Pour le nombreux public, qui mit un temps fou à s’installer suscitant l’impatience du plateau qui attendait que tout le monde soit assis, comme pour les musiciens, la soirée restera comme une brillante réussite, avec un programme réunissant deux symphonies inachevées d’autant de compositeurs viennois, la Symphonie n° 8 en si mineur « Inachevée » D. 759 de Franz Schubert et ses deux mouvements achevés aux sonorités charnues (graves grondants et pénétrants des six contrebasses), la force dramatique instillée par le chef suisse, où la lumière consolatrice brouille avec ravissement la tension fiévreuse et tragique de l’Allegro moderato initial d’une telle authenticité que l’on en a oublié le léger manque de tragique de l’Andante.
En seconde partie, la Symphonie n° 9 en ré mineur d’Anton Bruckner et ses trois mouvements complets dans la version révisée en 1951 par le musicologue viennois Leopold Nowak (1904-1991) ont été interprétés avec une tension et un chatoiement orchestral saisissants (Scherzo magistral de précision, de dynamisme, de scansion rythmique). Le discours instauré par Philippe Jordan infiniment élastique a donné à l’œuvre entière l’espace qui lui est nécessaire grâce à des tempos lents mais sans traîner qui sollicitent la virtuosité des musiciens de l’Orchestre de Paris, le chef suisse célébrant avec profondeur les célestes beautés des thèmes et de l’écriture cuivrée et brûlante - somptueux cordes, bois, cors et surtout tuben (quatre des huit cors alternant avec des tubas Wagner) - de Bruckner, les textures se faisant flamboyantes et fluides tout en préservant une totale transparence, chaque pupitre sonnant en toute magnificence. Ce qui transcende l’univers sonore propre aux symphonies de Bruckner réputé lourd voire opaque, tandis que le message paradisiaque de cette symphonie, que son auteur a dédiée « au bon Dieu » avec un immense Adagio qui dure autant que les deux premiers mouvements additionnés (ce qui donne une idée de la durée planifiée de la partition - qui aurait été assurément plus longue que la Symphonie n° 8 en ut mineur de sept ans antérieure -, qui, comme le précise l’autographe de la partition, est un « Adieu à la vie », suspend le temps et l’espace, qui tendent vers l’infini, formant un saisissant contraste avec le Scherzo qui le précède aux élans à la fois ironiques et lugubres.
Bruno Serrou
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