Lyon,
Opéra National de Lyon, mercredi 7 octobre 2015
Hector Berlioz (1803-1869), la Damnation de Faust. Kate Aldrich (Marguerite), Charles Workman (Faust) et Laurent Naouri (Méphistophélès). Photo : (c) Bertrand Stofleth
Ouvrage tenant non pas de l’opéra mais
de la musique à programme avec voix obligées, La Damnation de Faust n’a pas été envisagée par Hector Berlioz
pour la scène. L’ouvrage s’avère de ce fait délicat à représenter. D’autant
que, dans la mouture initiale, les Huit Scènes de Faust d’après le Faust de Goethe traduit par Gérard de
Nerval, il s’agit d’une suite de scènes qui n’ont pas de lien entre elles. Cette
œuvre tient donc de l’oratorio profane dramatique plutôt que du théâtre lyrique.
Hector Berlioz ne l’a d’ailleurs jamais dirigée ni vue représentée sous une forme
opératique, et il a fallu attendre près d’un quart de siècle après sa mort pour
qu’il soit monté par un théâtre, l’Opéra de Monte-Carlo en 1893.
Hector Berlioz (1803-1869), la Damnation de Faust. Maîtrise de l'Opéra de Lyon. Photo : (c) Bertrand Stofleth
Cette particularité octroie une réelle
liberté au metteur en scène qui s’y intéresse. Il peut ainsi en effet donner
libre cours à son imaginaire. Cela d’autant plus qu’il est décemment impossible
de se référer à une quelconque tradition ou d’évoquer un quelconque respect de
la volonté du compositeur. En tout cas, chacun peut y voir midi à sa porte, et
peut à partir de cette œuvre évoquer sa propre vision de l’enfer. Ainsi, à
l’instar d’Olivier Py à l’Opéra Genève en juin 2003 avec Jonas Kaufmann dans le
rôle-titre, la nouvelle production de David Marton présentée depuis mercredi par
l’Opéra de Lyon n’a laissé personne indifférent le soir de la première, les
spectateurs manifestant bruyamment de part et d’autre leur désaccord ou leur
approbation, ce qui est plutôt rare de la part du public lyonnais habituellement
paisible. Mais a contrario du metteur
en scène français, point de perspective théologique, métaphysique ou
philosophique chez son confrère hongrois, qui se focalise sur le matérialisme
consumériste et sur l’actualité la plus sombre. Ici point de Christ en croix ni
de méditation sur la place de l’Homme dans le monde, mais un constat terrifiant
de noirceur et d’inhumanité.
Hector Berlioz (1803-1869), la Damnation de Faust. Choeur et Maîtrise de l'Opéra de Lyon. Dans le fond, une vidéo tournée à Lyon, place des Terreaux. Photo : (c) Bertrand Stofleth
Bien que cette conception tienne,
l’on peut néanmoins regretter que cette production donne la primauté au théâtre
sur la musique, au point non seulement d’ajouter du texte, emprunté il est vrai
à Goethe et toujours dans la traduction de Nerval, mais aussi de retoucher la
partition elle-même, pour ajouter en présence au chœur, qui est « clairement
le personnage principal », comme le rappelle Marton. D’emblée, un long
récit parlé de la foule harangue le public au sujet des réfugiés politiques
syro-iraquien et de leur accueil par les pays occidentaux, avant que le même
chœur se voit attribué la première intervention de Méphistophélès, s’immisce
plus loin dans le duo d’amour Faust-Marguerite, entre autres modifications…
Pourtant, en dépit de cette volonté formellement affichée de se rapprocher de
Goethe, Marton l’est moins que ne l’était Py, qui ne s’était pas autorisé de
modifications à la partition. Constitué d’un viaduc autoroutier détruit par des
bombes à l’aplomb de montagnes arides et sous lequel pait un cheval blanc et près duquel une Peugeot 203 pickup, le
tout étant recouvert d’une étoffe blanche dans la seconde partie, les décors de
Christian Friedländer instaurent un climat de désolation et de guerre, y
compris dans les réminiscences consuméristes dont les images traversent le
grand écran qui couvre le fond de scène avant et pendant la course à l’abîme de
Faust et de Méphisto sur les routes du Nouveau Mexique à bord de la 203 pickup.
Hector Berlioz (1803-1869), la Damnation de Faust. Charles Workman (Faust) et Laurent Naouri (Méphistophélès). Photo : (c) Bertrand Stofleth
Ressenti d’autant plus prégnant
qu’il est souligné dans la fosse par un orchestre judicieusement « sali »
par Kazushi Ono, qui parvient à tirer de ses instrumentistes des sonorités rudes
et hérissées propres à provoquer la frayeur. Toute d’élégance et de souplesse,
la voix de Charles Workman n’a pas le charnu et la noblesse de celle d’un
Kaufmann, mais, malgré l’utilisation du falsetto
dans l’extrême aigu dans la troisième partie de l’œuvre, le ténor américain
campe un Faust séduisant et égaré. Laurent Naouri a le timbre noir et s’avère aussi
extraordinaire chanteur qu’exceptionnel comédien, sa voix s’imposant également
dans tous les registres. Kate Aldrich bouleverse en Marguerite, son timbre de
chaud mezzo compensant largement un vibrato un peu trop prononcé. René Schirrer
est un Brander à la voix fatiguée, et le chœur n’est pas exempt de décalages
dans la déclamation du texte ajouté par le metteur en scène, mais se rattrape
amplement par son homogénéité vocale et son engagement dans la diversité des rôles
que lui attribue Berlioz.
Bruno Serrou
Jusqu’au 22 octobre 2015.
Rés. : 04.69.85.54.54. www.opera-lyon.com
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