Paris, Salle Pleyel, mardi 1er mai 2012
Peinture sonore luminescente
avivée par un sens supérieur de la narration, du renouvellement des idées
exaltés par une spontanéité qui pourrait perturber repères et écoute s’il ne
s’y trouvait des périodes de repos, la musique de Karol Szymanowski (1882-1937)
a tous les atouts pour avoir une place plus centrale dans le répertoire. Ses
amitiés avec les grands musiciens de son temps, comme le pianiste Arthur
Rubinstein, et des artistes les plus marquants de sa génération, ne lui a
néanmoins pas permis de connaître la résonance à laquelle il pourrait
prétendre, et il a fallu les années 1990 pour qu’il rencontre quelque écho en
Occident. La série de six concerts symphoniques que lui dédient en trois vagues
(mai, octobre et décembre 2012) la Salle Pleyel et l’Orchestre Symphonique de
Londres pourrait constituer une consécration à Paris, où seul son opéra le Roi Roger est joué plus ou moins,
principalement en concert, puisqu’il lui a fallu attendre juin 2009 pour franchir
le seuil de l’Opéra de Paris. Cet ouvrage est aujourd’hui l’un des opéras les
plus donnés en Pologne, même s’il l’est moins que l’emblématique Halka
de Stanislaw Moniuszko (1819-1872), le plus polonais des compositeurs (1).
Originellement conçus pour Pierre
Boulez, les deux premiers concerts sont finalement dirigés par celui qui fut à
ses côtés dix années durant directeur musical de l’Ensemble Intercontemporain,
son confrère compositeur chef d’orchestre Péter Eötvös. Des soucis de santé dus
à des problèmes ophtalmologiques tiennent en effet éloigné des salles de
concert pour quelques semaines encore. Si l’on attendait le Français dans ce
répertoire depuis la parution en 2010 de son cd monographique consacré au
compositeur polonais dans les deux œuvres programmées hier mardi et ce soir
mercredi (2), ce n’est pas le cas du Hongrois. Le premier concert mettait le
premier concerto pour violon de Szymanowski avec deux chefs-d’œuvre de la
première décennie du XXe siècle qui ont marqué le compositeur
polonais, les Images du français Claude
Debussy (1862-1918) et le Poème de l’extase
du russe Alexandre Scriabine (1872-1915). Au confluences françaises (Debussy,
Ravel, Roussel) et russes (Scriabine), la musique de Szymanowski fusionne expressionnisme
poétique et impressionnisme coloriste, à l’instar des Images (1892-1899) de Debussy qui se situent autant dans les univers
pictural et la littéraire, puisant dans un poème du Britannique Algernon Swinburne
(1837-1909) tandis que le compositeur écrit que « le titre Nocturnes veut
prendre un sens plus général et surtout plus décoratif » avec tout ce que « ce
mot contient d’impressions et de lumières spéciales ». Péter Eötvös en a
donné une interprétation pudique et distanciée, se gardant de tout
sentimentalisme pour se focaliser sur la jouissance des timbres et des sons
avec l’assurance d’une chef confiant en les qualités de ses musiciens. Ce qui s’est
avéré justifié tant l’Orchestre Symphonique de Londres est une phalange
singulièrement souple et sûre, les
pupitres des cordes aux textures fines et soyeuses, et les pupitres solistes,
particulièrement le somptueux cor anglais de Christine Pendrill, le flûtiste
Gareth Davies, la bassoniste Rachel Gough, ce qui conduit à s’étonner d’autant
plus d’approximations fortuites des cuivres, notamment aux cors. La gestique d’Eötvös
est apparue plus engoncée que de coutume, particulièrement dans Debussy, où les
deux bras faisaient simultanément les mêmes gestes, et le regard plus souvent
porté sur la partition. Les Nocturnes
ont parfois laissé hier l’auditeur sur la route, ne le conquérant vraiment que
dans les passages les plus vifs et étincelants.
Inspiré du poème la Nuit de Mai de Tadeusz Micinski
(1873-1918), le Concerto
pour violon n°1 op. 35 (1916),
considéré comme l’une des premières œuvres concertantes pour violon du XXe
siècle, servant même de modèle à Alban Berg, qui l’étudia avant de s'atteler à son
Concerto « à la
mémoire d’un ange », dix-neuf ans plus tard. De cette œuvre qu’il
a enregistrée avec Pierre Boulez et les Wiener Philharmoniker (2), Christian
Tetzlaff a sollicité avec empressement son climat de songe nocturne transporté par un archet exaltant
des couleurs extraordinairement charnelles excitant l’orgie nocturne d’une
musique capiteuse et luxuriante. A l’instar de la Symphonie n° 4, avec piano obligé, et malgré les énormes
difficultés réservées au soliste, le concerto pour violon a tout d’une symphonie
en un seul mouvement où s’enchâssent plusieurs parties. Totalement investi
dans l’exécution, le violoniste allemand a joué son violon autant avec la tête
et les mains qu’avec son corps entier, donnant de l’œuvre une interprétation
voluptueuse et brillante, soutenu avec vigilance et allant par Péter Eötvös et
le LSO, dont les pupitres ont dialogué avec le soliste avec une virtuosité analogue.
Sa collaboration avec Tetzlaff et un orchestre londonien flexible convient
parfaitement à l'orchestration prodigue du concerto de Szymanowski, tandis que
le violoniste avec sa cadence éblouissante écrite par Paul Kochanski, le
dédicataire de l’œuvre. Comme pour annoncer le concert de ce soir, Christian
Tetzlaff a donné en bis une page peu pratiquée en pareil moment par ses
confrères et dont la longueur et les tempi sortent de l’ordinaire, le mouvement
lent (Melodia. Adagio) de la Sonate pour violon de Béla
Bartók, dans laquelle le violoniste a démontré ses phénoménales capacités
expressives, suscitant notamment d’ineffables pianissimi.
C’est sur une puissante
interprétation – un peu trop sonore, parfois – du Poème de l’extase op. 54 (1907) de Scriabine que Péter Eötvös et le
Symphonique de Londres ont conclu un concert somme toute plutôt court, l’impressionnante
batterie de cuivres (8 cors, 6 trompettes, 3 trombones, tuba) conduisant avec
flamme cet extraordinaire page d’orchestre.
Bruno Serrou
(1) Voir La Croix n° 39265 lundi
30 avril 2012, page 22
(2) CD DG 4778771
Photos : DR
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