Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Samedi 1er avril 2023
Concert monographique Richard
Strauss très court (cinquante-cinq minutes) samedi soir de l’Orchestre
Philharmonique de Radio France à la Philharmonie de Paris. Mais la magie de la
direction de feu de Fabien Gabel a été foudroyante…
Il faut d’autant plus se réjouir de
la réussite de ce concert que Fabien Gabel remplaçait au pied levé Mikko
Franck, souffrant, et qu’en plus les mouvements sociaux dus aux réformes de la
retraite n’ont pas permis de disposer du nombre de répétitions requises pour un
tel programme. Du coup, le concert a été donné sans entracte, ce qui n’est pas
un mal, en vérité.
Avec pour résultat, la suppression des fragments symphoniques de La Légende de Joseph op. 63 initialement prévus, extraits du ballet adapté par Hugo von Hoffmannsthal et le comte Harry Kessler de l’épisode biblique Joseph et la femme de Potiphar, commande de Serge Diaghilev très rarement programmée bien qu’elle fut créée avec succès à l’Opéra de Paris le 14 mai 1914, deux mois et demi avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale, dans une chorégraphie de Vaslav Nijinski. Encore ne s’agissait-il samedi que d’une exécution fragmentaire de vingt-cinq minutes sur les soixante-cinq de l’œuvre originale dont l’effectif instrumental est conforme à celui d’Elektra…
C’est sur des pages tout aussi rares que s’est ouvert ce concert, les quatre interludes symphoniques extraits de l’opéra Intermezzo de 1924 jamais donné à Paris sans sa version scénique. Il s’agit pourtant d’un véritable bijou où Richard Strauss conte un épisode de sa propre vie, la confusion par une cantatrice de son amant, à quoi elle adressait un message, avec le compositeur qui le reçut, ce engendra une crise au sein du couple Richard et Pauline Strauss, que l’on voit dans l’opéra jusque dans leur maison de Garmisch-Partenkirchen, où se déroule une inénarrable partie de skat, et sur les pistes de la station de sports d’hiver bavaroise avec leur fils Franz faisant de la luge… Sous l’impulsion de Fabien Gabel, le Philharmonique a donné une interprétation sensuelle et étincelante de ces quatre interludes, suscitant ainsi un grand moment de gourmandise sonore.
C’est un grand saut en arrière dans le temps de la création straussienne qui a été fait, avec le monologue de Chrysothémis « Ich kann nicht sitzen und ins Dunkel starren wie du » (« Je ne peux rester assise, immobile dans l’ombre comme toi ») de l’opéra de tous les excès qu’est Elektra créé en 1909, chanté par une étincelante Asmik Grigorian, bien qu’elle ait dû aborder à froid cet air difficile qu’elle a vaillamment maîtrisé, sa voix s’échauffant rapidement.
Logiquement précédée en guise d’introduction
de la scie straussienne pour orchestre seul qu’est la Danse des sept voiles vaillamment interprétée par un Philharmonique
de Radio France compact mais aux voix clairement définies et jamais brouillées,
la soprano arméno-lituanienne une hallucinante scène finale de Salomé, opéra créé en 1905 qui permit à Richard Strauss de financer la construction de sa maison de Garmisch, « Ah! Du wollest mich nicht deinen Mund küssen lassen, Jochanaan! »
(« Ah ! Tu n’as pas voulu
me laisser embrasser ta bouche, Jochanan ! »), la jeune nubile
biblique qui l’a révélée au Festival de Salzbourg en 2018 dans lequel, éblouissante
et hallucinée, la cantatrice est passée sans flancher au-dessus de l’orchestre
de braise dont tous les pupitres ont rutilé à satiété sous l’impulsion fervente
mais attentive à la soliste de Fabien Gabel.
Bruno Serrou
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire