Paris, Opéra national de Paris-Bastille. Mardi 20 octobre 2015
Arnold Schönberg (1874-1951), Moses und Aron, Acte I. John Graham-Hall (Aaron) et Thomas Johannes Mayer (Moïse). Photo : (c) Opéra de Paris / Bernd Uhlig
C’est sous le signe de la
spiritualité et de la politique qu’est placée la première production de l’ère
Lissner, qui, comme ses devanciers, établit à travers elle ce qui gouvernera
son mandat de Directeur général de l’Opéra de Paris. Moses und Aron d’Arnold Schönberg est de fait à elle seule une œuvre
programme.
Arnold Schönberg (1874-1951), Moses und Aron, Acte I. Thomas Johannes Mayer (Moïse) et John Graham-Hall (Aaron). Photo : (c) Opéra de Paris / Bernd Uhlig
Figure tutélaire de la création
musicale depuis les années 1910, inventeur de l’expressionnisme musical et du
dodécaphonique, compositeur pédagogue à la fibre éminemment religieuse, à
l’instar d’un Messiaen, Arnold Schönberg (1874-1951) a composé plusieurs œuvres
inspirées de l’Ancien Testament : de Die
Jakobsleiter (L’Echelle de Jacob,
1917-1922) jusqu’à ses Psaumes modernes
dont il n’a pu mettre en musique que le premier, l’op. 50c de 1950 en passant par le
drame en trois actes Der biblische Weg
de 1926. Toutes œuvres qu’il n’a pu mener à terme, à l’instar de Moses und Aron. Ce dernier ouvrage
constitue d’ailleurs l’aboutissement de Der
biblische Weg (La Voie biblique) dont l’intrigue traite des aspirations
politiques dans un cadre moderne dans laquelle Schönberg prône l’idée d’un
Parti Juif Unifié dans la mouvance de Theodor Herzl. Bien que les deux ouvrages
partagent une même source biblique et une dimension politique, Moses und Aron s’attache principalement à
des questions théologiques et esthétiques.
Arnold Schönberg (1874-1951), Moses und Aron. Arrivée de Moïse et d'Aaron, Acte I. Photo : (c) Opéra de Paris / Bernd Uhlig
Composé à la fin des années 1920
et au début des années 1930, Moïse et Aaron - Schönberg a supprimé du titre le second
« a » de Aaron pour échapper à un titre comptant treize lettres, le chiffre 13 lui
paraissant fatal et qui devait de fait avoir raison de lui, puisqu’il mourut un
13 juillet qui plus est un vendredi - ce qui est un clin d’œil de la fatalité
fait à l’inventeur de la musique à douze sons -, est le grand opéra de son
auteur, qui, comme son élève Alban Berg dans les mêmes années trente avec sa Lulu, en a laissé le troisième acte
inachevé. Schönberg a lui-même tiré le livret de son opéra de l’Ancien
Testament au moment où il se rapprochait de son identité juive à laquelle il
avait renoncé pour se convertir au protestantisme dans un pays, l’Autriche,
majoritairement catholique, foi juive qu’il recouvrera en 1933 à Paris,
synagogue de la rue Copernic sous le parrainage de Marc Chagall. Arrivé en
Californie, Schönberg ne reprendra pas Moses
und Aron qu’il avait abandonné en 1932 à la fin du deuxième acte, ne
laissant que quelques esquisses pour le troisième et le livret complet, esquisses
insuffisantes pour qu’un autre que lui prenne la liberté de compléter son
opéra, a contrario de Turandot de
Puccini, la Symphonie n° 10 de Mahler
ou Lulu de Berg entre autres
exemples… Schönberg ne verra jamais son opéra, dont la seule scène du Veau d’or
de l’acte II est donnée de son vivant, onze jours avant sa mort le 13 juillet
1951, à Darmstadt sous la direction de Hermann Scherchen. Moses und Aron est
créé en version concert à Hambourg le 12 mars 1954 dirigé par Hans Rosbaud (1),
puis le 6 juin 1957 sous sa forme scénique au Stadttheater de Zurich de nouveau
sous la direction de Rosbaud et dans une mise en scène de K. H. Kahl.
