Herblay, Théâtre Roger Barat, mardi 22 mai 2012
Yun Jung Choi (Vanessa) - Photo : DR
Herblay, bourgade du Val-d’Oise de 27.000 habitants à une vingtaine de kilomètres au nord de Paris… Qui pourrait imaginer qu’il s’y trouvât une charmante place du marché couverte de type néo-médiéval dominée par un théâtre où est depuis cinq ans en résidence l’un des orchestres-écoles les plus actifs de France, l’Orchestre-Atelier OstinatO fondé en 1997 par Jean-Luc Tingaud, son actuel directeur musical et artistique ?... Sous l’impulsion de ce dernier, et sur celle du directeur du Théâtre Roger Barat d’Herblay, Vincent Lasserre, cette formation symphonique produit bon an mal an un ou deux spectacles lyriques d’ouvrages méconnus ou peu donnés en France. Ainsi le Vanessa de Samuel Barber (1910-1981), qui, neuf ans après sa création française à l’Opéra du Rhin, à Strasbourg en mai 2003, fait sa première apparition en Ile-de-France, aux portes de Paris… Aussi, qui veut découvrir cet ouvrage se doit impérativement, s’il n’est allé à Strasbourg, de se rendre à Herblay, relié à la capitale par une ligne de RER et un entrelacs d’autoroutes et de voies rapides dont il est conseillé de consulter les plans sur Internet avant de monter dans sa voiture et de convier au spectacle un accompagnateur type copilote de rallye…
Précisons néanmoins sans attendre que cette Vanessa, premier des trois opéras de Barber avec Anthony and Cleopatra et A Hand of Bridge et qui valut le Prix Pulitzer au compositeur, n’a rien de révolutionnaire ni de fondamentalement original, profondément encré dans la tradition de l’opéra vériste italien heureusement mâtiné de Puccini et autres influences postromantiques dont on s’amuse à identifier les sources deux heures trente durant. En fait, ce qui s’avère le plus réussi est son livret inspiré de Karen Blixen (1885-1962). Au point que l’on se demande si ce n’est pas l’auteur de ce dernier, le compositeur italo-américain Gian Carlo Menotti (1911-2007) compagnon de Barber, qui serait le véritable auteur de la partition et Samuel Barber celui du livret, dont l’action se passe « vers 1905 dans une maison de campagne d’un pays nordique ». Ladite action met en jeu un triangle amoureux tragique constitué de deux jolies femmes, Vanessa, aristocrate mélancolique, et sa jeune nièce Erika, tout aussi mélancolique et dont la dimension incite à se demander pourquoi l’opéra ne s’intitule-t-il pas Erika plutôt que Vanessa, et un jeune mufle opportuniste, Anatol, fils d’un ex-amant de Vanessa également prénommé Anatol, pour une joute cruelle entre rêve et réalité, confusion des sentiments et contrainte de la raison. Vanessa s’amourache d’Anatol, qui couche avec Erika au point que celle-ci tombe enceinte et décide d’avorter pour éviter de déstabiliser sa tante, qui finit par s’enfuir avec Anatol, tandis qu’Erika reste seule avec sa grand-mère qui ne lui parle plus et décide de se retirer du monde… Composé en 1956-1957, créé au Metropolitan Opera de New York le 15 janvier 1958 sous la direction de l’immense chef grec Dimitri Mitropoulos, celui-là même qui grava le premier Wozzeck de Berg au disque, dans des décors de Cecil Beaton, Vanessa est fort débiteur à l’égard de la tradition de l’opéra du tournant des XIXe et XXe siècles. Pas de surprise donc dans cette musique confortable qui pour l’oreille, à l’exception de nombreux passages trop paroxystiques. Surtout pour cette belle histoire d’amour aux élans intimistes qui n’appelait sans doute pas pareil traitement vocal et, surtout, orchestral.
