Paris, Philharmonie 1, mardi 3, mercredi 4 et vendredi 6 novembre 2015
Berliner Philharmoniker dans la configuration de la Symphonie n° 3 de Beethoven. Photo : (c) Bruno Serrou
En treize ans de direction
musicale, Sir Simon Rattle a complètement changé les particularités sonores des
Berliner Philharmoniker. Le son rond et moelleux, le fondu des textures d’une
qualité fusionnelle hors normes, les assises harmoniques sir profondes qu’elles
pénétraient jusqu’aux tréfonds de l’âme et du corps de l’auditeur ne sont plus
d’actualité. Un siècle d’héritage forgé par quatre générations de chefs
germaniques, qui, depuis Hans von Bülow en passant par Arthur Nikisch et
Wilhelm Furtwängler, a atteint son apogée avec Herbert von Karajan, sont passées
par pertes et profits. Claudio Abbado en avait déjà éclairé les textures
par sa luminosité et la sensuelle plastique de sa conception du son, tout en
préservant peu ou prou cette tradition par son propre encrage « Mittle
Europa » (Abbado était certes italien, mais de Milan et élève de l’Autrichien
Hans Swarowsky).
Simon Rattle et les Berliner Philharmoniker jouent Beethoven à la Philharmonie de Paris. Photo : (c) Monika Rittershaus / Berliner Philharmoniker
Le recrutement des musiciens s’est
internationalisé, et si le niveau est toujours aussi exceptionnel dans l’excellence, l’on
n’entend plus cette homogénéité profonde et grave qui rendait le son des
Berliner chaud et onctueux comme un cocon qui donnait l’impression à l’auditeur
d’être submergé et emporté dans une étoffe extraordinairement voluptueuse. Le
chef britannique, qui avait transformé un orchestre de province en une phalange
de très haut niveau lorsqu’il était directeur musical du City of Birmingham
Symphony Orchestra dont il a fait l’une des formations majeures du Royaume-Uni,
a métamorphosé les Berlinois, qui, tout en restant un modèle, n’est plus le
même qu’il y a une décennie. Rattle a transformé Berlin en une sorte d’Orchestre
of the Age of Enlightenment avec lequel il est associé depuis 1987, mais en
plus sûr et en plus accompli, ne serait-ce que parce qu’utilisant un
instrumentarium moderne.
Sir Simon Rattle. Photo : DR
Symphonies n° 1 et n° 3 « Eroica »
Ainsi, sommes-nous loin des
lourdeurs et de l’emphase insupportables de ce qu’un Christian Thielemann a
donné à entendre Théâtre des Champs-Elysées en 2010 avec sa Staatskapelle de
Dresde. Mais là où l’on voyait avec Karajan dans les symphonies de Beethoven une
section de cordes aussi étoffée que s’il s’agissait des symphonies de Brahms,
Bruckner ou Mahler, Rattle module les effectifs conformément aux dates de
genèse des œuvres. Ainsi, dans l’intégrale des Symphonies de Beethoven qu’il
vient de donner à la Philharmonie de Paris à la tête des Berliner Philharmoniker,
il a ouvert sa série en toute logique avec la Symphonie n° 1 en ut mineur op. 21. Les lignes se sont révélées si
affinées qu’il a été donné d’entendre une symphonie de Haydn en plus développé
au point que la partition de Beethoven a semblé traîner en longueur, avec des
reliefs élagués et un discours si aéré que les lignes se sont avérées ténues. Trois
contrebasses et cinq violoncelles pour les graves, sept altos ajoutés aux cinq
violoncelles pour les médiums, dix premiers et huit seconds violons (la
disposition des cordes sera du début à la fin premiers et seconds violons encadrant
violoncelles et altos, contrebasse derrière les premiers violons), voilà qui
ramène à l’intégrale des mêmes symphonies de Beethoven par le Chamber Orchestra
of Europe dirigé par Bernard Haitink en 2011 Salle Pleyel… Mais le chef
hollandais n’a pas l’expérience de Rattle en matière d’interprétation « à
l’ancienne », ce qui lui avait permis d’exalter des sonorités plus rondes
et brûlantes que son cadet tout en se faisant plus haydnien, dès l’Adagio initial, dans l’Andante où le cantabile manquait cependant de luminosité, ainsi que l’Adagio introduisant le finale, tandis
que le Menuetto est apparu un peu comprimé,
mais l’Allegro conclusif s’est fait dynamique
et plein d’allant.
Simon Rattle et les Berliner Philharmoniker à l'issue de la Symphonie n° 3 de Beethoven. Photo : (c) Bruno Serrou
Cinq soirées durant, le
Philharmonique de Berlin s’est montré aussi réactif qu’une formation chambriste.
Postérieure de quatre ans de la Première,
la Symphonie n° 3 en mi bémol majeur op.
55 « Eroica », a naturellement vu les effectifs du Philharmonique
de Berlin grossir, avec douze premiers violons et dix seconds, huit altos, six
violoncelles et cinq contrebasses, ainsi que trois cors et trois timbales au
lieu de deux dans la Première Symphonie.
Fébrile, chaleureuse, d’une force mâle, la
conception de Rattle convainc davantage que la Première, même si l’Allegro
initial manque de mordant et la Marche
funèbre d’énergie et de tensions, mais l’œuvre se conclut dans la lumière
et l’allégresse perceptibles dès le Scherzo,
laissant une heureuse sensation d’accomplissement dans le Finale. Les pupitres solistes du Philharmonique de Berlin s’en sont
donné à cœur joie, brillant de tous leurs feux, répondant aux moindres
sollicitations de leur directeur musical. La virtuosité du timbalier est à
toute épreuve, mais, depuis le bacon de face, il s’est avéré trop présent placé
côté cour et dans un rapport plus équilibré au centre, derrière l’orchestre.
Simon Rattle et les Berliner Philharmoniker à l'issue de la Symphonie n° 5 de Beethoven. Photo : (c) Bruno Serrou
Symphonies n° 2 et n° 5
L’Ouverture Leonore I op. 138 qui a
lancé la deuxième soirée de l’intégrale des symphonies de Beethoven, n’a pas
semblé passionner Rattle, qui n’a rien tiré de cette dizaine de minutes de musique
pourtant dramatique et contrastée. Avec dix premiers violons et autant de
seconds, six altos, cinq violoncelles et quatre contrebasses côté cordes, bois
et cuivres par deux, Simon Rattle et ses Berlinois ont brossé une Symphonie n° 2 en ré mineur op. 36
guillerette et pimpante, à laquelle il n’a manqué qu’un zest de lyrisme pour
convaincre pleinement. Avec des effectifs comparables à ceux de Leonore I dont elle est contemporaine (bois
par deux, deux trompettes, quatre cors, deux timbales, douze premiers et dix
seconds, huit altos, six violoncelles et cinq contrebasses auxquels s’ajoutent
un piccolo et un contrebasson placés au fond de l’orchestre encadrant trois
trombones), la Symphonie n° 5 en ut
mineur op. 67 a été édifiée tel un immense crescendo gonflant d’impressionnante
manière jusqu’à la toute fin, pour retourner à la puissance tellurique des
quatre coups du destin qui sonnent avec une intensité foudroyante pour s’épanouir
de façon triomphale dans le finale. Rattle dirige cette œuvre avec vigueur et
allant, sans grandeur inutile mais avec une noblesse toute en souplesse et en vitalité,
débarrassé de toute tentation d’exaltation de basses grondantes, totalement
annihilées dans sa volonté d’alléger les textures et de les rendre
transparentes.
Simon Rattle et lers Berliner Philharmoniker à l'issue de la Symphonie n° 7 de Beethoven. Photo : (c) Bruno Serrou
Symphonies n° 4 et n° 7
N’ayant pu
assister aux Sixième et Huitième Symphonies, devant être le même
soir à un récital deux pianos et piano à quatre mains dans une ville de
Seine-et-Marne, je me suis rendu au pénultième volet de cette intégrale des
symphonies de Beethoven, qui a réuni les belles Quatrième et Septième
Symphonies. A contrario des deux premiers soirs, où j’étais installé au
balcon dans les trois premiers rangs de face, j’ai entendu ce troisième concert
depuis le treizième rang de l’orchestre, ce qui a changé la perspective d’écoute.
Semblant davantage dans le son que les deux soirs précédents, j’ai pu retrouver
mes sensations d’écoute que je gardais en moi, le Philharmonique de Berlin me
paraissant plus coutumières, avec un son charnel vibrant et résonnant dans le
corps, tandis que les textures se sont faites plus palpables, grondantes et malléables. Ainsi
les deux œuvres jubilatoires d’une extrême vitalité réunies dans le concert de
vendredi me sont-elles apparues plus équilibrées, séduisantes et habitées que
les quatre précédentes, tandis que les pupitres toujours virtuoses se sont
faits plus fusionnels et concordants, y compris les timbales, pourtant fort mises
à contribution dans les deux œuvres. De forme et d’orchestration classique (une
flûte, bois et cuivres par deux sans trombones, deux timbales, 12-10-8-6-5), la
Symphonie n° 4 en si bémol majeur op. 60
est toute de sérénité, de frémissements et d’abandon, portant en germes la
ferveur foudroyante de la Septième. En
termes de vitalité rythmique pure, peu d’œuvres atteignent l’exaltation démonstrative
de la Symphonie n° 7 en la majeur op. 92
d’une allégresse carrément propulsive. En dépit de plans pas toujours au
cordeau, l’interprétation de Rattle et de ses Berliner Philharmoniker est
montée peu à peu en puissance, le chef britannique scindant l’œuvre en deux
parties, les deux premiers mouvements s’enchaînant, à l’instar des deux
derniers, tandis qu’une grande respiration a séparés les deux blocs. Rattle a
dirigé avec vivacité et le geste précis, le corps penché vers l’orchestre avec
lequel il n’a plus formé qu’une seule entité, se montrant l’instrument moteur
de cette furie dansant jusqu’à la frénésie, qui semblait ne jamais perdre
souffle. Un feu d’artifice festif particulièrement communicatif qui aura
parachevé pour moi l’intégrale Beethoven des Berliner Philharmoniker qui se
terminait ce vendredi soir avec la Neuvième
Symphonie…
Bruno
Serrou
1) Une
intégrale est annoncée en formats CD et Blu-ray dans une édition Berliner Philharmoniker Recordings : www.berliner-philharmoniker-recordings.com
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