Nguyen Thien Dao (1940-2015). Photo : DR
« Il faut
que vous sachiez que je tiens [Nguyen Thien] Dao pour un très grand musicien,
un des compositeurs les plus originaux de notre époque, écrivait le 17 février
1978 son maître Olivier Messiaen à Rolf Liebermann, alors directeur de l’Opéra
de Paris. Il y a quelques années, j’ai entendu son Koskom (communauté
cosmique) pour grand orchestre : j’en ai été bouleversé. Et tout ce
qu’il a écrit depuis n’a fait que confirmer ce premier émerveillement... » Dans Musique et couleur, l’auteur de l’opéra Saint François d’Assise précisait : « Je
considère Dao comme un compositeur extraordinaire, et le jour où j’ai entendu
son Koskom, j’ai pensé qu’il
s’agissait vraiment d’une des grandes œuvres du siècle. C’est une partition
énorme, excessivement travaillée, dont le titre signifie "communauté
cosmique". C’est le rêve de Dao, musicien vietnamien fixé à Paris :
une "communauté cosmique", une fraternité qui rassemble non seulement
les hommes mais aussi les extra-terrestres. Koskom,
c’est l’explosion de la fraternité des ondes, un formidable bouillonnement de
sonorités totalement original, avec l’utilisation de notes non tempérées - quarts,
tiers et même sixièmes de ton - et l’écho des portamentos que Dao a puisés dans la technique vocale vietnamienne
traditionnelle. La musique de Dao est l’exemple frappant des contrastes
dynamiques : des pianissimos imperceptibles alternent avec des fortissimos
écrasants (aussi terribles que ceux de Xenakis). C’est une musique qui évolue
surtout, dans le sous-grave et dans le suraigu, souvent dans les deux à la
fois. »
Nguyen Thien Dao (1940-2015) et Olivier Messiaen (1908-1988) au Festival de Metz en 1980. Photo : DR
Né à Hanoï le 17 décembre 1940, le compositeur
franco-vietnamien Nguyen Thien Dao s’est éteint vendredi 20 novembre 2015 à
Paris. Il avait 75 ans. Son chef-d’œuvre, l’opéra-oratorio
Les enfants d’Izieu, œuvre sans concession, tragique, tendue jusqu'à la cassure. Arrivé en France en 1953, quelques mois avant la signature
des Accords de Genève qui mettaient un terme à la guerre d’Indochine, il était
entré au Conservatoire de Paris dix ans plus tard. En 1967, il intégrait la classe d’Olivier Messiaen, qui le conduit à découvrir la voie qui deviendra
la sienne, après qu’il eut remporté son premier Prix de Composition du CNSM de
Paris avec Thanh dong To coq (Le Mur d’airain de la patrie), œuvre dans
laquelle il pose clairement la question de l’engagement de l’artiste. Nourri
des images de son enfance et des longues méditations au sein de la nature, hanté
par des « polyphonies célestes et totalement imaginaires », imprégné
de poésie vietnamienne et chinoise, il se définissait comme « l’héritier
des civilisations orientale et occidentale » dont il a cherché à faire
une synthèse en concevant une musique fondée sur le micro-intervalle, les
timbres-couleurs, une structure rythmique et un temps-durée particuliers.
Il espérait être me créateur d’une « musique de lyrisme, de passion et de caractère
épique », soucieux d’« exigence d’écriture et de forme ».
Nguyen Thien Dao dirigeant à l'Opéra de Hanoï. Photo : DR
C’est avec Tuyn Lua
pour ensemble qu’il est révélé au public en 1969 au Festival de Royan. Deux ans
plus tard, Koskom pour grand
orchestre est donné en première mondiale à Radio France, puis c’est au tour de Ba Me Vietnam pour contrebasse et vingt
instruments au Festival de Royan 1972. En 1974, il reçoit le Prix Olivier
Messiaen de composition de la Fondation Erasme de Hollande. En 1978, son opéra My Châu-Trong Thuy est créé à l’Opéra de
Paris, Salle Favart. Six ans plus tard, son Concerto pour piano et orchestre
est donné en création aux Rencontres de Metz. En 1989, deux œuvres voient le
jour, la Symphonie pour pouvoir au Théâtre
des Champs-Elysées, et le Concerto 1789
pour sextuor à cordes et orchestre par l’Orchestre National de Lille au Palais
des Congrès de la cité du nord. Le 17 juillet 1994, son opéra-oratorio Les enfants d’Izieu sur un livret de
Rolande Causse en un prologue et trois « actions » est créé par la
Maîtrise de Radio France et l’Orchestre Philharmonique de Radio France sous la
direction de Sylvio Gualda, avec parmi les solistes Christian Treguier et
Hélène Lausseur, Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon dans le cadre du 48e
Festival d’Avignon et du Centre Acanthes, pour le cinquantenaire de la rafle de
quarante-quatre enfants et à leurs six accompagnateurs arrêtés dans cette
petite ville de l’Ain sur ordre de Klaus Barbie le 6 avril 1944 et qui seront
déportés et assassinés à Auschwitz. En 1995 et 1997, il dirige à l’Opéra de Hanoï
à la tête de l’Orchestre national du Vietnam les créations de Hoâ Tâu et de Khai Nhac, ce dernier dans le cadre de la soirée de gala du 7e
Sommet de la Francophonie. En 2000, pour la série Alla breve, France Musique lui a commandé la pièce pour violoncelle
solo Arco Vivo qu’il a écrite pour
Christophe Roy. Parmi ses œuvres les plus récentes, Kosmofonia pour chœur et grand orchestre créé à Forbach en 2001, Song Nhat Nguyen et Song Nhac Truong Chi sont respectivement créés en 2002 et 2003 à l’Opéra
de Hanoï, l’opéra de chambre Quatre lyriques
de ciel et de terre à Paris créé le 28 mai 2004 par l’Ensemble Aleph
Théâtre Dunois, Suoi Lung May au
Festival de Musique International de Hué 2006, Khoi Thap et So Day à l’Opéra
de Hanoï en 2007, en 2008 Khai Giac
et Duo Vivo, hommage à Olivier
Messiaen créé au Théâtre des Bouffes du Nord. Ce sont au total soixante-douze œuvres
abordant tous les genres, du solo instrumental à l’opéra, en passant par la
musique de chambre, d'ensemble, d'orchestre, la musique de film et le
ballet.
Nguyen Thien Dao (1940-2015). Photo : DR
« Je
place ma foi au service de l’homme et, partant, au service du peuple, convenait
Dao. En fait, toute œuvre d’art, dans la mesure où elle pressent l’homme, est
une œuvre engagée. Pouvoir se dégager de soi-même et aller au cœur des êtres et
des choses... Tirer l’événement de plus loin, de plus haut ; c’est à
l’artiste, en partant de la réalité la plus quotidienne, qu’il appartient de
faire le point, mais une réalité rendue plus générale, plus universelle,
d’autant plus que les problèmes qui, dans notre civilisation, se posent à
certaines nations, peuvent concerner aussi les autres. »
Nguyen Thien Dao (1940-2015). Photo : DR
D’une
gentillesse et d’une douceur extrêmes, Nguyen Thien Dao était hélas trop
humble et beaucoup trop discret pour occuper la place qu’il méritait amplement,
l’une des premières. Mais son temps viendra, assurément. Ses obsèques ont lieu
au cimetière du Père Lachaise, à Paris, vendredi 27 novembre.
Bruno Serrou
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