Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Dimanche 2 avril 2023
Pourquoi donc Louis Langrée n’est-il
toujours pas titulaire, à 62 ans, d’un grand orchestre français ? Lui
faudra-t-il attendre d’avoir 75 ans pour s’en voir enfin confier un ?
Telles sont les questions sans réponses qui hantent les mélomanes à l’issue du
concert qu’il a dirigé dimanche à la Philharmonie de Paris sous l’égide du
Palazzetto Bru Zane.
Les trois œuvres parmi les plus célèbres de Camille
Saint-Saëns qu’il a dirigées dimanche à la Philharmonie de Paris ont tout
simplement été d’une musicalité et d’une énergie irradiante. Fondé en 1991 par
Philippe Herreweghe, qui en est toujours le directeur musical, l’Orchestre des
Champs-Elysées a été magnifique sur ses instruments de l’époque du compositeur,
avec les seconds violons faisant face aux premiers à droite du chef. Un
orchestre brillant dont le rôle et la place sont inexplicablement sous-estimé
par la région où il est implanté, la Nouvelle Aquitaine à laquelle est attachée
la ville de Poitiers où il est implanté et qui a décidé en commun accord avec
elle-même de lui couper les vivres en supprimant ses subventions sans autre
forme de procès…
Après une évocatrice Danse macabre op. 40, poème symphonique de 1872 fondé sur six strophes du poème Egalité-Fraternité (1874) d’Henri
Cazalis (1840-1909), plus connu sous le nom de Jean Lahor, « Zig et zig et zig, la Mort en cadence / Frappant une tombe avec
son talon, / La Mort à minuit joue un air de danse, / Zig et zig et zig, sur
son violon […] », où le violon solo, en scordatura (désaccordé), a naturellement une place centrale, un
violon remarquablement tenu par Alessando Maccia depuis son pupitre de leader,
sachant remarquablement évoquer la voix chantante dans la mélodie originelle de
1870, tandis que l’ensemble des pupitres de l’orchestre, avec les instruments d’époque,
ont magnifié avec infiniment de naturel la riche palette de couleurs mise en
jeu par le compositeur, dont l’utilisation du thème du Dies Irae sur un rythme de valse, aura formé un fil conducteur pour
l’ensemble de ce concert.
Richesse de couleurs qui s’est largement confortée dans le plus fameux des concertos de Saint-Saëns, le Concerto pour piano et orchestre n° 5 en fa majeur op. 103 « l’Egyptien » créé par le compositeur Salle Pleyel le 2 juin 1896. Œuvre au caractère narratif, passant de l’Europe dans le mouvement initial à l’Orient dès l’Andante, lancé par une détonation de timbales (excellente Marie-Ange Petit) avant d’exposer une chanson d’amour nubienne que le compositeur avait entendue à bord d’un bateau naviguant sur le Nil, tandis que le vertigineux finale tournoie à la façon d’une hélice de paquebot pour conclure sur une fanfare triomphale. La façon limpide, aérienne et incroyablement naturelle avec laquelle Bertrand Chamayou a joué cette partition virtuose, dès les premiers glissandi du clavier, a littéralement hypnotisé l’auditoire, saisi par l’aisance stupéfiante avec laquelle ce merveilleux pianiste a joué cette œuvre singulièrement virtuose, sur un magnifique Pleyel de 1905, donc de neuf ans le cadet du concerto de Saint-Saëns, qui créa sa partition sur un instrument en tous points comparable à moins d’une décennie près. Un piano remarquablement préparé par Marion Lainé sur lequel Bertrand Chamayou a donné en bis l’Etude pour piano op. 111/4 « Les cloches de Las Palmas » (au sein de ce même recueil, Saint-Saëns reprendra dans la Toccata une partie du finale de son Cinquième Concerto) saturée de magie.
Avant de donner le signal de fin, Louis Langrée est revenu un micro en main pour annoncer le bis que l’orchestre allait jouer en prime, « non pas du Saint-Saëns » mais l’intermède de Carmen, opéra de Georges Bizet qu’il s’apprête à diriger à la tête de la même formation élyséenne dans la fosse de son théâtre, la salle Favart, du 24 avril au 4 mai.
Bruno Serrou
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