Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Vendredi 2 février 2024
Ce 2 février, au lieu de crêpes de la Chandeleur, c’est du crêpe noir qu’a prodigué
la Philharmonie de Paris, une noire Symphonie « Inachevée » de
Schubert et Un Requiem allemand de Brahms
d’une profonde humanité par Philippe Herreweghe, son chœur magnifique du
Collegium Vocale Gent et son Orchestre des Champs-Elysées onctueux, et deux
remarquables solistes, l’angélique Regula Mühlemann et l’impressionnant Florian
Boesch.
Au programme, deux œuvres du XIXe siècle créées conçues à Vienne où elles ont été créées dans les années 1860 commençant dans les abysses de la tessiture des contrebasses, la Huitième de Franz Schubert et le Requiem de Johannes Brahms… En première partie donc la sombre Symphonie n° 8 en si mineur « Inachevée » de Franz Schubert dont les deux seuls mouvements complets ont été composés en 1822 et qui seront créés quarante-trois ans plus tard a permis d’apprécier pleinement l’Orchestre de Champs-Elysées, disposé à l’allemande (violons I et II se faisant face, violoncelles et altos au centre) dans une interprétation toute en nuances exaltant des graves vibrant jusque dans la chair, et des bois de grande beauté.
Mais la soirée était essentiellement consacrée au chef-d’œuvre d’inspiration religieuse de Johannes Brahms, Ein deutsches Requiem op. 45 (Un Requiem allemand) composé entre 1854 et 1868. Cette œuvre d’une grandeur simple toute en retenue et en espérance intime est le contraire des requiem de la tradition catholique qui faisaient à l’époque romantique les beaux soirs des salles de concerts. Le terme « allemand » signifie que ce requiem repose non pas sur le pompeux rituel funèbre latin mais sur des textes vernaculaires allemands qui mettent l’accent non pas sur les défunts mais sur les vivants, en commençant sur les mots tirés de l’Evangile selon saint Matthieu « Heureux (sont) ceux qui souffrent, car ils seront soulagés » (V, 4). Les textes réunis par Brahms associent les deux Testaments, Nouveau (Evangiles, Epitres), et l’Ancien (Psaumes, Hébreux, Isaïe, Ecclésiastique, Sagesse), ainsi que l’Apocalypse de saint Jean et des apocryphes, les sept mouvements que compte l’œuvre étant disposés en forme d’arche, celle-ci étant ouverte et fermée par deux invocations commençant par « Selig sind » (Heureux sont…). Pour mieux rattacher sa partition à la tradition luthérienne, Brahms cite dans son deuxième mouvement un choral du XVIIe siècle, et, ailleurs, des échos de pages de Praetorius et d’Heinrich Schütz, particulièrement dans le morceau initial et dans le finale, ainsi que des références à Jean-Sébastien Bach. Avec un chef comme Philippe Herreweghe, qui connaît tous les répertoires depuis le Moyen-Age jusqu’à aujourd’hui (il fut ne l’oublions pas le fondateur de l’ensemble Musique Oblique), cette œuvre généreuse et singulièrement paisible et optimiste considérant le sujet, a atteint une grandeur d’une profonde humanité. Le geste court et précis, les mains nues semblant pétrir le son de chaque instrument et des voix chorales dans leur singularité, le chef belge a laissé s’exposer les longues et merveilleuses phrases mélodiques brahmsiennes sollicitant ses Orchestre des Champs-Elysées et Collegium Vocale de Gand jusque dans leurs qualités les plus enfouies, comme les métamorphosant. Le baryton-basse allemand Florian Boesch, en grand interprète de lieder mais aussi Wozzeck réputé dans l’opéra éponyme d’Alban Berg, a donné aux deux mouvements auxquels il participait (« Herr, lehre dochmich, dass ein Ende mit mir haben muss » et « Siehe, ich sage euch ein Geheimnis ») une profondeur bouleversante de vérité et d’intonation, apportant au texte une grande et limpide intensité, tandis que la soprano helvétique Regula Mühlemann à la voix cristalline a transmis au cinquième mouvement (« Ihr habt nun Traurigkeit ») une judicieuse dimension angélique. L’Orchestre des Champs-Elysées, que je n’avais pas entendu depuis longtemps découvrant que les violoncellistes jouaient avec des instruments désormais dotés de piques, s’est avéré d’une belle homogénéité, exaltant des sonorités charnues, sombres et moelleuses, à l’exception d’altos légèrement aigres et des trombones un peu trop sonores, avec de brillants pupitres solistes, et plus remarquable encore, le somptueux Collegium Vocale Gent, toujours aussi virtuose, coloré, engagé, d’une exemplaire cohésion.
Bruno Serrou
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire