Dietrich Fischer-Dieskau, le plus
grand chanteur de lieder de l’histoire de la musique, est mort hier, vendredi 18
mai, à Berg (Bavière), dix jours avant son quatre vingt septième anniversaire. Sa disparition a été annoncée par un communiqué de son épouse, la soprano hongroise Julia
Varady.
La carrière de cet artiste hors
norme est l’une des plus impressionnantes qui se puissent concevoir, par sa
durée, par la quantité, la qualité et l’extrême exigence de son répertoire, par
le nombre impressionnant des enregistrements qu’il laisse. Parcours
exceptionnel d’un homme exceptionnel qui a toujours su conjuguer excellence et ouverture. Commencée en 1943, achevée en 1992, sa carrière de chanteur-humaniste
épris de littérature allemande aura été l’une des plus riches et fécondes du XXe
siècle, traversant un demi-siècle et trouvant une pérennité à travers ses
élèves. Remettant inlassablement son ouvrage sur le métier, il restera pour ses
interprétations par leur extraordinaire intellectualisation, leur extrême
musicalité, un sens singulier du verbe, une façon prodigieuse de creuser le texte, un extrême raffinement de la diction. Pour lui, le mot avait autant de puissance que la
musique. C’est pourquoi, qualifié de spécialiste du lied, il maîtrisait un
répertoire qui couvrait une vaste période, de Heinrich Schütz à Wolfgang Rihm, chantait volontiers cantates et oratorios, et comptait beaucoup plus de rôles d’opéra que quantité de chanteurs italiens,
français et espagnols connus pour être des spécialistes du théâtre lyrique. « Nombre
de chanteurs ont en tout et pour tout cinq ou six rôles dans lesquels ils
excellent, me disait le baryton Matthias Goerne en 2008, tandis que Dietrich
Fischer-Dieskau était remarquablement bien formé au répertoire du théâtre
lyrique. Ce qui comptait pour lui c'était
l’articulation, le phrasé, la musicalité, mais pas la technique, qui n’était pas à ses yeux une question centrale. Avec lui, c’est davantage penser la musique,
l’interprétation, le sens, la projection de la phrase vers le public. »
La mezzo-soprano Christa Ludwig me confiait en 1993, en riant : « Je
me souviens du Italienisches Liederbuch de
Hugo Wolf avec Fischer-Dieskau. Lorsque je suis arrivée au studio, avec Daniel
Barenboïm qui nous accompagnait, nous nous sommes retrouvés avec joie, nous
sommes dit « On y va ! »... Le technicien nous a seulement demandé de
faire un essai de voix et une balance avec le piano. Lorsqu’il nous a proposé
une répétition, nous lui avons répondu : « Pourquoi ? »... Et boum, nous avons fait le cycle sans nous
arrêter, c’est-à-dire dans les conditions du « live ». »
Fils d'Albert Fischer, pasteur et
proviseur, et de Dora von Dieskau, institutrice, né à Berlin le 28 mai 1925, Dietrich Fischer-Dieskau est fasciné dès sa prime enfance par la poésie de
Goethe et de Schiller qu'il déclame dans la cour de son école. A neuf ans, il se tourne vers l'étude de la musique par l'entremise de sa mère, qui l’emmène au concert. La musique est une longue tradition
familiale puisque, en 1742, son aïeul Carl Heinrich von Dieskau commandait à Jean-Sébastien Bach la Cantate des Paysans BWV
212. Attiré par la littérature, il s'adonne au théâtre en amateur et devient récitant. Mais il est enrôlé dans la Wehrmacht. Prisonnier de guerre, il est incarcéré par les troupes américaines en Italie. Il y fait ses débuts de chanteur dans une œuvre de
Brahms devant ses coreligionnaires.
