Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mardi 12 septembre 2023
C’est avec un programme fort couru que l’Orchestre Philharmonique d’Israël
s’est produit le 12 septembre à la Philharmonie de Paris avec son directeur musical, Lahav Shani. La prise de risques
était donc patente mais elle a permis de jauger et d’apprécier la phalange
israélienne à sa juste valeur, qui, avec ses cordes onctueuses sans doute les
plus belles au monde, se situe incontestablement au pinacle de la hiérarchie, à
l’instar du soliste de la soirée, le violoniste israélo-étatsunien Gil Shaham.
Avec la présence à sa tête du
brillant Lahav Shani, l’Israël Philharmonic a indubitablement de très beaux jours devant lui. A
trente-quatre ans, le chef israélien s’impose en effet comme l’un des plus
grands chefs de sa génération, qui ne manque pourtant pas de grands talents. Ce
disciple de Daniel Barenboïm vainqueur du Concours international de direction d’orchestre
Gustav Mahler de Bamberg en 2013, est actuellement à la fois directeur musical
de l’Orchestre Philharmonique de Rotterdam depuis 2018, et, depuis deux ans, de
l’Israël Philharmonic où il a succédé à Zubin Mehta dont il a été l’assistant à
partir de 2010 après en avoir été l’un des contrebassistes dès 2007.
C’est l’inusable quoiqu’archi-rabâché Concerto pour violon et orchestre en ré majeur op. 35 de Piotr Ilyich Tchaïkovski qui a ouvert le concert, avec en soliste le solaire Gil Shaham, qui, une fois de plus aura irradié la salle entière de son sourire jovial, de ses sonorités lumineuses qu’il tire à flux continu de son Stradivarius « Comtesse de Polignac » de 1699 avec son archet aérien, son engagement épanoui et empreint d’humanité. Le merveilleux musicien communie littéralement avec ceux de l’orchestre, solistes et tuttistes confondus, pour des dialogues toujours plus chaleureux et envoûtants, particulièrement avec les bois. Interprète incandescent, virtuose au service de la seule musique, bouleversant et introspectif dans le mouvement lent, Shaham touche et séduit, quelles que soient les œuvres qu’il joue. Ainsi en a-t-il également été du divertissant morceau qu’il a offert en bis, Isolation Rag que le compositeur états-unien Scott Wheeler lui avait envoyé par e-mail durant le confinement dû à la crise de la Covid-19.
Fruit d’une genèse longue et particulièrement difficile, la Symphonie n° 1 en ut mineur op. 68 a été emportée de façon brûlante et singulièrement passionnée par un Lahav Shani énergique et virevoltant qui a offert une interprétation à couper le souffle et à qui le Philharmonique d’Israël a donné la pareille en répondant comme un seul homme à la moindre de ses sollicitations, magnifique de cohésion, de cantabile. Sur-vitaminés, tous les pupitres seraient à citer, tant la virtuosité et la fusion ont été absolues. En raison d’un public trop enthousiaste qui n’a pu s'empêcher d’applaudir entre les mouvements, le chef israélien n’a malheureusement pas pu mettre en évidence le fait que chacun des mouvements de cette symphonie de Brahms ne semble jamais naître mais être là de toute éternité. Mais il s’est largement rattrapé en donnant à l’œuvre ampleur épique, unité du discours, opulence du phrasé, ménageant des tensions tour à tour fébriles et domptées, la force conquérante du mouvement initial dont le matériau est impérieusement exposé par les timbales, le raffinement du mouvement lent, la sereine et candide poésie du Poco allegretto, surtout côté violons et bois solistes, particulièrement hautbois, clarinette et basson, qui se répondaient gaiement, la diversité des climats du finale dont la progression s’est avérée limpide et naturelle en dépit des structures particulièrement élaborées du morceau, tandis que le thème solennel au cor repris à la flûte sur un tremolo de cordes a été exposé avec ductilité. L’Orchestre Philharmonique d’Israël a été admirable de nuances, de précision, de flamme et d’élan, une virtuosité au cordeau avec des flèches dardant comme des fusées. Le violon solo est d’une beauté évanescente, le hautbois bruit comme une forêt entière, flûtes, clarinettes, bassons, cors, trompettes, trombones… Et que dire de ces contrebasses au velours sombre, impressionnantes de couleurs ombrées et de chaleur ?... Les pupitres des cordes israéliennes sont à célébrer en leur ensemble, apparaissant durant ce concert comme la plus belle section de cordes au monde - premiers (le premier violon solo permuttant entre les deux oeuvres programmées) et seconds violons se faisant face, entourant les violoncelles et les altos, les contrebasses derrière les premiers violons et les violoncelles (14-12-9-7-7). L’accueil du public a été si chaleureux que l’orchestre a donné deux bis, un Lied sans paroles de Félix Mendelssohn-Bartholdy et la Pizzicato Polka des Johann Strauss père et fils.
Bruno Serrou
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