Strasbourg, Opéra du Rhin, vendredi 23 octobre 2015
Gabriel Fauré (1845-1924), Pénélope. Anna Caterina Antonacci (Pénélope), Marc Laho (Ulysse). Photo : (c) Klara Beck
Connu du grand public pour sa Messe de Requiem et son Cantique de Jean Racine, Gabriel Fauré
(1845-1924) a beaucoup écrit pour la voix, lui dédiant une centaine de
mélodies, des pages chorales religieuses et profanes. Sa fibre lyrique
s’est exprimée dans des musiques de scène pour le théâtre dramatique et dans le
théâtre lyrique, avec la tragédie lyrique en trois actes Prométhée donnée aux Arènes de Béziers en 1900, et le poème lyrique
Pénélope composé entre 1907 et 1912.
Gabriel Fauré (1845-1924), Pénélope. Anna Caterina Antonacci (Pénélope). Photo : (c) Klara Beck
Dans Pénélope
se trouve le meilleur de l’auteur du Requiem.
Au point qu’il a donné naissance à l’un des chefs-d’œuvre de l’opéra français
du XXe siècle. C’est pourquoi l’on ne peut que s’étonner qu’il soit
si rarement à l’affiche, la dernière production, sauf erreur, ayant été
proposée voilà plus de seize ans à l’Opéra de Rennes avec Manon Feubel en
Pénélope, production précédée en 1989 par celle de l’Opéra de Nancy avec
Isabelle Vernet dirigée comme à Rennes par Claude Schnitzler - ils retrouveront
tous deux l’œuvre en 2001 lors d’un concert Théâtre des Champs-Elysées. Sauf erreur ou omission, Paris
n’a pas vu l’ouvrage depuis 1943, à l’Opéra de Paris, avec Germaine Lubin dans
le rôle-titre, si ce n’est une autre version concert en 2013 dans le même Théâtre des
Champs-Elysées qu'en 2001. L’œuvre est pourtant d’une accessibilité
immédiate, et l’on oublie les vers plutôt emphatiques et datés de René Fauchois
- l’auteur de Boudu sauvé des eaux -,
volontiers admis avec le recul du temps par le librettiste et le compositeur eux-mêmes :
quantité d’opéras sont écrits sur des textes plus faibles encore et n’en
connaissent pas moins de constants succès. Quant à la partition, il est trop
souvent affirmé que l’orchestration n’est pas de Fauré. En vérité, moins du
cinquième de celle-ci est dû à une main étrangère, celle d’un certain Fernand
Pécoud à qui le compositeur ne confia que les passages à orchestre réduit. Ce «
poème lyrique », suggéré à Fauré par la cantatrice Lucienne Bréval, qui
allait créer le rôle-titre, inspira au compositeur épris d'Antiquité grecque
une musique aussi généreuse et envoûtante qu’originale. Dans Pénélope, Fauré emprunte au leitmotiv
wagnérien qu’il adapte et simplifie et ouvre des voies nouvelles dans le
traitement de la voix, mêlant récitatif, arioso accompagné et mélodie lyrique.
Gabriel Fauré (1845-1924), Pénélope. Anna Caterina Antonacci (Pénélope), et les prétendants. Photo : (c) Klara Beck
Créés à Monte-Carlo le 4 mars 1913, repris avec
grand succès à Paris le 24 avril suivant lors des festivités de l’inauguration
du Théâtre des Champs-Elysées, les trois actes de Pénélope exhalent une atmosphère profondément humaine, pudique,
réservée, mais aussi dramatique et sensuelle. L'orchestre, auquel revient le
matériau thématique, est souvent opalescent et permet à la voix de s’épanouir
librement, mais il peut aussi se laisser porter par l’héroïsme du sujet, sans pour
autant couvrir les voix. Le
magnifique rôle de Pénélope est tout de vertu, de dignité, de l’attente obstinée
dans la solitude, de la sobre grandeur a été l’apanage de Germaine Lubin, qui
incarna les plus grandes Isolde et Brünnhilde que la France ait connues.
Pourtant, cet ouvrage est rarement représenté, du moins en France, et il n’en
existe que deux enregistrements.
Gabriel Fauré (1845-1924), Pénélope. Anna Caterina Antonacci (Pénélope), Marc Laho (Ulysse). Photo : (c) Klara Beck
L’Opéra du Rhin, où Pénélope n’avait pas été représentée
depuis 1923, a fait appel pour le retour de l’ouvrage à l’affiche à Olivier Py,
qui a monté la saison dernière dans ce même théâtre Ariane et Barbe-Bleue de Paul Dukas, autre opéra français inspiré
de la mythologie grecque. Py apprécie tant Fauré qu’il en avait inclus le Cantique de Jean Racine dans sa mise en
scène du Soulier de Satin de Paul Claudel
en 2003 où il s’était joint à la troupe qu’il avait réunie pour chanter l’œuvre
avec elle. Sa conception du chef-d’œuvre de Fauré est loin du dépouillement et
du statisme de celle qu’Alain Garichot a présentée à l’Opéra de Rennes.
Gabriel Fauré (1845-1924), Pénélope. Anna Caterina Antonacci (Pénélope), Edwin Crossley-Mercer (Eurymaque). Photo : (c) Klara Beck
Dans
une scénographie en mouvement perpétuel - le décor tourne quasi continument sur
lui-même au point de donner le tournis au spectateur -, réalisée par son fidèle
collaborateur Pierre-André Weitz, se construisant et se déstructurant à l’envi,
avec en son centre une étendue d’eau par trop sonore où évolue les
protagonistes ainsi qu’un bruyant destrier monté avec panache par son cavalier - pensons ici à un autre cheval, qui, à Genève, l’après-midi de la première
de la Damnation de Faust donnée sous
une forte chaleur, avait déposé des crottins puants qui suscitèrent quelques
malaises parmi les spectateurs, si bien que dans les représentations suivantes,
Py condamna l’animal à rester à l’écurie -, les trois actes se déploient sans
interruption, ce qui donne à l’œuvre une grande unité dramatique. Py signe un
spectacle en noir et blanc où les protagonistes se meuvent avec un naturel qui reflète
une direction d’acteur au cordeau.
Gabriel Fauré (1845-1924), Pénélope. Anna Caterina Antonacci (Pénélope), Marc Laho (Ulysse), un figurant (Télémaque), Jean-Philippe Lafont (Eumée), Zia Grob (un pâtre). Photo : (c) Klara Beck
Dans cette ode à la fidélité et à
l’intrépidité, Anna Caterina Antonacci, qui avait tenu ce rôle Théâtre des
Champs-Elysées voilà deux ans face à l’Ulysse de Roberto Alagna, émeut en
Pénélope toute en tensions intérieures et en pudeur, s’exprimant en un français
irréprochable de sa voix claire et ardente. A ses côtés, Marc Laho est un
Ulysse héroïque au chant d’une singulière douceur. Au sein d’une distribution
homogène où les femmes se distinguent, particulièrement Elodie Méchain,
Euryclée à l’alto de velours, et Sarah Laulan au chaud mezzo dans le trop court
rôle Cléone, les prétendants étant des mâles grossiers que seul le sexe
préoccupe, relevons la présence de Jean-Philippe Lafont, qui brosse un Eumée
sonore mais ardent.
Gabriel Fauré (1845-1924), Pénélope, finale Anna Caterina Antonacci (Pénélope), et le Choeur de l'Opéra du Rhin. Photo : (c) Klara Beck
Patrick Davin, qui a déjà
travaillé avec le metteur en scène à Genève en 2003 dans la Damnation de Faust de Berlioz, dirige avec rigueur l’Orchestre
Symphonique de Mulhouse plutôt cohérente dont il est le patron depuis deux
saisons et qui aurait sans doute été moins sec et abrupt s’il avait été plus
étoffé côté cordes.
Bruno Serrou
1) Opéra de Strasbourg, jusqu'au 3 novembre. La Filature de Mulhouse les 20 et 22 novembre. 2) Le premier avec Jessye Norman et dirigé par Charles Dutoit (2 CD Erato), le second avec Régine Crespin dirigé par D. E. Inghelbrecht (2 CD Rodolphe, distribution Harmonia Mundi)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire