A l’instar des Noces de Figaro de Mozart ou du Chevalier à la
rose de Strauss, Falstaff est un opéra d’ensembles. D’autant
plus que les airs sont fort brefs, le vieux Verdi, pour son chant du cygne,
s’attachant avant tout au théâtre. Les chanteurs n’ont qu’une aria ou une
scène pour s’illustrer seuls. Conçue par un compositeur âgé de 80 ans qui, avec
l’aide d’un librettiste génial, Arrigo Boïto, retrouvait pour la troisième fois
des personnages puisés chez Shakespeare, l’œuvre elle-même est d’une vivacité
et d’une énergie époustouflantes, action et partition se présentant comme de
véritables tourbillons tel un feu follet continu.
Ambrogio Maestri (Sir John Falstaff). Photo : (c) Mirco Magliocca/Opéra de Paris
Créée en 1999 à l’Opéra Bastille,
scène surdimensionnée en regard de la proximité théâtrale que l’ouvrage exige, reprise
en 2003, la production de Falstaff de
Dominique Pitoiset que l’Opéra de Paris reprend en ce moment dans cette même
salle est la seule œuvre cette saison du bicentenaire de Giuseppe Verdi proposée
par la « Grande Boutique » (terme utilisé par Verdi pour désigner l’Opéra
de Paris), qui proposera la prochaine saison deux de ses ouvrages, ouvrant sur
une Aïda confiée à Philippe Jordan et
Olivier Py et concluant sur une Traviata
mise en scène par Benoît Jacquot et dirigée par le même Daniel Oren que dans le
présent Falstaff.
Gaëlle Arquez (Mrs Meg Page), Marie-Nicole Lemieux (Mrs Quickly), Elena Tsallago (Nanetta) et Svetla Vassileva (Mrs Alice Ford). Falstaff, Acte I, scène 2. Photo : (c) Mirco Magliocca/Opéra de Paris
Moins de cinq ans après la
production dans un théâtre plus à sa mesure, le Théâtre des Champs-Elysées
dirigé par Alain Altinoglu, il est clair que la salle de Bastille est beaucoup
trop vaste pour Falstaff, autant la
fosse que le plateau. Côté fosse, le chef israélien Daniel Oren, qui excelle pourtant
dans Verdi, est ici sans esprit, imprécis jusqu’au brouillon, empêtré dans un orchestre qui
n’attaque jamais, tant et si bien que l’œuvre traîne et s’essouffle. L’orchestre sonne bien, comme toujours, mais n’est jamais poussé à
mettre en relief la diversité de l’invention verdienne dans le domaine des
couleurs, des rythmes et d’une orchestration qui va du très grand orchestre à
la musique de chambre. L’on ne trouve pas la vigueur, l’allant, le
tranchant, et finalement le ton de la comédie qui découlent pourtant de cette œuvre
pleine de verve. C’est prudent, linéaire, sans engagement, et peu
stimulant pour les chanteurs. Ces derniers sont scéniquement livrés à
eux-mêmes, comme perdus dans l’immense vaisseau Bastille.
Ambrogio Maestri (Sir John Falstaff), Svetla Vassileva (Mrs Alice Ford). Falstaff, Acte II, scène 2. Photo : (c) Mirco Magliocca/Opéra de Paris
Côté mise en
scène, c’est un peu la même chose. Dominique Pitoiset situe l’action au début
du XXème siècle derrière les docks qui longent la Tamise. Faisant glisser le
décor d’Alexandre Belaiev, il place ses protagonistes dans une rue qui devient terrasse
de l’auberge de la Jarretière puis cour, le tout continuellement adossé à une
façade d’immeubles en briques glissant vers cour ou jardin selon les tableaux,
qui du coup ne changent guère l’atmosphère, y compris dans la scène finale
sensée se passer au cœur de la forêt de Windsor, réduite ici à la projection d’un
chêne multiséculaire sur ledit mur. Si bien que la féerie nocturne et sylvestre de ce
dernier tableau est totalement gommée, et l’on finit frustré par le manque de
densité de ce spectacle qui ne met en exergue ni les aspects festifs ni les implications
sociétales de cette merveilleuse comédie de mœurs inspirée de Shakespeare et
remarquablement campée par Arrigo Boïto.
Falstaff, Acte II, scène 2. Photo : (c) Mirco Magliocca/Opéra de Paris
Néanmoins, sur le
plan vocal, le plaisir est certain, tant la distribution est brillante et
homogène. Dans le rôle-titre, Ambrogio Maestri s’impose brillamment. Même s’il
accuse parfois la fatigue, sa projection vocale et son style de chant compense
la côté conformiste du personnage imposé par le metteur en scène, mais ce qu’il
perd en pittoresque, son John Falstaff le gagne en tempérence et en noblesse,
évitant subtilement toute tentation caricaturale. Les personnages de commedia dell’arte souffrent le plus de
cette vision globale plutôt amorphe. Ainsi, surtout dans le premier acte où
leurs railleries tombent à plat, le trio Bardolfo-Pistola-Cajus manque de
caractère, même si Raúl Giménez s’avère un vaillant Docteur Cajus,
tandis que les compères (Bruno Lazzaretti et Mario Luperi) sont comme égarés,
tandis que l’aubergiste manque de conviction. Paolo Fanale, qui excellait en Fenton au Théâtre des Champs-Elysées, est apparu
vocalement moins à l’aise, contraint de pousser sa voix pour se faire entendre,
mais son indéniable présence scénique a largement compensé cette carence. Chanté
d’une voix magnifique, le Ford d’Artur Rucinski manque de puissance pour
Bastille.
Falstaff, Acte III, scène 2. Photo : (c) Mirco Magliocca/Opéra de Paris
Chez les dames, ce
sont Marie-Nicole Lemieux et Elena Tsallagova qui ont imposé leur marque.
L’abattage, la truculence de la première en Mrs Quickly on conforté la richesse
harmonique de son timbre et le côté abyssal de son grave. Voix fraîche et
limpide, la seconde excelle en séduction en Nanetta, rôle quasi impossible il
est vrai à dénaturer tant il est suprêmement ciselé par le vieux Verdi pour les
timbres juvéniles, ce qui ne manque assurément pas à la soprano russe. Impressionnante de puissance et de souffle, Svetla Vassileva est une Mrs
Alice Ford guère malicieuse mais elle domine les ensembles sans avoir à se forcer.
Voix froide et raide, la Mrs Meg Page de Gaëlle Arquez constitue le maillon
faible de la distribution, malgré une présence scénique indubitable.
Mais il était
difficile hier soir d’entrer complètement dans le spectacle présenté, tant les
caméras disséminées dans la salle pour les besoins d’une diffusion en direct
dans les salle de cinéma du réseau UGC ont gêné par la puissance de la
luminosité de leurs viseurs.
Bruno Serrou
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