Pourtant, dès 1942, son professeur Georg Walter décelait des aptitudes sigulières chez le jeune homme de 17 ans qui entreprend alors de déchiffrer les cantates de Bach au piano tout en commençant l'étude du lied. Ses aptitudes vocales le conduisent à travailler sa voix de baryton lyrique, capable des nuances les plus délicates, bien qu'il soit plus attiré par les rôles de ténor héroïque. Il donne son premier concert avec le Winterreise de Schubert, sous le bombardement de Berlin en 1942. En 1945, il entreprend de nouvelles études à l’Académie de Musique de Berlin, où il est élève de Hermann Weissenborn. Deux ans plus tard, il enregistre son premier Schubert, le Winterreise pour la Radio In American Sector (RIAS) de Berlin. L’année suivante, il fait ses débuts à l’Opéra de Berlin dans le rôle du Marquis de Posa du Don Carlos de Verdi, ce qui lui vaut un engagement sur le champ dans la troupe de ce théâtre où il rejoint Anton Dermota, Lisa della Casa, Irmgard Seefried, Christa Ludwig, Paul Schöffler, Sena Jurinac, Martha Mödl, etc. En 1949, il épouse la violoncelliste Irmgard Poppen, qui décèdera en 1963 (en 1978, il se remariera avec la soprano Julia Varady).
Pourtant, dès 1942, son professeur Georg Walter décelait des aptitudes sigulières chez le jeune homme de 17 ans qui entreprend alors de déchiffrer les cantates de Bach au piano tout en commençant l'étude du lied. Ses aptitudes vocales le conduisent à travailler sa voix de baryton lyrique, capable des nuances les plus délicates, bien qu'il soit plus attiré par les rôles de ténor héroïque. Il donne son premier concert avec le Winterreise de Schubert, sous le bombardement de Berlin en 1942. En 1945, il entreprend de nouvelles études à l’Académie de Musique de Berlin, où il est élève de Hermann Weissenborn. Deux ans plus tard, il enregistre son premier Schubert, le Winterreise pour la Radio In American Sector (RIAS) de Berlin. L’année suivante, il fait ses débuts à l’Opéra de Berlin dans le rôle du Marquis de Posa du Don Carlos de Verdi, ce qui lui vaut un engagement sur le champ dans la troupe de ce théâtre où il rejoint Anton Dermota, Lisa della Casa, Irmgard Seefried, Christa Ludwig, Paul Schöffler, Sena Jurinac, Martha Mödl, etc. En 1949, il épouse la violoncelliste Irmgard Poppen, qui décèdera en 1963 (en 1978, il se remariera avec la soprano Julia Varady).
Sa carrière prend son essor en
1950 à la suite de sa rencontre avec Wilhelm Furtwängler au festival de Salzbourg,
lors d’une audition. Subjugué, le grand chef allemand le dirige l’année
suivante dans les Lieder eines farhenden
Gesellen de Mahler. Furtwängler l’invite par la suite pour Un requiem allemand de Brahms en 1951, Tristan und Isolde en 1952 et la Passion selon saint Matthieu de Bach en 1954, tandis que Pablo
Casals le reçoit au Festival de Prades où il chante le Voyage d’hiver de Schubert. Cette même année 1954, il débute à
Bayreuth en Wolfram de Tannhäuser,
avant d’y être deux ans plus tard Amfortas dans Parsifal. En 1957, il entre dans la fameuse troupe de l’Opéra de
Vienne. Son Wotan dans l’Or du Rhin
avec Karajan au Festival de Salzbourg, son Falstaff à Vienne dans la mise en
scène de Luchino Visconti, son Robert Storch de l’Intermezzo
de Richard Strauss, son Wozzeck dirigé par Böhm, l’Elégie pour un jeune poète
de Hans Werner Henze, son Lear qu’Aribert Reimann compose pour lui sont autant de jalons dans le domaine lyrique. Benjamin
Britten lui écrit la partie baryton du War
Requiem qu’il crée en la cathédrale de Conventry en 1962, et, l’année suivante de sa Cantata misericordium. Parmi ses
créations, des œuvres de Samuel Barber, Ferruccio Busoni, Luigi Dallapiccola,
Gottfried von Einem, Wolfgang Fortner, Karl Amadeus Hartmann, Ernst Krenek,
Witold Lutoslawski, Siegfried Matthus, Wolfgang Rihm, Igor Stravinski, Michael
Tippett, Isang Yun… En 1985, il avait enregistré quelques trois mille lieder d’une
centaine de compositeurs, dont l’intégralité des pages pour voix d’homme de
Brahms, Liszt, Mahler, Schoeck, Schubert, Schumann, Strauss, Wolf, etc.
Ces dernières années, Dietrich Fischer-Dieskau se
vouait à ses autres passions, l’enseignement, la musicologie, la direction, l’écriture
et la peinture.
Bruno Serrou
Photos : DR
Quel formidable article et quel hommage.
RépondreSupprimerVraiment merci.