De quoi néanmoins séduire un très large public non aguerri, et développer un projet pédagogique autour de la musique, de la littérature, du théâtre et de l’apprentissage des sentiments amoureux, comme le fait depuis 1994 la ville d’Herblay avec 1400 enfants de la grande section maternelle au CM2 qui ont découvert pendant cinq mois l’opéra à travers des exercices pédagogiques dirigés par leurs enseignants, un comédien et un chef de chœur, avant d’assister à des répétitions, de découvrir les métiers du théâtre, techniques et artistiques, et, enfin, d’assister au spectacle fini.
Yun Jung Choi (Vanessa), Hélène Delavault (la Baronne), Thorbjorn Gulbrandsoy (Anatol) - Photo : DR
Donnée à Herblay dans la version révisée en 1964 en trois actes au lieu de quatre en coproduction avec l’Opéra de Metz, qui en a réalisé décors et costumes et où la production sera reprise en mars 2014, et abstraction faite des réserves formulées plus haut quant aux spécificités de l’œuvre elle-même, cette production de Vanessa convainc par la qualité du travail réalisé. Dans des décors simples mais évocateurs conçus par Christophe Ouvrard (également auteur de riches costumes) qui partagent le plateau en trois dans le sens de la largeur, un proscenium formé d’un grand escalier pour la fuite d’Erika et son auto-avortement, une avant-scène délimitée par deux imposants miroirs, réservée aux échanges entre les principaux protagonistes, et un fond du plateau séparé du reste de la scène par un large paravent-porte-manteaux pour les actions secondaires, tels le bal et le départ de l’héroïne, Bérénice Collet signe une mise en scène sobre mais efficace qui met en exergue la souffrance de ces femmes mal aimées ainsi que la poétique de la mélancolie qui emporte l’âme de ces êtres qui ne sont pas sans rappeler ceux de la Cerisaie de Tchékhov.
Pour chanter ces rôles qui se confrontent à un orchestre souvent écrit gros, il faut des voix solides. Ce qui est le cas pour les deux héroïnes. Voix ample et ferme, la soprano coréenne Yun Jung Choi incarne une belle Vanessa, tandis que la mezzo-soprano moldave Diana Axentii lui vole la vedette par sa belle présence, son jeu sensible qui lui permet de passer avec naturel de l’insouciance à la résolution, avec son timbre velouté. L’Anatol du ténor norvégien Thorbjorn Gulbrandsoy convainc par sa prestance et sa voix plaisante, mais le chant manque d’homogénéité, avec médium sûr mais des aigu fragile. En guest-star, Hélène Delavault est une vieille baronne à la présence scénique indéniable mais la voix usée est gênante, tandis Jacques Bona excelle en vieux médecin. Dans une orchestration réduite à cinquante-cinq musiciens, l’Orchestre OstinatO s’avère un peu trop sonore, d’autant plus qu’il n’est pas dans une fosse, mais l’acoustique plutôt flatteuse du théâtre de 400 places d’Herblay permet aux chanteurs de ne pas forcer, bien que les voix soient parfois couvertes. Le travail de Jean-Luc Tingaud et de son assistant Inaki Encina Oyon est indéniable, incitant les jeunes instrumentistes à se surpasser et à s’écouter les uns les autres, mais il manque encore homogénéité et sûreté des attaques, certains pupitres s’avérant même un peu acides, notamment les cordes, qui souffrent le plus de la réduction de l’orchestration.
Bruno Serrou
Juste pour signaler un petit oubli...
RépondreSupprimerl'orchestre de bal est assuré en coulisses par de jeunes élèves du conservatoire municipal (soutenu par un quintet à cordes d'Ostinato) que je fais travailler depuis cet hiver pour cette production.
A noter qu'ils avait également déjà participé à la production 2011 (Rigoletto)
En dehors des actions avec les scolaires, nous entretenons également un partenariat musical entre le conservatoire et l'orchestre.
Fernand Charpentier, actions artistiques du conservatoire d'Herblay.