En cette
année du centenaire de la naissance de Benjamin Britten, mort en 1976, la création
du premier grand compositeur britannique depuis la mort de Henry Purcell, à qui
l’unissent de nombreux liens, est étonnamment absente de la scène lyriques et
des concerts de France. Pourtant, l’Opéra de Paris, qui, comme chacun sait,
fait des profits apparemment conséquents, selon les communiqués de son service
communication, depuis le départ de Gérard Mortier à sa tête mais qui préfère
gratifier ses personnels, à l’instar des entreprises privées, plutôt que d’investir
dans la création, possède dans ses réserves, à défaut d’en financer de
nouvelles, deux productions d’opéras de Britten, Billy Budd et Peter Grimes…
et aurait pu confier à son Atelier lyrique le soin de monter l’un des ouvrages
chambristes, comme le Viol de Lucrèce
et le Tour d’Ecrou…
Benjamin Britten (1913-1976). Photo : DR
C’est d’Angleterre
qu’arrive en France le premier élément d’importance de cette année du
centenaire de la naissance de Britten, un Turn
of the Screw (le Tour d’Ecrou)
tourné à Glyndebourne par une équipe de vidéastes… française. Cet opéra de
chambre fascinant au climat cauchemardesque (deux enfants sont la proie de deux
spectres malveillants) qui a été créé au Teatro la Fenice de Venise le 14
septembre 1954 dans le cadre de la Biennale de Venise, plonge dans une
atmosphère où la tension monte d’un cran au fil de ses seize scènes, tel un
tour d’écrou, jusqu’à la mort de l’un des chérubins. La partition du Tour
d’Ecrou de Britten qui se fonde sur un livret de Myfanwy Piper adapté de la
nouvelle éponyme d’Henry James publiée en 1898 apparaît particulièrement
novatrice, avec son orchestre étonnamment coloré et mouvant malgré son effectif
réduit à treize instruments.
Miah Persson (la Gouvernante)
Dans la production étrange et troublante
que publie Fra Musica créée en 2006 à Glyndebourne, qui a fait l’objet d’une
première publication en DVD, filmée en 2011 par François Roussillon, le metteur
en scène Jonathan Kent, tel Alfred Hitchcock dans la Mort aux trousses créant le suspense non
pas dans une gentilhommière sombre mais dans un champ écrasé par le soleil, sort
le Tour d’écrou des
brumes victoriennes pour le planter cette histoire de revenants dans une demeure
lumineuse des années 1950. Il n’est pas le premier à le faire, à l’instar de
Luc Bondy au festival d’Aix-en-Provence (DVD Bel Air) et dans une moindre
mesure Alain Lagarde au Théâtre de l’Athénée. Dans sa volonté de ne pas en rajouter
quant à la perversité des personnages, sa mise en scène n’en est pas moins
originale et d’une parfaite efficacité. Un décor tournant, tel l’écrou qui se
resserre, assure les changements de scène et représente une sorte de barrière
entre deux mondes que sépare une baie vitrée mobile différenciant le monde conscient
de celui des abîmes de l’inconscient, qui permet aussi toutes sortes de trouées,
d’angles et de reflets dont les mouvements, les transparences et les variations
de perspectives sont magistralement captés par les caméras de l’équipe de François
Roussillon.
Joanna Songi (Flora), Susan Bickley (Mrs Grove), Thomas Parfitt (Miles)
Si la mise en scène rend
fidèlement l’atmosphère de l’œuvre sans en grossir le propos, l’aspect musical
est d’une grande réussite. De sa direction nerveuse, ferme et subtile, le jeune
chef morave Jakub Hrůša tire du petit ensemble instrumental de Britten une
éblouissante symphonie de rythmes et de couleurs admirablement servie par les timbres
raffinés des solistes virtuoses du London Philharmonic Orchestra. Côté vocal, la
Gouvernante de Miah Persson personnifie de façon idoine l’attache humaine dans
le monde réel, tiraillée, perdue dans cet univers trouble et sordide. Joanna Songi, qui campe
une Flora jeune adulte, et Thomas Parfitt, Miles encore ingénu, ont des timbres
séduisants et ne manquent ni de justesse ni de souffle. Toby Spence est Peter
Quint impressionnant, attestant dès le Prologue d’un sens vigoureux du texte et
de la prosodie, passant de la lumière à la noirceur avec une efficacité
redoutable grâce à son chant terriblement séduisant. Mais le plus étonnant, est
la Miss Jessel de Giselle Allen, véritable révélation de cette production, voix
riche et onctueuse et présence d’une intensité étonnante.
Bruno Serrou
1 DVD FraMusica François
Roussillon & Associés 3 770002 003114. Cet album est agréablement présenté de dans
une pochette richement illustrée et imprimée sur un épais papier mat. La
découpe sur la couverture est du plus bel effet.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire