Paris, Ircam, Espace de projection, mardi 26 mars 2013
Emmanuel Nunes (1941-2012)
Voilà presque sept mois, le 2
septembre 2013, disparaissait le compositeur portugais Emmanuel Nunes. Comme je
l’écrivais ici-même dès l’annonce de sa mort (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2012/09/le-plus-grand-des-compositeurs_3.html),
le Portugal tenait en lui le plus grand compositeur de son histoire. Depuis le
premier de ses grands cycles, La Création, initié en 1978 autour du
concept de paire rythmique, jusqu’à l’opéra Das Märchen, créé en 2008,
en passant par sa réflexion sur l’architecture acoustique de Quodlibet
(1991), Nunes n’a cessé d’habiter et de faire vivre l’espace. Espace physique
où se déploie l’œuvre, mais aussi espace interne de sa genèse, un espace né du
« contrepoint des paramètres », intérieur de l’imaginaire. Il était également tout
emprunt de mathématiques, d’intuition, de spiritualité.
Interprété avec le plus grand soin
par les solistes de l’Ensemble Intercontemporain, le programme présenté hier à
l’IRCAM réunissait des pièces de musique de chambre composées entre 1979 et
1989. Toutes plus complexes les unes que les autres, voire plus ou moins hermétiques,
mais non dénuées d’expressivité, si bien qu’il me faut avouer humblement qu’entrer
dans certaines d’entre elles m’a demandé des efforts, d’autant plus qu’elles
étaient toutes de durée respectable, chacune frisant les vingt minutes.
Néanmoins, la première pièce, Rubato,
registres et résonances, composée en 1991 sur l’Invention en fa mineur de
Jean-Sébastien Bach pour flûte/flûte octobasse, clarinette/clarinette basse et
violon à l’atmosphère mystérieuse et sombre, est souvent magique. A l’instar
des sonorités du violoncelle dextrement tenu par Eric-Maria Couturier dans Einspielung II (1980), mais aux
pourtours enchevêtrés et au flux sonore assez déstabilisant. Versus I (1982-1988) est une véritable
conversation entre la clarinette et le violon ludique et séduisante certes,
remarquablement jouée par Jérôme Comte et Diégo Tosi, mais non dénuée de
tunnels. Tout comme Aura pour flûte,
mais ici le temps se sera écoulé plus rapidement grâce à la répartition sur sept pupitres des pages de la partition, avec halte plus longue sur le cinquième, par
Emmanuelle Ophèle, qui a ainsi proposé des repères pour l’auditeur quant à l’écoulement
des dix-huit minutes de l’œuvre.
Mais le meilleur aura été pour la
fin. Conçue en 1979, retravaillée en 2011, Einspielung
I pour violon et électronique a en effet bénéficié entre sa genèse et sa
complète réalisation de l’expérience que Nunes aura acquise à l’IRCAM, où il a
travaillé à partir de 1989. Le compositeur y avait trouvé l’outil adéquat pour
creuser le concept de spatialisation et de temps réel qui sont les
fondements-mêmes de son écriture. Il a pu ainsi y explorer tous les moyens de
dissémination du son, d’encerclement de l’auditeur, par l’implantation des
instruments, le déplacement des musiciens dans l’espace et la diffusion du son
assistée par ordinateur. Il aura utilisé avec brio les outils électroniques qui
lui auront permis de réaliser une pensée musicale luxuriante. Interprété de
façon magistrale par le jeune Diégo Tosi, qui a donné la création de la version
définitive d’Einspielung I le 16 juin 2011 dans le cadre du
Festival Agora, dialoguant en virtuose avec une électronique impressionnante et
particulièrement inventive réalisée avec Nunes par le compositeur chilien José
Miquel Fernandez, enveloppant l’auditeur dans un halo de timbres et d’harmoniques
bruissant et vivace, suscitant de vibrantes impressions, autant intellectuelles
que physiques, l’œuvre pénétrant la chair et hypnotisant l’ouïe.
Les solistes de l’Ensemble Intercontemporain
ont ainsi rendu un juste hommage à Emmanuel Nunes, homme exigeant, précis et
sensible, dont ils ont restitué l’âme au point que le compositeur a semblé
présent dans cet Espace de Projection qu’il a si assidûment fréquenté un quart
de siècle durant.
Bruno Serrou
Photos : DR
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