Paris, Salle Pleyel, mercredi 23 mai 2012
Neeme Järvi en avait enregistré l’intégrale
avec le Chœur et l’Orchestre Symphonique de Göteborg à la fin des années 1980. Quinze
ans plus tard, son fils Paavo Järvi l’inscrit au répertoire de l’Orchestre de
Paris et de son chœur. Il aura donc fallu attendre très longtemps pour que l’un
des chefs-d’œuvre de la musique du XIXe siècle apparaisse enfin à l’affiche
dans l’intégralité de sa partition. Un chef-d’œuvre venu de Norvège, conçu pour
illustrer l’une des plus grandes épopées de l’histoire du théâtre, la musique
de scène qu’Edvard Grieg (1843-1907) composa pour le Peer Gynt d’Henrik Ibsen (1828-1906). Une musique de scène de plus
de quatre vingt minutes pour chanteurs solistes, chœur mixte et grand orchestre
commandée par le dramaturge au compositeur, de vingt ans son cadet, en vue de la
création de sa grande farce satirico-philosophico-épique en cinq actes le 24
février 1876 à Christiania. Connue essentiellement par les deux belles suites que
Grieg en tira pour le concert (la Suite n° 1 est au répertoire de l’Orchestre
de Paris depuis 1994), l’ensemble de la musique de scène est des plus
passionnantes, et il est regrettable qu’elle ne soit pas davantage proposée en
concert, car, aujourd’hui, aucun théâtre dramatique n’a les moyens de s’offrir une
production de la pièce avec la musique de scène telle que l’ont envisagés les
auteurs, l’orchestre requis étant trop conséquent, à l’instar de la masse
chorale.
Henrik Ibsen, Nina Grieg, Ole Bull et Edvard Grieg
La concordance sans doute fortuite
des deux concerts de cette semaine de l’Orchestre de Paris avec la
programmation de la pièce d’Ibsen actuellement à l’affiche de la Comédie
Française est heureuse pour qui veut se plonger dans ce grand œuvre, symbole de
la Norvège entière. La comédie d’Ibsen conte les péripéties d’un jeune vaurien,
Peer Gynt, antihéros prétentieux et hardi, qui, de méfaits en malversations, erre en
quête de son identité et qui finira par connaître la rédemption grâce à l’amour
de la belle Solveig. Celle-ci lui révèlera les secrets de la vie au moment où
il rendra son dernier soupir. Des quelques vingt-cinq numéros que compte la
partition de Grieg, Paavo Järvi en a proposé vingt-deux, en supprimant
apparemment trois (à en croire l’enregistrement de Neeme Järvi), un au deuxième
acte, un autre au quatrième et un troisième au dernier. Les textes de liaison
ont été conçus par le chef et par le directeur artistique de l’Orchestre de
Paris. Des textes confiés à un récitant, le jeune comédien Arnaud Denis, omniprésent
(il campe également le personnage de Peer Gynt), responsable de quelques
décalages et parfois envahissant, certaines de ses interventions mordant sur la
musique, une musique pourtant bien plus intéressante que les mots qui lui sont confiés, tandis
que le chant alterne traduction française et original norvégien. La
distribution réunie pour cette première à l’Orchestre de Paris s’est avérée
excellente, jusqu’aux plus petites interventions solistes venues du chœur.
Chantant dans son jardin d’une voix lumineuse et aérienne, la soprano
norvégienne Mari Eriksmoen a incarné une Solveig rayonnante et magnifique de
bienveillance, tandis que la mezzo-soprano allemande Ann Hallenberg s’est
avérée une Anitra sensuelle et narquoise. Aurore Bucher, Laura Holm et Cécile
Achille en bergères ont complété avec justesse le plateau féminin, tandis que
le Chœur de l’Orchestre de Paris, particulièrement vivant et homogène hier
soir, s’est imposé comme un personnage aux multiples facettes. Quant à l’Orchestre
de Paris, porté par la direction enflammée et conquérante mais ferme et précise
de Paavo Järvi, il a brillé de tous ses feux, tout pupitre confondu, à
commencer par l’alto solo Ana Bela Chaves, et par le premier violon solo Roland
Daugareil, ainsi que les pupitres solistes des bois, particulièrement le
clarinettiste Pascal Moraguès. Mais tous seraient à citer, ce qui dit combien la
phalange parisienne est en forme.
Ce qui a été le cas dès le début du concert commencé avec l’ouverture de l’opéra Maskarade (1905) d’un autre nordique, le Danois Carl Nielsen (1865-1931), qui signe ici une page d’une énergie magistrale où les violons sont rois. Cette courte pièce préludait au Concerto n° 2 pour piano et orchestre op. 102 de Dimitri Chostkovitch dont l’interminable mouvement lent encadre deux allegros d’une vivacité certes singulière mais sans intérêt autre que la vélocité digitale du soliste. Occasion des débuts avec l’Orchestre de Paris du pianiste géorgien Alexander Toradze, célébré dans le monde pour ses enregistrements des concertos de Prokofiev sous la direction de Valery Gergiev, dont la technique s’avère irréprochable, l’engagement irréfutable, le jeu simple et délié, mais qui aura distillé l’ennui dans l’Andante central du concerto, d’autant plus qu’il en a rajouté en le reprenant en bis dans un tempo lentissississime…
Bruno Serrou
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