mardi 12 mars 2013

CD : Elisa Weilerstein et Daniel Barenboïm proposent de superbes interprétations des concertos pour violoncelle et orchestre d’Elliott Carter et Edward Elgar




Composé en 2000 par un artiste âgé de 92 ans, créé l’année suivante par Yo-Yo Ma sous la direction de Daniel Barenboïm, le Concerto pour violoncelle et orchestre d’Elliott Carter (1908-2012) est une œuvre extraordinairement inventive, fruit de l’été indien de cet créateur singulier qui constitue peut-être une tangible exception dans l’histoire de la musique tant il ne cessait de s’améliorer au fil du temps, s’avérant toujours plus jeune et inventif les années passant. Cette fraîcheur créatrice, la jeune violoncelliste américaine Alisa Weilerstein la communique et la transcende par la vigueur et l’exubérance de son jeu et de son approche qui sied particulièrement à cette musique polychrome et changeante qu’elle joue sans faillir avec une spontanéité lumineuse. Son interprétation généreusement expressive, ses sonorités luxuriantes, son onirisme brûlant donnent à cette pièce complexe mais éloquente toute sa délicatesse et sa sensibilité qui plongent jusqu’au plus secret des conflits et des doutes de l’âme humaine. Son lyrisme et ses flamboiements soudains, sa dimension spirituelle voire méditative, le tour impétueux du dialogue entre le soliste et l’orchestre - ici un somptueux Staatskapelle de Berlin - font de cette partition remarquablement interprétée l’un des grands concertos pour violoncelle de l’histoire de la musique.


Elliott Carter (1908-2012). Photo : DR


Mettre cette œuvre de Carter en regard du Concerto pour violoncelle et orchestre en mi mineur op. 85 d’Edward Elgar constitue assurément une excellente idée. D’autant que c’est avec cette œuvre composée en 1919 par un musicien encore sous le choc des horreurs de la Première Guerre mondiale, que le grand public mélomane sera attiré vers ce disque. La discographie de l’œuvre est pourtant riche en enregistrements qui ont fait date. Néanmoins, la partition est à jamais marquée par l’emprunte d’une interprète unique, l’immense et bouleversante Jacqueline du Pré, inoubliable virtuose britannique trop tôt disparue qui l’enregistra en 1965 une première fois sous la direction de Sir John Barbirolli (CD EMI) – la version qu’elle grava sous la direction de Daniel Barenboïm est (très) légèrement en-deçà. Ce disque de Du Pré et Barbirolli, la jeune Alisa Weilerstein, fille du violoniste fondateur du Quatuor de Cleveland, Donald Weilerstein, le connaît par cœur jusqu’en son moindre détail pour l’avoir écouté « quasi quotidiennement » tout au long de son enfance. « Son interprétation était si convaincante, si forte, que j’ai dû me forcer à trouver ma propre voie », reconnaît la jeune femme. Aussi, lorsque, en 2009 à Carnegie Hall, elle rencontre pour la première fois Daniel Barenboïm, qui fut l’époux de Jacqueline du Pré, elle n’hésite pas à lui demander la permission de lui jouer ce concerto d’Elgar. « Nous l’avons fait du début à la fin sans nous arrêter, se souvient-elle, puis il m’a demandé si je voudrais le jouer avec lui à Berlin. » Elle mettra un certain temps pour comprendre ce qui lui arrivait... Ses interprétations du concerto d'Edward Elgar avec Daniel Barenboïm dirigeant soit le Philharmonique de Berlin (DVD DG) soit celui de la Staatskapelle de Berlin (comme dans ce CD), sont, convient-elle, des moments-phares de sa carrière qui lui ont assuré sa renommée internationale.


Photo : DR

  
Alisa Weilerstein imprègne chaque phrase du concerto d’Elgar d’une beauté sombre, portant l’œuvre avec un lyrisme grave, gorgé de passion, ce qui n’empêche pas la violoncelliste de se faire parfois facétieuse, notamment dans les descentes rapides du début du quatrième mouvement, et ferme, dans ses coups d’archet. Daniel Barenboïm conforte sa soliste dans ses choix, soulignant ce qu’Elgar doit au romantisme allemand, particulièrement à Richard Wagner. Moins spontanée et ardente que celle de Jacqueline du Pré, l’interprétation d’Alisa Weilerstein s’avère incandescente et suprêmement lyrique. 

En complément de programme, Alisa Weilerstein et Daniel Barenboïm donnent du Kol Nidrei op. 47 de Max Bruch inspiré de la prière du Yom Kippour une lecture brillante et chaleureuse, mais les élans et les contours de ces pages n’ont rien à voir avec les deux œuvres qui précèdent… Il convient donc d’écouter cette pièce d’une dizaine de minutes indépendamment des deux concertos.

Bruno Serrou

1 CD Decca 478 2735 (Universal Music Classics)

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