TParis, Théâtre des Champs-Elysées, mercredi 14 octobre 2015
L'Orchestre de Chambre de Paris au Théâtre des Champs-Elysées. Photo : (c) Bruno Serrou
La
création d’une œuvre de Philippe Manoury est toujours un événement impatiemment
attendu. C’est donc avec hâte que nous nous sommes rendus mercredi Théâtre des
Champs-Elysées où l’Orchestre de Chambre de Paris dirigé par son nouveau
directeur musical, le hautboïste chef d’orchestre écossais Douglas Boyd
donnaient en première mondiale un concerto pour violoncelle du compositeur français
qu’il a commandé avec le soutien de la Fondation Ernst von Siemens. L’événement
était d’importance, puisque, une fois n’est pas coutume, plusieurs compositeurs
ont fait le déplacement, à l’instar entre autres de Régis Campo, Yan Maresz ou
Philippe Scholler…
Douglas Boyd. Photo : (c) John Batton / Douglas Boyd
Sous le
titre prometteur Bref aperçu de l’infini,
ce concerto pour violoncelle et orchestre (bois par deux, deux cors, deux
trompettes, deux percussionnistes, huit premiers et huit seconds violons, six
altos, quatre violoncelles et trois contrebasses) se déploie sur vingt-cinq
minutes en un seul tenant. L’œuvre puise son matériau dans la splendide Chaconne pour violoncelle solo et six
violoncelles que Philippe Manoury a composée pour les quatre vingt dix ans de
Pierre Boulez à la demande de Marc Coppey qui l’a créée avec six violoncellistes
du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris le 22
mars dernier sur le plateau de l’Auditorium de la Philharmonie 2 ex Cité de la
Musique (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2015/03/le-vibrant-hommage-pierre-boulez-de.html).
Tandis qu’il
profitait de son passage à Paris - il vit et enseigne depuis deux ans à
Strasbourg, après son retour de San Diego aux Etats-unis - pour présenter son
projet de cinquième opéra, Kein Licht sur des textes de la prix Nobel de
littérature autrichienne Elfriede Jelinek, amie et collaboratrice de la compositrice
Olga Neuwirth, dont la création est prévue à l’automne 2017 à l'Opéra Comique à Paris et qui a pour
particularité d’être en partie financé par un financement participatif (cliquer
sur ce lien https://www.culture-time.com/projet/kein-licht
pour une donation) qui permet à toute personne ayant porté son écot de
participer à la genèse de l’œuvre et à la production, Manoury a activement
assisté aux dernières répétitions du concerto. Ainsi a-t-il pu donner ses
recommandations aux réglages ultimes, avant d’être dans la salle pour entendre
sonner sa partition nouvelle.
Philippe Manoury (né en 1952). Photo : (c) Radio France / HÉLÈNE COMBIS-SCHLUMBERGER
Dans Bref aperçu sur l’infini, comme dans la Chaconne qui l’a inspiré, Philippe
Manoury ne fait pas appel à l’informatique en temps réel. Il s’agit d’une œuvre
purement acoustique, même s’il est évident qu’elle doit beaucoup à l’expérience
unique du compositeur en la matière et sans qui l’IRCAM ne serait pas devenu ce
qu’il est aujourd’hui, l’outil de référence dans le domaine de la
transformation du son en temps réel. Contrairement à son somptueux Concerto
pour piano Echo-Daimónon créé le 2 juin 2012 Salle Pleyel en ouverture du Festival
ManiFeste (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2012/06/une-splendide-creation-de-philippe.html),
qui associait un piano acoustique soliste à une électronique engendrant
quatre claviers virtuels, ke son mis en résonnance par l’informatique en temps
réel étant créé à partir de ceux de pianos préexistants, le Concerto pour
violoncelle n’use d’aucun artifice sonore. Pourtant, peu de traces de l’écriture
instrumentale et orchestrale comparable à la palette d’un peintre aux multiples
facettes qui magnifiait le concerto pour piano, avec des éclats de couleurs
chaudes et bigarrées de Jackson Pollock, les grands traits de pinceaux
jaillissants façon Pierre Soulages, les à plat au centre de l’œuvre qui faisaient
penser à Yves Klein, tandis que les apparitions des diables pianistes sont des
fantômes de Francis Bacon… Contrairement au pianiste Jean-Frédéric Neuburger,
également compositeur, soliste de la création du Concerto pour piano, le violoncelliste Gautier Capuçon n’est pas un
foudre de guerre en matière de musique contemporaine…
Gautier Capuçon. Photo : DR
Aussi,
conscient du manque d’expérience dans le domaine de la musique la plus
inventive d’aujourd’hui de ses commanditaires et premiers interprètes ainsi que du
public du Théâtre des Champs-Elysées, Philippe Manoury, tout en cherchant
naturellement à rester fidèle à lui-même, n’a pas voulu effaroucher l’auditoire
« bourgeois » qui fréquente habituellement la salle de l’avenue
Montaigne, craignant peut-être un nouveau scandale après le Sacre du printemps de Stravinsky en 1911 et Désert de Varèse en 1954 (ceux qui sont venus avec l’espoir d’une
nouvelle « bataille d’Hernani »
sont repartis bras ballants et circonspects). Mais aussi ne pas déstabiliser ni
mettre en danger ni son soliste ni l’orchestre, qui n’a que peu à exprimer, en
tout cas rien de bien novateur, tant l’écriture est classique. Notablement
concentré, Gautier Capuçon n’a pas eu le loisir de faire ses simagrées et ses
mouvements de mèche rebelle dont il use et abuse dans ses exécutions de pages
du répertoire. Le son de son instrument - un Matteo Goffriller de 1701 - est toujours
somptueux, ce qui sert bien évidemment l’œuvre de Manoury, mais le
violoncelliste était comme tétanisé par la mission qui lui était confiée,
contraint dans son interprétation et dans son jeu par une partition qu’il ne s’est
pas pleinement accaparée. Quant à l’Orchestre de Chambre de Paris, il n’était
pas non plus vraiment à l’aise, et ses sonorités ont manqué de chair et de
contrastes. A la fin de l’exécution de son concerto, lorsque le
compositeur est venu saluer, il n’a pas
semblé si heureux que ça...
Douglas Boyd, Philippe Manoury, Gautier Capuçon (derrière le pupitre du chef) et l'Orchestre de Chambre de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou
Des
problèmes de mise en place s’étaient révélés au sein de l’orchestre dès le
premier mouvement de la pièce d’ouverture, le Concerto en mi bémol majeur « Dumbarton Oaks » d’Igor
Stravinski, un Stravinski pourtant dans sa période néo-classique, peut-être la
plus difficile à réaliser il est vrai. Au-delà de quelques fautes du côté des
instruments à vent, la rythmique est apparue plate et pesante, la conception de
Douglas Boyd manquant de dynamique et de rebonds qui font l’une des saveurs de
Stravinski. La seconde partie du concert était consacrée aux deux partitions
que Mozart composa pour le mécène salzbourgeois Sigmund Haffner. Deux œuvres plus
en concordance avec l’expérience des musiciens de l’Orchestre de Chambre de
Paris et de son public, du moins celui qui le suit Théâtre des Champs-Elysées…
Bruno
Serrou
Merci, encore une fois de ton objectivité, ou à tout le moins de ton opinion tranchée. Opinion(s) qui se fait de plus en plus rare… Merci Bruno et continue ce blog.
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