Arnold Schönberg (1874-1951), Moses und Aron., Acte I. Thomas Johannes Mayer (Moïse) et John Graham-Hall (Aaron). Photo : (c) Opéra de Paris / Bernd Uhlig
Dans son livret, Schönberg, qui,
dans Moses und Aron, place la
communication et l’éthique au centre de ses préoccupations, met en scène Moïse,
qui, missionné par Dieu pour libérer les Hébreux de leur esclavage en Egypte,
demande l’aide de son frère Aaron qui, contrairement à lui, sait convaincre par
la maîtrise du langage et par sa séduction. Parti dans le Sinaï pour recevoir
les tables de la Loi, il trouve à son retour le peuple plongé dans le chaos.
Furieux, il brise les tables et accuse son frère de forfaiture. C’est sur un terrifiant cri d’impuissance de Moïse tombant dans le silence de l’orchestre
« Oh parole, parole, qui me manques », que se termine l’opéra,
Schönberg, acculé à l’émigration, laissant sans musique le troisième acte au
terme duquel, après une violente explication avec son frère, Aaron s’écroulera,
mort.
Arnold Schönberg (1874-1951), Moses und Aron, Acte II. Photo : (c) Opéra de Paris / Bernd Uhlig
Le 23 octobre 1995, Nuria
Schönberg-Nono, que j’interviewais pour le quotidien La Croix en vue de la rétrospective que le Festival d’Automne
consacrait à son père dans le cadre de laquelle entrait en résonance la
production de Wernicke de Moses und Aron
au Théâtre du Châtelet, avait évoqué l’importance de cet opéra dans la pensée
d’Arnold Schönberg :
« Je m’interroge souvent au
sujet de relations de Schönberg avec le judaïsme. Il m’est donc très difficile
de répondre à cette question. Il ne nous en a jamais parlé. Il était religieux
dans le sens de la foi en Dieu et, par-dessus tout, il était un homme de
morale. Dans toutes ses entreprises, il se montrait discipliné, tenu par son
sens du bien et du mal, du bon et du mauvais, du juste et de l’injuste. Sa
quête de la vérité et de la pureté à travers les justes relations et une
logique intelligibilité sont une constante dans sa vie de musicien autant que
dans sa vie familiale, sociale et politique. Dans ses Psaumes modernes et dans ses derniers écrits, il a des
conversations avec Dieu sur des questions d’ordre planétaire. Je crois que l’on
ne peut sous-estimer l’importance du composant « sioniste » dans le
texte de Moses und Aron, surtout à la
lumière du fait qu’il écrivit Der
biblische Weg (une pièce de théâtre agit
prop’, comme il la qualifiait lui-même) au moment même où il écrivait le
texte de Moses und Aron. Dans les
premiers jours de 1923, il travaillait sur ce thème. Il se sentait très
concerné par la montée du mouvement antisémite en Allemagne et en Autriche, et
il désirait prévenir les Juifs et les encourager à quitter l’Europe avant qu’il soit trop tard. »
Arnold Schönberg (1874-1951), Moses und Aron, Acte II. Photo : (c) Opéra de Paris / Bernd Uhlig
Lorsque je lui demandais si à ses
yeux Moses und Aron représentait la synthèse de la pensée musicale,
philosophique et religieuse de son père, Nuria Schönberg-Nono me
répondait :
« Pour Moses und Aron, Schönberg se servit de son art et de tout son savoir
au plus haut degré afin d’y fixer ses idées. Il fonda l’ensemble de son opéra
sur une série unique à partir de laquelle se développe la musique la plus
complexe et mouvante. Les solistes et les chœurs, et l’utilisation de
l’orchestre sont parmi les plus expressifs et sophistiqués de la totalité de
son œuvre. Non seulement il écrivit le texte lui-même, mais il décrivit en
détail la scénographie. Il mit toute son âme, toute sa technique et toute sa
science dans cet ouvrage, mais c’est ce qu’il faisait dans toutes ses
entreprises !… »
Arnold Schönberg (1874-1951), Moses und Aron, Acte II.. Photo : (c) Opéra de Paris / Bernd Uhlig
Cette œuvre grandiose, en fait l’un
des ouvrages majeurs de l’histoire de l’opéra, est inexplicablement fort peu
représenté à la scène, malgré la plastique indéniable du tableau central du veau
d’or. Ce qui néanmoins n’est pas forcément une trahison puisque le compositeur
avait tout d’abord envisagé ce projet sous forme d’oratorio. De plus, la
puissance évocatrice de la partition, les sortilèges de l’orchestration, la
dualité des protagonistes, les grondements d’un orchestre polychrome, la force
et la profondeur du livret sont tels que l’on peut aisément se passer de
support dramaturgique. La dernière fois que j’ai pu écouter ce pur chef-d’œuvre
sous cette forme, c’était en septembre 2012 dans le cadre du festival Musica de
Strasbourg (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2012/09/le-30e-musica-de-strasbourg-festival.html).
Moïse, tout empli de la mission que Dieu lui a confiée, est tout de rigueur et
de droiture, et ne peut de ce fait s’exprimer que par le langage parlé - à l’exception de
quelques mesures chantées dans le premier acte -, selon le mode que Schönberg
mit au point dès le final des Gurrelieder
avant de le cristalliser dans Pierrot
lunaire, le sprechgesang (parlé-chanté), tandis qu’Aaron, porte-parole de
son frère Moïse, tout de charme et de séduction, chante de sa voix de ténor au
timbre étincelant, alors que le chœur, omniprésent et véritable personnage
protéiforme, est traité avec une imagination constante, usant de tous les modes
d’expression vocale, du parlé au chanté, du souffle au cri, ce qui renvoie à la
maîtrise exceptionnelle de Schönberg de l’écriture chorale.
Arnold Schönberg (1874-1951), Moses und Aron, Acte II. Photo : (c) Opéra de Paris / Bernd Uhlig
C’est la seconde fois que
Stéphane Lissner programme à Paris le chef-d’œuvre lyrique de Schönberg. Sa
première production remonte en effet à novembre 1995 au Théâtre du Châtelet, dans
une mise en scène et une scénographie d’Herbert Wernicke, avec le Philharmonia
de Londres et le Chœur de la Philharmonie slovaque dirigés par Christoph von
Dohnanyi avec une distribution de tout premier plan (Aage Haugland en Moïse,
Philip Langridge en Aaron, Hanna Schaer, Mireille Delunsch, etc.). Vingt ans plus
tard presque jour pour jour, pour son tout premier spectacle dont il a eu
l’initiative en tant que directeur général de l’Opéra de Paris, il
bénéficie d’équipes-maison de tout premier plan, avec un orchestre et des
chœurs qui, de toute évidence, ont relevé le défi de cette œuvre exigeante mais
revigorante avec un plaisir et une volonté sans faille.
Moses und Aron n’est entré au répertoire de l’Opéra de Paris que le 27 mars 1973, sous l’impulsion de Rolf Liebermann - l’ouvrage avait été donné une première fois à Paris en 1961 au Théâtre des Champs-Elysées dans une production venue du Deutsche Oper de Berlin - qui en avait confié la direction musicale à Georg Solti, dont l’enregistrement avec l’Orchestre Symphonique de Chicago paru en 1985 chez Decca constitue l’une des références discographiques de l’œuvre. Chantée en français dans une traduction d’Antoine Goléa, cette production mise en scène par Raymond Gérôme, qui interprétait également le rôle de Moïse, ne laisse pas un souvenir impérissable. Pourtant, outre Raymond Gérôme, la distribution comptait dans ses rangs Richard Lewis (Aaron), Renée Auphan, Francine Arrauzau, Jacques Mars, Jocelyne Taillon, Nadine Denize... Depuis lors, l’œuvre avait totalement disparu de la première scène lyrique française.
Moses und Aron n’est entré au répertoire de l’Opéra de Paris que le 27 mars 1973, sous l’impulsion de Rolf Liebermann - l’ouvrage avait été donné une première fois à Paris en 1961 au Théâtre des Champs-Elysées dans une production venue du Deutsche Oper de Berlin - qui en avait confié la direction musicale à Georg Solti, dont l’enregistrement avec l’Orchestre Symphonique de Chicago paru en 1985 chez Decca constitue l’une des références discographiques de l’œuvre. Chantée en français dans une traduction d’Antoine Goléa, cette production mise en scène par Raymond Gérôme, qui interprétait également le rôle de Moïse, ne laisse pas un souvenir impérissable. Pourtant, outre Raymond Gérôme, la distribution comptait dans ses rangs Richard Lewis (Aaron), Renée Auphan, Francine Arrauzau, Jacques Mars, Jocelyne Taillon, Nadine Denize... Depuis lors, l’œuvre avait totalement disparu de la première scène lyrique française.
Arnold Schönberg (1874-1951), Moses und Aron, Acte II, le Sacrifice. Photo : (c) Opéra de Paris / Bernd Uhlig
Pour son retour à l’Opéra de
Paris, après quarante-deux ans d’absence, Moses
und Aron investit l’Opéra-Bastille, salle qui lui est parfaitement adaptée.
