Paris. Opéra Bastille. Mercredi 13 septembre 2023
L’Opéra de Paris avait pourtant dans ses tiroirs une production-maison créée voilà quatre ans à Garnier d’Ivo van Hove (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2019/06/don-giovanni-paris-et-strasbourg.html) et reprise en 2022 à Bastille, qui n’avait pas fait oublier la proposition de Michael Haneke présentée à Bastille entre 2006 et 2015 (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2012/03/reprise-enthousiasmante-du-don-giovanni.html). Après le quartier d’affaires de la Défense et les rues de Séville d’aujourd’hui, c’est au tour d’une forêt ou plutôt d’un bois hyperréaliste de conifères plantée sur un plateau tournant, apparemment à peu de distance d’une métropole, considérant les accessoires parsemés dans le sous-bois. Ce décor de Christian Schmidt, qui signe aussi les costumes contemporains, permet à Claus Guth, qui signe ici une mise en scène à l’intrigue parfaitement lisible, toutes sortes de situations, d’apparitions emplies de sortilèges et de mystères, un abribus, une voiture en flamme, une statue de commandeur en bois émergeant d’un tronc d’arbre, un pique-nique improvisé où l’on voit le Burlador le chef couvert d’une écrasante couronne en carton doré tel un roi Lear tandis qu’il dédaigne les mets que lui présente son valet et que l’on entend l’orchestre de scène jouer depuis les coulisses… Le duel-règlement de compte de la première scène, ici un assassinat au révolver du Commandeur par Don Giovanni, se déroule rideau ouvert pendant l’exécution de l’ouverture. Les scènes des masques et du champagne dans le finale du premier acte, qui a cette forêt sombre pour cadre n’a rien de festif, tandis que celle du souper au cours duquel le Commandeur s’invite à participer après qu’Elvire eût supplié son amant de devenir sage, prend le tour d’un pique-nique perturbé par deux importuns. Quant au finale, pour souligner plus encore la noirceur du propos, il passe carrément à la trappe, plus de moralité donc, le spectacle se terminant sur la mort de Don Giovanni dans la boue, face contre terre, échappant ainsi au feu de l’enfer.
Cette conception fondamentalement noire et désenchantée des équipées du Burlador résonne jusque dans la direction musicale du chef franco-italien formé à Amsterdam et vivant à Berlin, proche de Claudio Abbado, Antonello Manacorda, qui, se conformant à la vision du metteur en scène allemand, propose une lecture de la partition ténébreuse mais aux arêtes vives et théâtrales, qui, parfois, peut apparaître un rien plane, à la tête d’un orchestre de l’Opéra toujours aussi souple et généralement précis.
Se fondant dans la noire vision du metteur en scène et à sa direction d’acteur réglée au cordeau, la distribution homogène est dominée par le Leporello du baryton-basse italien Alex Esposito, voix puissante et colorée, authentique comédien qui, tout compte fait, s’impose comme le seul protagoniste à avoir une part de positivité, tandis que le Giovanni de Peter Mattei, qui a fait depuis longtemps le rôle sien notamment à Paris dans la production de Michael Haneke, son incaranation d'un naturel saisissant, son timbre lumineux, sa présence mélancolique et sa stature élancée donnent fière allure au héros, qui ère comme une âme en peine n’appelant que sa fin inéluctable. Pour ses débuts à l'Opéra de Paris, le ténor étatsunien Ben Bliss est un digne Ottavio à la voix de velours, la basse étatsunienne John Relyea impressionne de sa voix puissante et ample en Commandeur, le bayton-basse français Guilhem Worms, expressif et bien chantant, est un Masetto juste à la fruste nature.
Côté feminin, plus lentes à trouver leurs marques que leurs comparses masculins, la soprano roumaine Adela Zaharia s’impose peu à peu pour finalement camper au deuxième acte une Donna Anna de noble stature à la voix aux nuances infinies, la mezzo-soprano française Gaëlle Arquez est une Donna Elvira touchante à la voix colorée, quant à Zerlina, la soprano chinoise Yin Fang est le seul rayon de soleil qui s’épanouit dans la production.
Bruno Serrou
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