Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Lundi 3 avril 2023
Justement célébré pour la qualité de
son jeu et pour la plastique de ses sonorités, Lucas Debargue a partiellement
déçu durant son récital de lundi à la Philharmonie de Paris.
Non pas en raison d’une quelconque baisse de forme, ce qui aurait fort bien lui arriver, un artiste n’étant pas un froid robot… mais de son choix porté sur un piano hors normes, un instrument du facteur Stephen Paulello, le modèle Opus 102, pourvu d’une mécanique à cordes parallèles et d’un clavier de cent deux touches qui lui donne son nom. J’ai personnellement découvert cet instrument en écoutant le CD que Katherine Nikitine a consacré au compositeur russe Mili Balakirev (voir article critique http://brunoserrou.blogspot.com/2023/02/cd-katherine-nikitine-donne-au-piano-du.html), qui, dans ce répertoire et avec des micros, sonnait fort bien.
Ce qu’il fera dans l’une des
pièces inscite au programme de Lucas Debargue, en seconde partie. Mais auparavant, que de
déceptions. Le pianiste de trente-trois ans n’a pas réussi à soulever l’enthousiasme
dans la première partie, tant le piano est apparu éteint, sans couleurs ni
reliefs. La Sonate n° 8 en la mineur KV.
310 écrite par un Mozart de 22 ans interprétée à contresens, car abordée de
façon alerte et insouciante, malgré des sonorités ternes, alors qu’il s’agit de
l’une des sonates les plus sombres voire tragiques du compositeur. Les pages de
Frédéric Chopin qui ont suivi ont été littéralement atones. Ce qui est semblait
incroyable. Il fallait se pincer pour y croire, et surtout pour ne pas se
laisser emporter par la somnolence… Le choix des œuvres était pourtant judicieux,
avec la Ballade n° 2 en fa majeur op. 38
au dramatisme blafard, le Prélude en ut
dièse mineur op. 45 et une Polonaise-Fantaisie
en la bémol majeur op. 61 atone, défaite de toute passion…
… Et le miracle a eu lieu dans la seconde partie, avec le très rare Concerto pour piano seul op. 38/1 que Charles-Valentin Alkan (1813-1888) a composé en 1857. Comme son titre le laisse pressentir, et à l’instar des Concertos italiens pour clavier que Jean-Sébastien Bach composa en 1735, le piano tient seul ici les deux parties de la forme concertante, celle du soliste et celle de l’orchestre au grand complet. Ce qui annonce de nombreuses difficultés d’exécution et les prouesses digitales à accomplir avec les seuls dix doigts du pianiste, qui doit assumer sections tutti et solistes, pour faire entendre par sa virtuosité cordes, bois, cuivres, timbales, l’interprète devant assurer seul chant et contre chant, harmonie, timbres, rythmes. Lucas Debargue a relevé les défis avec un panache éblouissant, jouant par cœur, s’investissant totalement dans l’exécution de l’œuvre au point d’oublier qu’il était entouré d’un nombreux public particulièrement silencieux, tout étourdi qu’il était par la performance à laquelle il était en train d’assister, même si l’on eût apprécié un instrument aux timbres plus colorés et différenciés, aux graves plus touffus et sombres qui aurait permis de distinguer plus clairement les nombreuses strates de l’écriture d’Alkan. Hélas, le pianiste a décidé de limiter sa prestation au seul Allegro maestoso initial, estimant ne pas avoir le droit d’imposer au public l’audition complète des cinquante minutes dont les trois mouvements de l’œuvre nécessitent cinquante minutes… Il s’est donc contenté des trente-deux minutes du seul premier mouvement, Lucas Debargue tirant de ce morceau monstrueusement difficile toute son essence et sa saveur, se jouant de tous les pièges techniques et musicaux, ne donnant jamais l’impression de longueur mais surprenant l’oreille à tout instant et soutenant l’attention d’un bout à l’autre.
Ayant précisé avant de la jouer que l’œuvre est trop longue et qu’il craignait lasser son public, Lucas Debargue a préféré retourner à Chopin, retrouvant malheureusement le climat atone de la première partie de son récital, et j’avoue qu’à l’issue de la deuxième pièce, j’ai préféré partir… Dommage.
Bruno Serrou
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