Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Vendredi 14 avril 2023
L’Orchestre de Paris devient à
chacune de ses prestations une phalange d’exception. Lors du concert de
vendredi sous la direction de son chef titulaire, le Finlandais Klaus Mäkelä,
il a rayonné de tous ses feux, quelles que soient les œuvres.
La première partie était vouée à la Finlande, avec en ouverture une Valse triste op. 44/1 de Jean Sibelius chaleureusement nostalgique, qui a préludé à une création française du Concerto n° 3 pour piano et orchestre de Magnus Lindberg (né en, 1958) composé en 2022 pour la pianiste chinoise Yuja Wang. Commande des China National Center for the Performing Arts, des Orchestres Symphoniques de San Francisco et de Toronto, Philharmonie de Paris-Orchestre de Paris, des Orchestres de la NDR Elbphilharmonie et du Philharmonique de New York, créé le 13 octobre 2022 au Louise M. Davies Symphony Hall de San Francisco par Yuja Wang, le Symphonique de San Francisco et Esa-Pekka Salonen, c’est sa créatrice et dédicataire qui le donnait cette semaine à Paris en présence du compositeur. Taillé à la mesure de son interprète, le concerto exploite son extraordinaire digitalité, sa virtuosité d’airain, la souplesse de son jeu, sa vélocité d’exécution. Si Yuja Wang fascine par sa flamboyance, sa dextérité, ses sonorités de braise, l’œuvre elle-même ne parvient pas à maintenir l’attention tant elle s’avère longue et sans personnalité tant son caractère hollywoodien consensuel est excessif, avec ses façons néo-post-romantiques, en vrac Rachmaninov, Ravel, Prokofiev, Bartók - celui du Troisième Concerto, le moins novateur des trois… Où donc est passé l’auteur de l’impressionnant Kraft pour ensemble et orchestre symphonique (1983-1985), d’Aura (1993-1994), et même du Concerto n° 1 pour piano (1994-1997) ?... Des grands compositeurs finlandais nés dans les années 1950, seule Kaija Saariaho a su préserver sa forte personnalité.
De toute
évidence enchantée par l’accueil chaleureux du public, Yuja Wang a offert
quatre bis, le Prélude op. 87/8 de Dimitri Chostakovitch, Yö meren rannalla (Une nuit
sur le rivage) op. 34/1 du
compositeur pianiste finlandais Heino Kaski (1885-1957), la Fantaisie sur Carmen de Vladimir
Horowitz, et l’Etude op. 76/2 de
Sibelius, pour clore cette première partie vouée à la Finlande...
En seconde partie, une fulgurante et luxuriante Symphonie n° 6 en si mineur « Pathétique » op. 74 de Piotr Ilitch Tchaïkovski… Le compositeur russe a toujours réussi à l’Orchestre de Paris, mes souvenirs remontant avec lui à une extraordinaire « Pathétique » en 1974 au Théâtre des Champs-Elysées dirigée par Seiji Ozawa… Sous la direction accomplie de Klaus Mäkelä, la phalange sonne d’entrée tout en rondeur et en plénitude, dès l’exposition du thème lugubre du basson dans l’Adagio liminaire, bois par deux (plus piccolo) et bientôt les cuivres dont les onze éléments (cinq cors, deux trompettes, trois trombones, tuba) ont sonné fièrement. Avec sa gestique qui se fait toujours plus chorégraphique, le chef finlandais a évité le pathos tout en mettant en exergue l’urgence et la gravité implacable de l’œuvre. Sitôt la reprise haletante du thème liminaire, l’Allegro non troppo s’est déployé dans un vacarme plus tenu que de coutume, le lyrisme plutôt que le fatum emportant le mouvement initial entier. Dans l’Allegro con grazia, Mäkelä a mis en valeur la souplesse et la légèreté de la valse à cinq temps qui pulvérise l’angoisse qui a précédé en l’emportant dans un tourbillon d’élégance insouciante tempérée par un retour d’un tragique pressentiment, tandis que l’Adagio final, aussi tragique fût-il, n’a pas sombré dans un fatum excessif, touchant au contraire dans son tragique naturel sincèrement humain. Dans un son toujours rond exempt de toute acidité et frottement de timbres, répondant aux sollicitations de leur directeur musical, les visages trahissant un vrai bonheur de jouer, les musiciens de l’Orchestre de Paris se sont illustrés par la rutilance et la plénitude de leurs sonorités, leur plaisir évident de jouer ensemble.
Bruno Serrou
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