Louis Langrée. Photo : DR
Le portrait ci-dessous a été écrit
pour le quotidien La Croix, qui l’a publié en juin 2012. Il est le fruit
d’un entretien avec le chef d’orchestre français peu après sa nomination à la
tête de l’un des « Big Ten » des Etats-Unis, le Cincinnati Symphony
Orchestra
Cincinnati Symphony Orchestra. Photo : DR
Louis Langrée. Photo : DR
Louis Langré succède ainsi à une lignée de chefs
prestigieux, de Leopold Stokowski à Paavo Järvi, qui l’a dirigé dix ans et avec
qui il vint à Pleyel en 2008, en passant par Eugène Ysaÿe, Fritz Reiner, Thomas
Schippers, Walter Süsskind, Michael Gielen, Jesús López-Cobos... Cette nomination
est donc un grand moment pour ce chef, qui, parvenu à l'âge de la maturité, prend les rênes
de l’un des « Big Ten » américains, le cinquième des plus vieux
orchestres des Etats-Unis. Fondé en 1893 par l'épouse du futur président des Etats-Unis, William Howard Taft, le Cincinnati Symphony Orchestra a été dirigé par Richard Strauss et a donné les
premières américaines des Symphonies n° 3
et 5 de Gustav Mahler. Premier Français à
occuper ce poste, Langrée prendra ses fonctions en début de saison 2013-2014
pour quatre ans. « Le comité de sélection m’a beaucoup fait parler du rôle de
l’orchestre dans la cité, de ce que j’entendais faire à l'avenir, confie Langrée. A l’instar
de la ville avec ses noms de rues a consonance allemande, l’orchestre a une
longue tradition germanique que ses directeurs successifs ont sauvegardée tout en
lui apportant leur pâte personnelle. »
Cincinnati, Ohio. Photo : DR
A 52 ans, Louis Langrée est un
chef rayonnant : « Il n’y a pas plus comblé que moi », dit-il,
l’œil pétillant. Arrivé à notre rendez-vous un large sourire aux lèvres et
traînant derrière lui une petite valise au retour de Vienne, il irradiait la grisaille parisienne
d’un début de mai 2012 automnal. Un an après sa nomination comme Chefdirigent du Camerata de Salzbourg, tandis
qu’il dirige depuis plus de dix ans le Mostly Mozart du Lincoln Center à New York, deux institutions
Mozart fameuses jusqu'à Salzbourg-même, l’artiste alsacien vient d’ajouter à sa panoplie l’un des grands
orchestres symphoniques américains. Réputé « mozartien », il n’en
maîtrise pas moins les répertoires symphonique et lyrique, travaillant et
dirigeant théâtres, festivals et formations de renom. C’est avec l’Orchestre de
Paris et Semyon Bychkov qu’il a fait ses classes comme assistant, entre 1989 et 1992. « Bychkov s'est montré d'une grande générosité, spirituelle et matérielle à mon égard, reconnaît-il. Se rappelant ses propres débuts aux Etats-Unis après avoir fui le régime soviétique, il me répétait : "Ce qui t'est donné, prends-le, tel un prêt que tu rendras plus tard en le transmettant à ton tour."»
Cincinnati Symphony Hall. Photo : DR
Mais c’est à l’Opéra que Langrée s’impose tout d’abord, débutant
à l’Opéra de Lyon, avant d’en être le directeur musical de 1998 à 2000, au Festival
d’Aix-en-Provence, à celui de Bayreuth, puis au Festival des Deux Mondes où il dirige le Couronnement de Poppée qui lui ouvre
les portes des grands théâtres lyriques, Metropolitan Opera de New York, Scala
de Milan, Opéras de Vienne et de Dresde, Covent Garden de Londres, Lyric Opera
de Chicago, Grand Théâtre de Genève, Opéra d’Amsterdam, Glyndebourne Touring
Opera. « J’étais un chef d’opéra qui faisait du symphonique, maintenant
c’est l’inverse, remarque-t-il. Au théâtre, je dirige désormais exclusivement à Vienne,
Milan et New York. » C’est avec l’Orchestre de Picardie de 1993 à 1998 puis l’Orchestre
Philharmonique de Liège de 2001 à 2006 qu’il s’est forgé son expérience de
directeur musical. « Cent musiciens, à Liège comme à Cincinnati, se réjouit-il.
Mais, outre la saison symphonique, le Cincinnati Symphony Orchestra assure également les saisons du Ballet et de l’Opéra, l’été, des
Cincinnati Pop’s et du May Choral Festival dont James Conlon est directeur
musical. Comme Cleveland, Cincinnati est connu pour les arts, qui existent
grâce au tissu industriel environnant. Et quand l'industrie va mal, c’est la catastrophe : à
Detroit, l’automobile s’est effondrée, l’orchestre aussi. » Tant et si bien que l’une
des missions du directeur musical est d’assurer les relations avec les mécènes, garants
de la pérennité des orchestres américains. « La saison du CSO court de
septembre à mai. J’y donnerai dix semaines de concerts par an, auxquels s’ajouteront
tournées, enregistrements, recrutements, administration, mécénat. Soit au moins quinze semaines par an. »
Cincinnati Music Hall. Photo : DR
Le Cincinnati Symphony Orchestra est installé au Cincinnati
Music Hall, salle de concert et d’opéra séculaire de deux mille huit cents places en briques rouges
à l’excellente acoustique, véritable cathédrale musicale agrémentée elle aussi d'une rosace. « J’ai
dirigé plusieurs orchestres aux Etats-Unis. Ce qui frappe est la netteté des attaques,
la précision du jeu, mais la conception est verticale, comme les gratte-ciels,
ce qui donne un brillant parfois clinquant, tandis qu’en Europe la tendance est
au jeu horizontal, constate Langrée. Or, celui de Cincinnati possède cette double culture, avec une
densité du son caractéristique transmise par les directeurs musicaux successifs
et par les musiciens eux-mêmes. Ce qui fait sa richesse sonore est ce son
germanique, pas dans le sens de l’épaisseur mais dans celui de la densité car il
est mêlé de rais de lumière dus à la clarté, la transparence, au chatoiement
américains. »
D'ici sa prise de fonctions à Cincinnati en septembre 2013, Louis Langrée aura
fait ses débuts à Berlin avec les Berliner Philharmoniker, à Leipzig avec le Gewandhaus, à la
NHK de Tokyo, à Melbourne et à Shanghai, et retrouvé l’Orchestre de Paris. « Les Français m’engagent à l’étranger, Stéphane Lissner à Milan,
Dominique Meyer à Vienne, et les étrangers m’engagent en France, Bernard
Foccroule à Aix-en-Provence, Serge Dorny à l'Opéra national de Lyon… » Restent les Français en poste en
France, qui l’ignorent comme ils le font pour beaucoup d’autres chefs français...
Bruno Serrou
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