Luc Bondy (1948-2015). Photo : (c) Ruth Walz
« C’est en 1989, à La
Monnaie de Bruxelles pour un travail commun sur le Couronnement de Poppée de Monteverdi à l’invitation de Gérard
Mortier, que j’ai connu Luc Bondy, se souvient le compositeur Philippe Boesmans.
Nous avons travaillé ensemble sur le livret, avons interverti les scènes, etc.
Ce premier contact a été excellent, et j’aime son théâtre. Un théâtre qui ne se
veut pas moderniste à tout prix, qui est à la fois d’un grand classicisme et
très étrange, mû par de subtils décalages. J’aime aussi sa façon de travailler
avec la musique. S’il n’est pas musicien, il entend, et sait éviter la
redondance. Les deux mondes, dramatique et musical, ont chez lui une certaine
indépendance, ce qui allège le tout et laisse un sentiment de liberté. C’est
ainsi que j’ai fini par entrer dans l’opéra. »
Luc Bondy avec Victoire Du Bois, photo de répétition de Tarruffe de Molière, 2014 Photo : © Thierry Depagne
Metteur en scène, dramaturge, comédien,
cinéaste, artiste d’une grande humanité, Luc Bondy, directeur du Théâtre de l’Odéon,
est mort à Paris samedi 28 novembre des suites d’un cancer, maladie qui le poursuivait
depuis le début des années 1970. Il avait 67 ans. Son théâtre d’obédience classique,
d’une intensité légère et d’une ivresse mélancolique, était mû par une
direction d’acteur époustouflante. Pour lui, tout partait de l’acteur, comme il
se plaisait à le dire, le comédien étant seul à pouvoir donner l’essence d’une œuvre
dramatique. « Un grand metteur en scène est uniquement un grand
caméléon, ou un grand passeur d'énergie, avait-il déclaré à l’hebdomadaire Télérama en septembre 2012. J’essaie juste de mettre de la vie dans de l’écrit, du
présent dans du passé ; de créer des climats de vulnérabilité, aussi, où les
acteurs s’autorisent à être vulnérables et à aller plus loin. Rien n'est jamais
fini. Je refuse de catalyser ou de centraliser à la fin quoi que ce soit, comme
je refuse toute hiérarchie. Mon plaisir est de choisir les meilleurs
interprètes et techniciens pour travailler ensemble dans la confiance et la
joie. J'ai horreur de la solitude comme du conflit. Je suis un horizontal, pas
un vertical. »
Luc Bondy (1948-2015). Photo : DR
Ami de Peter Handke et de Botho
Strauss, fils du journaliste-écrivain-traducteur suisse François Bondy
(1915-2003), qui était proche de Romain Gary qu’il avait côtoyé au lycée de Nice dont ils
étaient tous deux élèves, petit-fils de Fritz Bondy (1888-1980),
écrivain-cinéaste suisse d’origine pragoise, tandis que son arrière-grand-père
était directeur du Théâtre allemand de Prague, revendiquant sa judaïté, Luc
Bondy est né à Zürich le 18 juillet 1948. Il passe son adolescence en France,
et suit à Paris de 1966 à 1968 les cours de l’Université internationale de
Théâtre et de Jacques Lecoq (1921-1999), qui l’initie au mime, au masque, au chœur
antique, à l’art du clown et du bouffon, ainsi qu’à la chorégraphie et à la
mise en scène. Il découvre le répertoire du théâtre français en suivant
assidûment les spectacles de la Compagnie Renaud-Barrault Théâtre de l’Odéon. En
1969, il décide de s’installer en Allemagne, à Hambourg. En 1970, le Théâtre de
Göttingen lui confie sa première mise en scène, Le Fou et la Nonne de Stanisław Witkiewicz.
Mais la maladie l’oblige à reporter ses débuts d’un an, avant de mettre en
scène Genet, Fassbinder, Ionesco, Büchner, Shakespeare, Goethe, Edward Bond et
Horvath à Hambourg, Nuremberg, Düsseldorf, Wuppertal, Darmstadt et Munich, de
1974 à 1976 il travaille à la Städtische Bühne de Francfort (Laube, Marivaux,
Bond) puis à Cologne, où il met notamment en scène Yvonne, princesse de Bourgogne de Witold Gombrowicz en 1981, Oh les beaux jours de Samuel Beckett et Macbeth de William Shakespeare en 1982, avant
de signer plusieurs productions pour la Schaubühne de Berlin, dont il est co-directeur
de 1985 à 1987 à la suite de Peter Stein. En 1984, Patrice Chéreau lui confie
Théâtre des Amandiers la mise en scène de Terre
étrangère d’Arthur Schnitzler qui marque ses débuts en France.
