Paris, le CentQuatre, samedi 12 mai 2012
Photo :(c) Bruno Serrou
Située dans un lieu d’jeun’s où
rollers, skates, ballons, raps hurlants, joutes verbales constituent un fond
sonore qui couvre toute velléité musicale avec instruments naturels, les salles
de concerts du CentQuatre sont des tue-musique. Pourtant, Radio France, en mal
de salles depuis l’ouverture des travaux de réfection de la Salle Olivier
Messiaen (ex-Studio 104 !), a domicilié une partie de ses concerts dans la
salle 400 de ce lieu improbable. L’acoustique dudit 400 est d’une sécheresse si
excessive que les harmoniques des instruments naturels passent par pertes et
profits, les ensembles et effets de masses sont réduits à néant, et le moindre
écart de justesse et d’attaque, aussi infime soit-il, prend une dimension qui
frise la catastrophe au point de réduire le virtuose le plus accompli au rang d’apprenti.
Un tel lieu a dû déboussoler le
week-end dernier les musiciens japonais, hôtes de Radio France, habitués à des salles
irréprochables et souvent flatteuses dans lesquelles leurs confrères européens
se plaisent à se produire. Ainsi m’interdirai-je de porter un jugement sur la
prestation du Tokyo Sinfonietta entendue samedi dans un programme
nippo-européen.
Créée voilà dix-huit ans par le clarinettiste
Yasuaki Itakura, son directeur musical et
chef d’orchestre actuel formé entre autres au Conservatoire de Paris, et le
compositeur Ichiro Nodaira sur le modèle du London Sinfonietta, qui servit également
de référence à l’Ensemble Intercontemporain, cette formation à géométrie
variable est composée d’instrumentistes virtuoses et vouée au répertoire
postérieur à 1945. A l’instar de ses modèles européens, il collabore avec de
nombreux compositeurs contemporains, comme Hosokawa, Nishimura, Fujikura, Muchizuki,
et de véritables ambassadeurs de la musique européenne au Japon, jouant notamment
Boulez, Murail, Agobet, Mantovani, Benjamin, Carter, Lindberg, Ligeti... Basé à
Tokyo, il effectue des tournées internationales et se produit dans de nombreux
festivals en France, Allemagne, Espagne, Hollande, Egypte, au Venezuela, etc.
Déjà entendu au festival Présences
de Radio France en 2008, cet ensemble constitué de trente-deux musiciens a
ouvert son programme de samedi sur une pièce du Japonais Joji Yuasa (né en
1929), médecin compositeur autodidacte,
aujourd’hui professeur émérite de composition à l’Université de
Californie du Sud à San Diego. Son court Projection
pour orchestre de chambre donné en création européenne est une œuvre gorgée
d’énergie, de vigueur, de colorations typiquement nippones, mais apparaît un
peu sage d’un point de vue harmonique (est-ce dû à la salle ?), dans la descendance
de Toru Takemitsu dont Yuasa fut un proche. Ces sept minutes ont formé un
violent contraste avec la partition suivante, dont l’inscription dans ce
programme est apparue un brin saugrenue, puisqu’il s’agissait de la Siegfried Idyll de Richard Wagner dans l’instrumentation
originelle de la création en privé en 1869 le jour-anniversaire de l’épouse du
maître saxon, Cosima, dans la villa que le couple occupait à Lucerne, après la
naissance de leur fils Siegfried. Ce choix a néanmoins présenté le mérite de
faire goûter les qualités intrinsèques des divers pupitres du Tokyo Sinfonietta
et de mesurer les sérieuses défaillances de l’acoustique déplorable de la salle
400 du CentQuatre.
Jean-Louis Agobet. Photo : DR
Troisième œuvre du concert, le Clarinet Concertino (formulation anglaise
à laquelle tient expressément le compositeur en référence à celui d’Elliott
Carter) de Jean-Louis Agobet (né en 1968), qui entretient des relations
privilégiées avec le Japon depuis une dizaine d’années. Bien qu’il ne pense pas
qu’il soit possible de rendre musicalement hommage à de victime de catastrophes
naturelles de l’ampleur du tsunami qui submergea l’an dernier un partie du
nord-est du Japon, et qu’il ait commencé à composer avant l’événement, Agobet n’a
pu s’empêcher d’écrire sur la partition, là où il en était alors arrivé, « 11
mars 2011 ». La continuité carterienne est chère à Agobet, alors que,
dit-il, le langage contemporain a créé une discontinuité un peu excessive.
Agobet cherche au contraire à garder cette continuité qu’il entend fondre au
langage contemporain qui lui est propre. Il a ainsi tiré parti des qualités
mélodiques de la clarinette pour mettre en exergue ces deux éléments-clefs de
sa créativité dans cette nouvelle partition d’une quinzaine de minutes qu’il a
dédiée à Haruyo Nishizawa, le soliste de cette création mondiale membre du Tokyo
Sinfonietta qui a démontré sa grande musicalité et une virtuosité à toute
épreuve.
En fin de programme, une œuvre d’une
vingtaine d’interminable minutes du compositeur japonais Toshi Ichiyanagi (né
en 1933), directement inspirée par les ravages du tsunami, la Symphonie n° 8 « Révélation 2011 » pour orchestre de chambre, à la
volonté expressive fortement revendiquée mais qui apparaît comme un véritable
pensum tant elle sonne artificiel et ampoulé.
Bruno Serrou
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