Paris, Théâtre des Champs-Elysées, jeudi 28 février
2013
Vladimir Jurowski. Photo : Théâtre des Champs-Elysées, DR
Voilà bientôt quatre-vingts
ans, le Théâtre des Champs-Elysées était le témoin de la création des Sept péchés capitaux des petits bourgeois
que Boris Kochno, ancien secrétaire de Serge de Diaghilev, directeur artistique
des Ballets 33 de Georges Balanchine, avait commandé à Kurt Weill, qui avait
choisi la France pour exil, fuyant l’Allemagne nazie avec sa femme, Lotte
Lenya. Weill avait choisi pour librettiste le dramaturge Bertolt Brecht, qui
avait lui aussi réussi à échapper à la dictature. Ce sera l’ultime
collaboration des deux hommes qui avaient produit ensemble entre autres l’opéra
Grandeur et décadence de la ville de
Mahagonny et l’Opéra de quat’sous. Le public français connaissait
déjà le travail des deux hommes, le second ouvrage ayant fait l’objet d’un film
tourné en 1931 par Georg Wilhelm Pabst, comme souvent à cette époque en
raison d’accords entre des studios, simultanément en deux langues, avec une
distribution allemande (avec Lotte Lenya, Rudolf Forster et Carola Neher) et
une autre française (avec Margo Lion, Albert Préjean et Florelle).
Kurt Weill, Lotte Lenya et Bertolt Brecht en 1930. Photo : DR
Aussi étonnant que cela puisse paraître, ce n’est
pas le ballet qui y fut créé le 7 juin 1933 dans une chorégraphie de
Balanchine, une scénographie de Caspar Nehel et sous la direction de Maurice
Abravanel, qui a été choisi par le Théâtre des Champs-Elysées dans le cadre de
la saison de son centenaire, mais une exécution concertante de Die Dreigroschenoper (l’Opéra de quat’sous), que Brecht et
Weill ont adapté pour Berlin en 1927-1928 de The Beggar’s Opera (l’Opéra
du Gueux) de John Gay et Johann Christoph Pepusch créé à Londres deux
siècles plus tôt. C’est avec cette œuvre, qui conte la carrière de l’antihéros Macheath dans
le monde souterrain de l’ère victorienne
et qui allait devenir le symbole de la culture de République de Weimar, que les
deux hommes cristallisent le concept du Zeitoper,
fusion de l’opérette et du music hall, qu’ils associent au théâtre épique et à
la ballade moderne associée à la moritat
du cabaret.
Meow Meow (Jenny). Photo : DR
Mise en espace sur le
plateau du Théâtre des Champs-Elysées, la production présentée hier par le
Théâtre des Champs-Elysées plaçait derrière les chanteurs solistes les
musiciens du London Philharmonic Orchestra en formation réduite façon cabaret,
avec guitare, accordéon, harmonium, saxophone, mais piano de concert. L’ensemble
instrumental londonien, dirigé par Vladimir Jurowski, remarquable de cohésion, de
précision et de timbres, a donné toute la mesure de cette œuvre supérieurement
orchestrée qui aligne les songs, tous
plus célèbres et inoubliables les uns que les autres. Jouant en solistes, les
pupitres de l’orchestre ont brillé de tout leur lustre, à la fois sûrs et
virtuoses tout en exaltant le climat cabaret. Placés au fond du plateau,
derrière l’orchestre, les choristes, qui tour à tour commentent l’action et y
participent, ont participé à la réussite de la soirée. Tous les protagonistes
étant habillés en costumes de soirée et en queues de pie, l’ensemble du spectacle
a eu un tour un brin snob tout en suscitant par son aspect désuet le souvenir
du cabaret des années 1920-1930 finalement en concordance avec la musique.
Dame Felicity Palmer (Mrs Peachum). Photo : DR
La distribution vocale
soliste était moins homogène. Mark Padmore est un Macheath trop pâle, Max Hopp
un Narrateur trop distant et pas toujours audible malgré le micro accroché à sa
joue gauche - l’orchestre le couvre souvent, Gabriela Istoc est une Polly Brown
vocalement engoncée et manquant de charisme. En revanche, le couple Peachum s’est
avéré impressionnant, tenu par les vieux routiers Sir John Tomlinson et Dame Felicity
Palmer, inénarrables de présence et d’énergie, malgré des voix usées mais toujours
puissantes et bien timbrées. Allison Bell est une Polly Peachum toute de
charme. Mais c’est Meow Meow, mezzo-soprano plutôt glamour qualifiée de « post-post moderne » (?) dans le programme de salle du Théâtre des Champs-Elysées, dont la voix est
à mi-chemin de celles de Lotte Lenya et de Ute Lemper, qui s’est montrée la
plus dans le ton de l’œuvre, tout en manquant légèrement d’abattage. Véritable
Deus-ex-machina, Vladimir Jurowski, à la baguette, au piano et animateur de l’action,
titillant les protagonistes à tout moment, a donné au spectacle son souffle
dramatique... Mais pourquoi alors la mayonnaise n’a-t-elle pas vraiment pris
?...
Bruno Serrou
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