Paris, Salle Pleyel, jeudi 3 mai 2012
Photo : DR
Or, c’est précisément ce qui
manque à Gustavo Dudamel dans la Cinquième
Symphonie de Beethoven avec laquelle il a ouvert le concert d’hier. Peut-être
paralysé par le défit qui lui était lancé de se retrouver devant le vaisseau
amiral de la musique symphonique internationale dans l’une de ses œuvres emblématiques
– c’est avec cette Symphonie n° 5 en ut
mineur op. 67 de Beethoven que l’Orchestre Philharmonique de Berlin
enregistra son tout premier disque, en 1913, sous la direction du chef aux
gants blancs, Arthur Nikisch, son directeur musical d’alors. Tant et si bien
que l’Allegro con brio initial a manqué d’éclat, de force, de fureur, au point de
pousser les deux cors à manquer souvent de précision dans leurs attaques.
Dudamel s’est en fait libéré de ses appréhensions, gagnant enfin en assurance,
dans le troisième mouvement, un scherzo qui n’en porte pas le nom, au moment
précis où les cordes graves ont attaqué le fugato
du trio. Le chef et l’orchestre ont dès lors retrouvé leurs fondamentaux, les
Berlinois sonnant comme un seul homme doué d’une vision polymorphe et
retrouvant instinctivement le son forgé pendant quarante-quatre ans par Herbert
von Karajan, feu son « chef à vie », le Vénézuélien donnant une
impulsion vive et vigoureuse jusqu’aux derniers accords de l’Allegro conclusif.
Deux ans et demi après une
exceptionnelle Symphonie alpestre avec
son Orchestre Simon Bolivar formé de jeunes musiciens vénézuéliens dans cette
même Salle Pleyel, Gustavo Dudamel a confirmé hier ses affinités avec la
musique de Richard Strauss en proposant un extraordinaire Also sprach Zarathustra op.
30 (Ainsi parlait Zarathoustra). Tirant
excellemment parti d’un Orchestre Philharmonique de Berlin qui se nourrit
depuis toujours de la création du compositeur bavarois – Hans von Bülow, chef
permanent des Berliner Philharmoniker de 1887 à 1893 et mentor de Strauss, lui
confia son orchestre dès 1887 avant qu’il en devienne à son tour chef permanent
de 1893 à 1895 et de le diriger régulièrement jusqu’en 1948 –, Dudamel a dégagé
les lignes forces de ce vaste poème symphonique, œuvre parmi les plus célèbres
de son auteur, cela dès la grandiose introduction symbolisant l’Univers dominé
par l’orgue et les trois trompettes, ces dernières d’une beauté, d’une
puissance et d’une assurance éblouissantes chez les Berlinois. Le chef et l’orchestre
ont tenu en haleine la salle entière trente cinq minutes durant, rivalisant de
virtuosité et d’onirisme, exaltant une polyphonie foisonnante et une
orchestration somptueuse de leurs sonorités de braise, la précision de leurs
attaques, la fluidité de leurs textures. C’est le souffle coupé que le public a
écouté les dernières mesures du Chant du
voyageur dans la nuit qui parachève l’œuvre pianissimo.
Poussé par le public, Gustavo
Dudamel n’a pu échapper au bis, alors qu’il aurait dû en rester à l’immense
interrogation laissée par le finale de Zarathoustra,
d’autant plus que les pages retenues, le dernier tableau du ballet Ma Mère l’Oye de Maurice Ravel, n’ont
rien eu de féerique, du point de vue musical, et n’a rien ajouté au plaisir d’écouter
les musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Berlin, que nous aurons tout le
loisir de goûter la saison prochaine, la Salle Pleyel ayant mis cette
fantastique phalange en résidence.
Bruno Serrou
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