Paris. Athénée Théâtre Louis Jouvet. Grande Salle. Lundi 19 février 2024
Le Théâtre de l’Athénée présente à Paris une production conçue sur l’initiative
de la Fondation Royaumont de la réduction piano/chant de Pelléas et Mélisande de Claude Debussy mise en scène de façon fine et sensible par le binôme
franco-belge Moshe Leiser et Patrice Caurier dans un décor kitsch années 1950.
Donné dans le cadre intime d’un
salon décoré façon années cinquante du XXe siècle avec canapé et
sièges en skaï des tout débuts d’Ikea telle une répétition privée dans la
réduction pour piano et chant réalisée à cette fin par le compositeur publiée
en 1902 et préservée par la Bibliothèque musicale François Lang de la Fondation
Royaumont, le spectacle a la forme d’une répétition générale scénique avec
piano. A tel point que, outre les accessoires et meubles répartis sur la scène
délimitée par un mur blanc percé d’une porte centrale par laquelle entrent et
sortent les protagonistes, le piano à queue de concert qui y est installé côté
jardin entre également dans le mobilier, le dessus de son coffre servant d’aire
de jeu pour les deux protagonistes centraux pour des scènes d’intimité particulièrement
réussies, notamment celle de la Tour, avec la sensuelle évocation de la
chevelure de Mélisande, ainsi que la violente scène de ménage Golaud-Mélisande qui
se déroule sous le piano et derrière lui.
Moshe Leiser et Patrice Caurier
avaient déjà réalisé une production inspirée du chef d’œuvre lyrique de Debussy
en 2000 pour le Grand Théâtre de Genève dont ils reprennent cette fois encore
la narration d’un drame bourgeois qui avait fait mouche à l’époque et qui reste
parfaitement adaptée à ce qu’ils offrent à voir et à comprendre, associant le
contexte de la vérité de la vie, avec une Mélisande enceinte dont le spectateur
comme les protagonistes voient l’évolution, et celui du rêve voire du cauchemar
suggéré mais prégnant, qui peut atteindre une violence hallucinante,
particulièrement dans le comportement de Golaud. Au sein de ce décor simple et
nu, les tensions du texte de Maeterlinck amplifiées par la musique de Debussy
réduite au squelette des sonorités du seul piano qui, malgré les sonorités tour
à tour limpides, cristallines, immatérielles, pleines, amples et larges
suscitées par le toucher coloré et évocateur du solide Martin Surot, sont loin de
suggérer la magie, les mystères, la sensualité miraculeuse de l’orchestre
debussyste, sont magistralement mis en évidence par la direction d’acteur
singulièrement efficiente de Leiser et Caurier dans laquelle la jeune troupe de
chanteurs comédiens se fond avec souplesse et sensibilité. Les tensions
humaines, la jalousie, le désir plus ou moins refoulé chez tous les personnages
masculins, du grand-père Arkel jusqu’à l’arrière-petit-fils Yniold, sont
remarquablement suggérés tout au long de l’œuvre. Mais le personnage le plus
présent sans être incarné, est la mort, constamment évoquée et envahissante, mais
jamais paralysante, puisqu’elle intervient finalement de façon naturelle, le
moment le plus signifiant étant le passage des moutons partant à l’abattoir qui
précède la scène d’amour puis la meurtre de Pelléas perpétré par son frère
Golaud. Tout comme la musique, plus incarnée au piano qu’elle l’est à l’orchestre,
la part de théâtrale de l’opéra est dans cette réduction plus réaliste et
tangible, les protagonistes étant plus proches du public, leur jeu plus naturel,
la distanciation étant réduite à néant, ou presque, la violence du propos se
faisant plus prégnante que dans le contexte d’un grand théâtre d’opéra avec une
grande fosse séparant la salle et le plateau.
Au piano, l’endurant et inspiré Martin Surot (1), disciple de Jean-François Heisser, Marie-Josèphe Jude et Jacques Rouvier, dans le « rôle » du chef de chant porte et transporte une jeune distribution plus ou moins aguerrie mais littéralement imprégnée des personnages qui lui sont confiés et qu’elle incarne avec pertinence. En tête d’affiche, l’excellent baryton Jean-Christophe Lanièce, qui, après s’être notamment illustré dans l’Inondation de Francesco Filidei et dans Les Eclairs de Philippe Hersant à l’Opéra-Comique, campe un ardent Pelléas donnant de sa voix soyeuse la diversité des aspects du personnage, idéaliste, généreux, élégant, perdu, et la soprano Marthe Davost, spécialiste de l’Ars Nova, qui est une Mélisande touchante, farouche, fragile et éthérée. Le baryton-basse Halidou Nombre est un Golaud tout en muscle et d’une force imposante, physiquement mais aussi vocalement, ce qui réfrène son nuancier qui reste constamment dans le registre de l’hyperbole sonore, ce qui laisse percer les limites de sa ligne de chant. Malgré son jeune âge, la basse Cyril Costanzo, formé au sein des Arts florissants de William Christie et de Paul Agnew, est un Arkel intense et profondément humain, trop épris, admiratif et tenté par sa petite-fille par alliance Mélisande. Révélation lyrique aux Victoires de la Musique 2021, la soprano Marie-Laure Garnier n’a pas « volé » son titre, incarnant de sa voix solaire une Geneviève pour qui on eût apprécié que Debussy développe son rôle, tandis que la mezzo-soprano Cécile Madelin est un Yniold spontané et fébrile.
Bruno Serrou
1) Le pianiste Jean-Paul Pruna, chef de chant principal du Grand Théâtre de
Genève, assurera les trois dernières représentations, les 21, 23 et 25 février
2024
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire