mardi 26 mars 2013

Retour du Siegfried en culotte courte et tête à claque de Günter Krämer à l’Opéra de Paris



Paris, Opéra national de Paris-Bastille, lundi 25 mars 2013

 
Siegfried, deuxième journée du Ring des Nibelungen de Richard Wagner, faisait en 2011 son retour au répertoire de l’Opéra de Paris après plus d’un demi-siècle d’absence. Pour la reprise de cette même production en cette année du bicentenaire de son auteur, sans qu’elle ait fondamentalement changé, la mise en scène de Günter Krämer apparaît un peu plus fouillée, tant scéniquement que sur le plan de la direction d’acteur. Elle reste néanmoins pleine d’incohérences. Le premier acte se déroule toujours dans les appartements avec ascenseur et devant la forge sophistiquée de Mime, au milieu de plans de cannabis, d’une maquette de moulin à vent hollandais et de monceaux d’accessoires en tous genres renvoyant a quelque bandes dessinées, et en dépit d’un Mime gay vêtu d’un jean et d’un t-shirt jaune la tête couverte tout d’abord d’une perruque blonde, jusqu'à ce que Siegfried, lui-même en dreadlocks blond-sale, la lui retire violemment pour faire apparaître une calvitie châtain. Cet acte est truffé de tunnels, tant du côté de la mise en scène que de la fosse, ce qui conduit parfois le spectateur au seuil de la somnolence… 


Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Mime), Torsten Kerl (Siegfried). Photo : (c) Opéra de Paris, DR


Le deuxième acte se déroule dans une plaine désertique au dessus duquel flotte un voile sur leqel est dessiné une forêt. Un rail de chemin de fer coupe ce décor en son centre, des caisses d’armes et de munitions estampées Rheingold jonchent l’’avant-scène après avoir été amenés par des servants nus peints en noir portant kalachnikovs et armes de point, et, surtout un Fafner qui n’a rien d’un géant et surtout pas d’un dragon, porté par des appariteurs musclés sur un trône, le chef recouvert d’une royale couronne, tandis que l’Oiseau de la forêt, qui ne cesse de jouer avec un miroir aveuglant le public, est dédoublé, l’un muet galopant auprès de Siegfried, l’autre chantant dans les cintres. Ainsi, le cor solo pourtant censé être joué par Siegfried, est trop dans le lointain, à jardin, ainsi que l'oiseau, également à jardin, alors qu’il est incarné tout à côté de Siegfried. Mais cet acte, est dans l’ensemble le plus captivant, grâce à la diversité de son action et à son tour bande dessinée voulu par Wagner qui le rattache directement au climat de Das Rheingold.  

 Torsten Kerl (Siegfried), Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Mime). Photo : (c) Opéra de Paris, DR

Le pire est toujours atteint au troisième acte, avec douze tables sur lesquelles autant de Nornes lisent l’avenir tandis que le Voyageur ère au milieu d’elles à la recherche d’Erda, qui finit par sortir d’on ne sait où et que le maître des dieux qui fut son amant violente sur une treizième table afin qu’elle lui narre le devenir du Walhalla tandis que le feu du rocher de la Walkyrie brûle sur un petit écran de cinéma côté cour. La scène Voyageur/Siegfried se passe à l’avant-scène, rideau baissé, ce dernier ne se relevant pas au moment où Siegfried s’infiltre sur le rocher - ce qui tout compte fait permet de goûter ce somptueux passage symphonique, particulièrement les cordes divisi -, tandis que le rocher est le même escalier monumental que celui déjà vu dans le troisième acte de la Walkyrie doté d’une quarantaine de marches sur lesquelles sont non seulement plantés Siegfried et Brünnhilde, mais aussi les Walkyries et les Héros, ainsi que Wotan, allongé, apparemment assommé. Tout ce beau monde, à l’exception du jeune couple et de Grane, est pourtant censé s’être enfermé dans l’enceinte du Walhalla dans l’attente de la fin des dieux... Au pied de cet escalier, deux fauteuils Louis XVI où Siegfried et Brünnhilde conversent, avant de se déclarer leur flamme...


Torsten Kerl (Siegfried), Peter Lobert (Fafner). Photo : (c) Opéra de aris, DR


En culotte courte une jambe moins couverte que l’autre d’adolescent tête-à-claques à peine pubère, qui a du charme et de la spontanéité, le Siegfried de Torsten Kerl est séduisant de timbre et d’une endurance quasi infaillible, abstraction faite d’infimes pailles en fin d’actes, ajoutant en musicalité ce qu’il n’a pas en puissance. Wolfgang Ablinger-Sperrhacke est un Mime exceptionnel. Voix bien timbrée, solide et caractéristique, comédien subtil, sa physionomie est inénarrable, sa présence fabuleuse. Le Voyageur omniprésent, superbe dans ses confrontations avec Mime, puis avec Alberich, Erda enfin Siegfried. Voix et jeu puissants, carrure altière et noble, Egils Silins est endurant et héroïque. Peter Lobert est un Fafner mpressionnant, avec sa voix de stentor au souffle interminable qui fait à elle seule le dragon que le metteur en scène n’a pas même suggéré. L'oiseau d’Elena Tsallagova est lumineux et pimpant, bien que la mise en scène le maintienne loin de l’action et immobile. Peter Sidhom reste un excellent Alberich, même s’il doit s’effacer en carnation devant son frère Mime. Qiu Lin Zhang est une Erda abyssale, mais le voix bouge davantage que dans Rheingold. Alwyn Mellor est une Brünnhilde bouillonnante et spontanée. Même si elle a tendance à crier, ses notes aiguës ne sont pas jetées mais sonnent clair et triomphantes, au contraire, la voix est charnue et ferme, et elle dynamise la fin de Siegfried, en mettant le feu au plateau et, surtout, à la fosse, d’où Philippe Jordan brosse un finale d’acte de toute beauté. 


Siegfried, finale de l'acte III. Photo : (c) Opéra de Paris, DR


L’Orchestre de l’Opéra de Paris est feutré, exaltant des sonorités fondues et moelleuses, ses attaques sont souples et ses alliages délicats. Avant ce finale de braise, Jordan, avec un sens du détail finement ciselé et attentif aux voix, propose un premier acte un peu lent et aux élans distendus et aux contrastes aplanis, ménageant de belles plages et en suscitant d’autres assez mornes. Le deuxième acte est tendu comme un arc, avec une diversité de climats et un sens du développement dramatique plus dynamique. Au point que l’on ne s'ennuie pas une seconde dans cet acte coloré et polymorphe... 

Bruno Serrou

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