Luc Bondy (1948-2015). Photo : (c) Festival de Salzbourg
Parmi ses principales mises en
scène, le Conte d’hiver de
Shakespeare à Nanterre et Avignon en 1988 ainsi qu'à Berlin en 1990, le Temps de la chambre de Botho Strauss
à Berlin en 1989, John Gabriel Borkman
d’Ibsen à Lausanne et Vienne en 1993, Phèdre
de Racine à Lausanne, Paris et Vienne en 1998, En attendant Godot à
Lausanne et Vienne en 1999, la Mouette
de Tchekhov, Trois versions de la vie
de Yasmina Reza à Vienne en 2000, Auf dem
Land de Martin Crimp à Zürich et Berlin en 2001, Retour inattendu de Botho Strauss à Berlin en 2002, Anatol de Schnitzler à Vienne en 2002, Une pièce espagnole de Reza à Paris en
2003, Cruel and Tender de Crimp à
Londres en 2003, Viol de B. Strauss
Théâtre de L’Odéon en 2005, Schlaf de
Jon Foss à Vienne en 2006, la Seconde
surprise de l’amour de Marivaux à Nanterre en 2007…
Comme acteur, Luc Bondy a joué
dans les Années de plomb de Maragarethe von Trotta en 1981 et l’Absence de
Peter Handke en 1993. Au cinéma, on lui doit Die ortliebschen Frauen en 1979,
Terre étrangère d’après Schnitzler en 1988 et Ne fais pas ça en 2004, ainsi que
les scénarios de la Pornographie de Jan Jakub Kolski en 2003
et de son propre film Ne fais pas ça.
Giuseppe Verdi, Don Carlos mis en scène par Luc Bondy au Théâtre du Châtelet en 1996. Roberto Alagna (Carlos) et Thomas Hampson (Posa). Photo : DR
A l’opéra, sa première mise en
scène remonte à 1977, avec Lulu d’Alban
Berg que lui confie son confrère August Everding à l’Opéra de Hambourg, où il
monte également Wozzeck du même Berg
en 1981. Puis Gérard Mortier l’invite à La Monnaie de Bruxelles pour Cosi fan tutte de Mozart en 1984, avant
de l’appeler au Festival de Salzbourg pour Salomé
de Richard Strauss coproduit par l’Opéra de Florence, le Covent Garden de Londres
et le Théâtre du Châtelet de Paris en 1992, Stéphane Lissner l’invitant de nouveau
au Châtelet pour un Don Carlos de
Verdi qui a fait date dans sa version originale en quatre actes et en français
en 1996. L’Opéra de Vienne lui offre Don
Giovanni de Mozart en 1990, le Festival de Salzbourg les Noces de Figaro de Mozart en 1995, Edimbourg et Vienne Macbeth de Verdi en 1999, le Festival d’Aix-en-Provence
le Tour d’écrou de Britten en 2001. Hercules et Idomeneo de Mozart sont produits par l’Opéra de Paris au Palais Garnier en 2004
et 2006, Tosca de Puccini au
Metropolitan Opera de New York en 2009,
repris à la Scala de Milan. Son dernier spectacle lyrique a été la création au festival de Salzbourg 2014 de l'opéra de Marc-André Dalbavie Charlotte Salomon.
Luc Bondy et Philippe Boesmans en répétition à La Monnaie de Bruxelles. Photo : (c) Herman Ricour
Mais c’est par son travail avec
le compositeur belge Philippe Boesmans que Luc Bondy aura marqué l’histoire
récente du théâtre lyrique. Commencée en 1989 à La Monnaie de Bruxelles sur l’initiative
de Gérard Mortier, qui les réunit tous deux pour une adaptation du Couronnement de Poppée de Monteverdi, naîtront
de leur collaboration quatre opéras inédits. Chaque fois, Bondy signe à la fois
le livret et la mise en scène de la création. Le premier opéra est la Ronde (Reigen) d’après Schnitzler en 1993. Suivent le Conte d’hiver d’après Shakespeare en 2000, Julie d’après August Strindberg en 2005, et Yvonne, princesse de Bourgogne d’après Gombrowicz, créé en 2009, cette fois
à l’Opéra de Paris-Garnier.
Philippe Boesmans, Julie, dans la production de Luc Bondy de la création à la Monnaie de Bruxelles en 2005. Photo : DR
Directeur des Wiener Festwochen (Festival
de Vienne) depuis 2001, Luc Bondy avait appelé à ses côtés Stéphane Lissner comme
directeur musical de 2005 à 2007. Il devait reprendre en juin prochain à l’Opéra-Bastille
sa mise en scène de Tosca présentée
au Metropolitan Opera de New York, à l’Opéra de Munich et à la Scala de Milan…
En
2012, Frédéric Mitterrand, alors ministre de la Culture, l’appelait à la
direction de l’Odéon-Théâtre de l’Europe, nomination qui suscita quelque remous
au sein de la communauté du théâtre, car elle conduisit au départ contraint et
forcé de son prédécesseur, Olivier Py, qui, en compensation, s’est finalement
vu confier les clefs du Festival d’Avignon…
Bruno Serrou
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