Originellement confiée à Patrice Chéreau, mort prématurément, le projet a été
repris avec panache par Roméo Castellucci, dramaturge, metteur en scène,
plasticien, scénographe italien de renom, qui a fait la une des grands médias
lors de la présentation au Théâtre de la Ville à l’automne 2011 de sa pièce jugée
blasphématoire Sul concetto di volto nel
figlio di Dio (Sur le concept du
visage du fils de Dieu) et qui donna lieu à de violentes manifestations des
mouvements intégristes catholiques sur la place du Châtelet. Cette même année
2011, il met en scène un splendide Parsifal
de Wagner au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles (2), théâtre où il reprend en
2014 un Orfeo ed Euridice adapté de
Gluck qu’il avait présenté peu auparavant aux Wiener Festwochen. Castellucci
est littéralement habité par la figure de Moïse sur laquelle il travaille
depuis de longues années. C’est un Moses
und Aron en noir et blanc qu’il propose, ce qui dès l’abord laisse présumer d’une
approche manichéenne de l’opéra biblique de Schönberg. Mais les images qu’il
suscite, en maître inspiré de tous les tenants et aboutissants de la
scénographie et de la dramaturgie, sont toutes plus belles et signifiantes les
unes que les autres.
Arnold Schönberg (1874-1951), Moses und Aron, Acte II. Photo : (c) Opéra de Paris / Bernd Uhlig
Malgré un certain manque de lisibilité immédiate due à
la présence du début à la fin de l’acte initial d’un voile de tulle blanc qui
ne laisse percer que des silhouettes imperceptibles, le premier acte est une
réussite totale. Le spectacle commence avant même les premières mesures de la
partition sur la descente d’un magnétophone Studer à bande pendant des cintres à l’avant du
rideau - la bande, après s'être dévidée du magnéto, sera le fil conducteur de la scénographie d'uyn bout à l'autre du spectacle -, tandis que le buisson ardent résonne pour la première fois alors que Moïse
est à terre à contre-jour au centre du plateau. Vêtu de noir, se mettant à
genoux, il récupère dans les mains la bande qui se dévide du magnétophone et
exprime ses premiers mots, « Unique… Eternel… Omniprésent… Invisible…
irreprésentable… Dieu ! » Dieu qui, par le biais du buisson ardent
incarné par le chœur, lui demande immédiatement d’être son prophète, au moment
où apparaît derrière Moïse la silhouette d’un taureau vivant dans une sorte de
châsse, sans doute un renvoi à l’idolâtrie païenne du peuple élu en captivité
en Egypte. La deuxième scène voit Moïse apparaître derrière le rideau - qui
sera l’ère de jeu de toute la suite du premier acte -, portant à la main la
bande magnétique dévidée et emmêlée, et allant à la rencontre d’Aaron après
s’être défait de ses vêtement noirs pour un costume blanc. Les formes de tous
les protagonistes se dissolvent et se floutent, tandis que le verbe échappe à
l’entendement des hommes. Le floutage des formes, l’anéantissement de tout
repère sont l’expression du doute de Moïse, tandis que sur le voile sont
projetés à une vitesse allant s’accélérant une série continue de mots, le
premier étant « frère », suivi de « terre » puis de
« horizon », « idée », « Amour »…
Arnold Schönberg (1874-1951), Moses und Aron. Acte II. Photo : (c) Opéra de Paris / Bernd Uhlig
En revanche, le
deuxième acte se déroule sans le voile de tulle, pour mieux laisser se déployer
ouvertement la souillure des Hébreux qui, dépités de ne pas voir Moïse revenir
du mont Sinaï, se jettent sur le paganisme après avoir convaincu Aron de les
laisser adorer le veau d’or. Le blanc vire de plus en plus au noir. L’acte est introduit
par un décompte électronique où les secondes s’égrènent jusqu'au nombre
quarante, symbole des jours passés par les Hébreux dans le désert. Une huile
noire tirée de la terre par le biais d’une foreuse en forme de vaisseau spatial
ou de châssis-poutre avec un moteur et des cardans qui salit les corps comme
l’idolâtrie les âmes et dans laquelle solistes, choristes et figurants de blanc
vêtus plongent comme s’ils traversaient la Mer Rouge saturée de pétrole pour en
ressortir noirs comme la suie de l’enfer, tandis que, durant la scène du veau
d’or, censée être dansée, des figurants traînent nonchalamment un taureau dodu
et court sur pâtes, sans doute sous calmants tant il est paisible. En fait de
danse du veau d'or, tout est statique et personne ne bouge ou presque si ce
n'est pour marcher à pas lents tandis qu’une jeune femme nue se fait
brinquebaler sans égards par le chœur et les figurants. Le tout est
galvanisé par une direction d’acteur éblouissante, des éclairages de toute beauté,
qui trouvent leur accomplissement dans la scène finale, dont l’impact est si
signifiant qu’elle suscite l’émotion la plus vive, lorsque, après que les
sommets enneigés des montagnes plus suisses qu'égyptiennes du décor se sont effondrés et que le tulle
s’abaisse sur lui alors qu’au loin les Hébreux reconnaissent que le Dieu unique
d’Israël est plus fort que tous les dieux de l’Egypte, Moïse s’effondre,
invectivant le « Dieu irreprésentable, Idée multiple et inexprimable […]
Ainsi je suis vaincu ! Tout ce que j’ai pensé n’était que folie… Ne peut
et ne doit être dit ! », tandis que les contrebasses disent les
abysses de la douleur du prophète, avant que les violoncelles interviennent
puis le reste des cordes, Moïse crie son ultime constat désolé, « Ô
parole, toi parole, qui me manques », suivi d’une longue tenue de cordes
allant decrescendo jusqu’à s’éteindre dans la nuit étoilée…
Arnold Schönberg (1874-1951), Moses und Aron, Acte II.. Photo : (c) Opéra de Paris / Bernd Uhlig
Entre l’expressionnisme et la jubilation sonore
d’un Solti et l’énergie, la transparence et la volupté sonore de Pierre Boulez
- son second enregistrement est moins rugueux que le premier -, mais assez éloigné
de l’extraordinaire synthèse réalisée par Michael Gielen (3) pour la bande son
du film d'une intensité rare de Danielle Huillet et Jean-Marie Staub tourné en 1972 (4)
avec Gunther Reich et Louis Devos dans les rôles titre, moins incandescent que
Sylvain Cambreling à la tête de l’Orchestre Symphonique du Sudwestfunk
Baden-Baden und Freiburg dans la version concertante entendue à Strasbourg en
2012, Philippe Jordan, dont la conception se fond subtilement à la mise en scène
de Castellucci, tire de l’Orchestre de l’Opéra de Paris des sonorités liquides
et fruitées, une pâte sonore claire et bigarrée, avec des basses grondantes et
des aigus étincelants suscités par des musiciens virtuoses, à l’instar des chœurs
supérieurement préparés par José Luis Basso, familier de l’ouvrage qu’il a déjà
eu l’occasion de travailler à deux reprises, à Barcelone et à Florence, et qui
s’imposent par leur homogénéité, leur puissance, leur diversité expressive et
leur engagement théâtral plus perceptible que jamais. Le Moïse de Thomas
Johannes Mayer est d’une intensité saisissante. Le baryton-basse allemand est
d’une présence proprement hallucinante magnifiée par une voix d’airain égale,
puissante et nuancée, sa diction est parfaite et son intelligence du rôle est
si impressionnante qu’il semble proprement habité par le personnage, en digne
héritier d’un Gunther Reich ou d’un Franz Grundheber. Vocalement moins
convaincant que son partenaire, en raison en raison d’un vibrato un peu trop
envahissant et manquant de puissance, mais la voix est agile et les aigus
maîtrisés, le ténor britannique John Graham Hall campe un Aron de braise sur le
plan dramatique. Le reste de la distribution excelle dans les nombreux
rôles secondaires dont certains fort courts, avec en tête la soprano Julie Davies (une
jeune fille), la mezzo-soprano Catherine Wyn-Rogers (une malade), le brillant ténor
Nicky Spence (le jeune homme encanaillé ici en « folle » chauve), le
ténor Michael Pflumm (le jeune homme nu), etc.
Bruno Serrou
1) L’enregistrement de la
création dirigée par Hans Rosbaud captée par Radio Hambourg diffusé en
LP par Columbia est aujourd’hui plus ou moins disponible en 2 CD chez Bag of
Rags (2012). 2) 2 DVD Bel Air BAC097. 3) 2 CD Brillant 9083. 4) 3 DVD Editions
Montparnasse.
Jusqu’au 9 novembre 2015. La captation de ce spectacle est visible depuis
le 20 octobre et jusqu’au 20 décembre sur Arte Live Web à l'adresse suivante : http://concert.arte.tv/fr/moses-und-aron-de-schonberg-lopera-de-paris
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