samedi 16 septembre 2023

Pierre Bleuse ouvre triomphalement une ère nouvelle de l’Ensemble Intercontemporain avec la création mondiale d’un chef-d’œuvre de James Dillon

Paris. Philharmonie. Cité de la Musique. Grande Salle. Jeudi 14 septembre 2023 

Pierre Bleuse dirigeant l'Ensemble Intercontemporain le 14 septembre 2023. Photo : (c) Quentin Chevrier / EIC 

Magnifique soirée d’ouverture de saison de l’Ensemble Intercontemporain et brillante prestation de Pierre Bleuse, son nouveau directeur musical, Grande Salle de la Cité de la Musique de la Philharmonie de Paris, avec une fascinante création mondiale 

James Dillon (né en 1950),  Polyptych: Mnemosyne… Acts of Memory and MourningPierre Bleuse et l'Ensemble Intercontemporain. Photo : (c) Anne-Elise Grosbois / EIC

Pour son entrée en fonction à la tête de l’Ensemble Intercontemporain dont il est d’un an le cadet - l'ensemble ayant été créé en 1976 par Pierre Boulez -, Pierre Bleuse a créé l’événement avec la création d’une œuvre commandée pour l’occasion à l’un des compositeurs les plus puissants et originaux de la génération née dans les années cinquante, l’Ecossais James Dillon.

James Dillon (né en 1950),  Polyptych: Mnemosyne… Acts of Memory and MourningPierre Bleuse et l'Ensemble Intercontemporain. Photo : (c) Quentin Chevrier / EIC

Figure charismatique de la musique anglaise contemporaine à l’originalité et à la créativité hors du commun, souvent rattaché au mouvement de la Nouvelle complexité alors même qu’il refuse toute filiation, James Dillon est né à Glasgow le 29 octobre 1950. Il a abordé la musique au sein de groupes de rock et d’ensembles de musiques traditionnelles, avant d'étudier la linguistique, l’art, le design à Glasgow, le piano, l’histoire de la musique, plus particulièrement du Moyen Age à la Renaissance, et l’acoustique à Londres pour autant intégrer de classe de composition. Ce qui ne l’empêchera pas de l’enseigner à Darmstadt de 1982 à 1992, puis à l’University of Central England de Birmingham pendant trois ans (1993-1996), à Royaumont en 1996 et à la School of Music de l’Université de Minneapolis aux Etats-Unis. Il attendra 1986 pour s’initier à la musique électroacoustique à l’IRCAM où il compose Überschreiten, sept ans après avoir signé sa première œuvre, Ti.re-Ti.ke-Dha dans laquelle il déconstruit une série de cellules rythmiques issues du jazz, du rock et des musiques indiennes. En 1980, il commence à connaitre la notoriété avec la création de Once Upon a Time pour huit instrumentistes et Spleen pour piano, le Quatuor Arditti lui commande un Quatuor à cordes créé au Festival de La Rochelle en 1984, ainsi que Sgolthan pour flûte pour Pierre-Yves Artaud. En 2004, est créé à Porto avec le Remix Ensemble l’opéra Philomela dont il est aussi le librettiste. La musique de Dillon se fonde sur l’instabilité, une tension exacerbée, la simultanéité, la globalité, le fourmillement des masses, le tout méticuleusement élaboré et structuré. Sa création couvre tous les répertoires, de la musique instrumentale soliste à l’opéra, en passant par la musique de chambre, concertante, pour orchestre et les musiques mixtes (acoustique et électroacoustique). Attiré par les œuvres de grande envergure, James Dillon se plaît à composer de vastes cycles, à l’instar de Nine Rivers pour voix, instruments et électronique dont la genèse d’étend de 1982 à 2000, The Book of Elements pour piano (1997-2002) et Traumwerk Book (1995-2002).

James Dillon (né en 1950),  Polyptych: Mnemosyne… Acts of Memory and MourningPierre Bleuse et l'Ensemble Intercontemporain. Photo : (c) Anne-Elise Grosbois / EIC

Son goût prononcé pour le Moyen-Âge et la Renaissance, son expressivité directe, l’impact purement sonore aux trajectoires complexes, sa façon personnelle mais toujours magistrale de régenter les rapports entre l’instrument soliste et la masse mouvante que constituent les autres protagoniste de ses oeuvres, vise l’expression directe à travers la réunion d’images antagonistes, l’opposition permanente de registres, le traitement subjectif du temps musical autonome élaboré par couches superposées se contestant mutuellement dans un processus de réinterprétation permanente gouvernent de façon extraordinaire l’œuvre nouvelle que vient de créer l’Ensemble Intercontemporain qui l'a commandée, véritable fresque poétique et sonore, Polyptych: Mnemosyne… Acts of Memory and Mourning (Polyptique : Mnémosyne… Actes de mémoire et de deuil), titre qui intègre le nom de la déesse grecque de la mémoire et du souvenir, fille d’Ouranos (le Ciel) et de Gaïa (la Terre). Le compositeur rappelle avoir commencé à travailler sur cette partition en février 2022 après avoir perdu sa mère au moment où Vladimir Poutine entreprenait son infernale machine de guerre contre l’Ukraine. « Pour les érudits du Moyen Âge et du début de la Renaissance, précise le compositeur, l’imagination était une forme de la mémoire. Cette dernière peut prendre plusieurs formes, selon qu’il s’agit d’un souvenir (erroné ou non), de se souvenir, d’une réflexion (ou écho), etc. J’imagine essentiellement la mémoire comme un réseau infini d’associations de l’onirique au logique, du nostalgique à l’utopique, des associations que j’essaie de laisser couler librement à travers les mouvements [de l’œuvre] » Comme le précise encore le compositeur, cette œuvre pour trente instrumentistes en cinq mouvements constitués en diptyques ou triptyques qui se reflètent ou s'entrecroisent, est librement inspirée des polyptiques de la Renaissance, théâtre de la mémoire aux multiples plis et reliefs à l’instar de l’Autel de Gand de Huber et Jan van Eyck.

Hubert et Jan van Eyck, polytyque Autel de Gand ou L'Adoration de l'Agneau mystique (peinture sur bois acheveé en 1432). Cathédrale Saint-Bavon de Gand. Photo : DR

Donné en présence du compositeur, cheveux coupés courts et chapeau de paille façon Claude Monet, l’Ensemble Intercontemporain dirigé avec une précision extrême par Pierre Bleuse dont les gestes auront souligné la moindre inflexion, Polyptych: Mnemosyne… est apparu comme l’œuvre d’un immense peintre-poète du son, d’une force introspective et d’une profondeur bouleversante fondée sur les process de la mémoire à tous les sens du terme, à commencer par l’essence musicale-même. L’infinie diversité des couleurs foisonnantes suscitées par l’écriture finement inspirée de Dillon sont d’autant plus palpables et clairement audibles que le compositeur dispose les trente musiciens de façon classique face au chef et au public installé autour de la scène, mais sur un plateau tournant faisant une unique rotation complète en quatre-vingt minutes, du début jusqu’à la fin de l’exécution de l’œuvre, seuls les deux pianos et les trois percussionnistes restant regroupés en point fixe à l’extérieur du plateau. Cette œuvre dense et d’une admirable plastique avec ses couleurs chatoyantes suscitant une polychromie infinie est de bon augure pour l’association nouvelle de l’Ensemble Intercontemporain et de son directeur musical français, troisième Pierre de l’histoire de la formation, après son fondateur, Pierre Boulez, dont il porte également les initiales (PB), et son deuxième directeur musical, Péter Eötvös.

Bruno Serrou 

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