Paris, Opéra national de Paris-Bastille, lundi 25 mars 2013
Siegfried, deuxième
journée du Ring des Nibelungen de
Richard Wagner, faisait en 2011 son retour au répertoire de l’Opéra de Paris
après plus d’un demi-siècle d’absence. Pour la reprise de cette même production
en cette année du bicentenaire de son auteur, sans qu’elle ait fondamentalement
changé, la mise en scène de Günter Krämer apparaît un peu plus fouillée, tant
scéniquement que sur le plan de la direction d’acteur. Elle reste néanmoins pleine
d’incohérences. Le premier acte se déroule toujours dans les
appartements avec ascenseur et devant la forge sophistiquée de Mime, au milieu
de plans de cannabis, d’une maquette de moulin à vent hollandais et de monceaux
d’accessoires en tous genres renvoyant a quelque bandes dessinées, et en dépit
d’un Mime gay vêtu d’un jean et d’un t-shirt jaune
la tête couverte tout d’abord d’une perruque blonde, jusqu'à ce que Siegfried,
lui-même en dreadlocks blond-sale, la lui retire violemment pour faire apparaître
une calvitie châtain. Cet acte est truffé de tunnels, tant du côté de la mise
en scène que de la fosse, ce qui conduit parfois le spectateur au seuil de la
somnolence…
Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Mime), Torsten Kerl (Siegfried). Photo : (c) Opéra de Paris, DR
Le deuxième acte se déroule dans
une plaine désertique au dessus duquel flotte un voile sur leqel est dessiné
une forêt. Un rail de chemin de fer coupe ce décor en
son centre, des caisses d’armes et de munitions estampées Rheingold jonchent l’’avant-scène après avoir été amenés par des
servants nus peints en noir portant kalachnikovs et armes de point, et, surtout
un Fafner qui n’a rien d’un géant et surtout pas d’un dragon, porté par des
appariteurs musclés sur un trône, le chef recouvert d’une royale couronne,
tandis que l’Oiseau de la forêt, qui ne cesse de jouer avec un miroir aveuglant
le public, est dédoublé, l’un muet galopant auprès de Siegfried, l’autre
chantant dans les cintres. Ainsi, le cor solo pourtant censé être joué
par Siegfried, est trop dans le lointain, à jardin, ainsi que l'oiseau,
également à jardin, alors qu’il est incarné tout à côté de Siegfried. Mais cet acte, est dans l’ensemble le plus captivant, grâce
à la diversité de son action et à son tour bande dessinée voulu par Wagner qui
le rattache directement au climat de Das
Rheingold.
Torsten Kerl (Siegfried), Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Mime). Photo : (c) Opéra de Paris, DR
Le
pire est toujours atteint au troisième acte, avec douze tables sur lesquelles
autant de Nornes lisent l’avenir tandis que le Voyageur ère au milieu d’elles à
la recherche d’Erda, qui finit par sortir d’on ne sait où et que le maître des
dieux qui fut son amant violente sur une treizième table afin qu’elle lui narre
le devenir du Walhalla tandis que le feu du rocher de la Walkyrie brûle sur un petit
écran de cinéma côté cour. La scène Voyageur/Siegfried se passe à l’avant-scène,
rideau baissé, ce dernier ne se relevant pas au moment où Siegfried s’infiltre
sur le rocher - ce qui tout compte fait permet de goûter ce somptueux passage
symphonique, particulièrement les cordes divisi
-, tandis que le rocher est le même escalier monumental que celui déjà vu dans
le troisième acte de la Walkyrie doté
d’une quarantaine de marches sur lesquelles sont non seulement plantés
Siegfried et Brünnhilde, mais aussi les Walkyries et les Héros, ainsi que
Wotan, allongé, apparemment assommé. Tout ce beau monde, à l’exception du jeune
couple et de Grane, est pourtant censé s’être enfermé dans l’enceinte du
Walhalla dans l’attente de la fin des dieux... Au pied de cet escalier, deux
fauteuils Louis XVI où Siegfried et Brünnhilde conversent, avant de se déclarer
leur flamme...
Torsten Kerl (Siegfried), Peter Lobert (Fafner). Photo : (c) Opéra de aris, DR
En culotte courte une jambe moins
couverte que l’autre d’adolescent tête-à-claques à peine pubère, qui a du
charme et de la spontanéité, le Siegfried de Torsten Kerl est séduisant de
timbre et d’une endurance quasi infaillible, abstraction faite d’infimes pailles
en fin d’actes, ajoutant en musicalité ce qu’il n’a pas en puissance. Wolfgang
Ablinger-Sperrhacke est un Mime exceptionnel. Voix bien timbrée, solide et
caractéristique, comédien subtil, sa physionomie est inénarrable, sa présence
fabuleuse. Le Voyageur omniprésent, superbe dans ses confrontations avec Mime,
puis avec Alberich, Erda enfin Siegfried. Voix et jeu puissants, carrure
altière et noble, Egils Silins est endurant et héroïque. Peter Lobert est un
Fafner mpressionnant, avec sa voix de stentor au souffle interminable qui fait
à elle seule le dragon que le metteur en scène n’a pas même suggéré. L'oiseau d’Elena
Tsallagova est lumineux et pimpant, bien que la mise en scène le maintienne
loin de l’action et immobile. Peter Sidhom reste un excellent Alberich,
même s’il doit s’effacer en carnation devant son frère Mime. Qiu Lin Zhang est une Erda abyssale, mais le voix bouge
davantage que dans Rheingold. Alwyn Mellor est une Brünnhilde bouillonnante et spontanée.
Même si elle a tendance à crier, ses notes aiguës ne sont pas jetées mais
sonnent clair et triomphantes, au contraire, la voix est charnue et ferme, et
elle dynamise la fin de Siegfried, en
mettant le feu au plateau et, surtout, à la fosse, d’où Philippe Jordan brosse
un finale d’acte de toute beauté.
Siegfried, finale de l'acte III. Photo : (c) Opéra de Paris, DR
L’Orchestre de l’Opéra de Paris
est feutré, exaltant des sonorités fondues et moelleuses, ses attaques sont
souples et ses alliages délicats. Avant ce finale de braise, Jordan, avec un
sens du détail finement ciselé et attentif aux voix, propose un premier acte un
peu lent et aux élans distendus et aux contrastes aplanis, ménageant de belles
plages et en suscitant d’autres assez mornes. Le deuxième acte est tendu comme
un arc, avec une diversité de climats et un sens du développement dramatique plus
dynamique. Au point que l’on ne s'ennuie pas une seconde dans cet acte coloré
et polymorphe...
Bruno Serrou
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