Photo : (c) Bruno Serrou
Quelques semaines avant le
centième anniversaire de la naissance d’Henri Dutilleux, qui sera célébré le 22
janvier prochain, Warner-Erato publie un coffret de sept CD qui réunit la quasi
intégralité de la création du compositeur mort voilà un peu plus de deux ans. Trente
œuvres au total, de la sonate au ballet, de 1942 à 2009, soit moins d’un opus
tous les deux ans. Un catalogue parcimonieux n’est pas forcément synonyme de
qualité. Pourtant, dans le cas de Dutilleux, c’est bel et bien de cela qu’il s’agit.
Pas une œuvre de trop, bien au contraire. Chacune constitue de fait un indispensable
maillon dans la trajectoire du compositeur.
Comme s’il avait longtemps été
intimidé par la figure tutélaire d’Olivier Messiaen, de huit ans son aîné,
Henri Dutilleux aura produit quasi autant du vivant de Messiaen qu’après sa
mort le 27 avril 1992 : après sept ans de mutisme, Dutilleux compose de
1997 à 2009 cinq œuvres qui sont autant de chefs-d’œuvre et qui représentent le
sixième de la totalité de sa création. Lorsque je lui demandais, en 1995,
pourquoi il mettait beaucoup de temps à composer, il me répondait,
laconiquement : « Je ne sais pas... Cela dépend. Il m’est arrivé
d’écrire vite. Je me disperse trop, j’écoute l’actualité, lis beaucoup, vais au
concert. J’aimerais aller plus souvent au cinéma, dont je raffole. » Qualifié
d’« indépendant », Dutilleux appartenait de fait à aucune école ni à
aucune obédience particulière. Nombreux sont aujourd’hui ceux qui se réclament
de lui, trop souvent pour de mauvaises raisons, tout comme ils le font avec
György Ligeti, comme s’il fallait absolument qu’il y ait un antidote au « poison »
que représente aux yeux (aux oreilles) de certains Pierre Boulez, certes pas
homme de réseaux mais qui a su quant à lui en créer lui-même pour le bien de ses jeunes
confrères.
En fait, fils d’imprimeur vouant
un amour profond pour le graphisme dans lequel il aimait à retrouver les beautés jusque
dans les partitions, Henri Dutilleux était un véritable artisan de la musique,
exigeant envers lui-même tant il désirait atteindre le plus haut degré de bel
ouvrage, au point d’être toujours en retard dans la livraison de ses œuvres, ce
que les commanditaires acceptaient sans trop rechigner. Très tôt, les plus
grands interprètes de son temps se sont intéressés à sa musique.
Photo : (c) Bruno Serrou
Signalons dès l’abord, qu’Erato-Warner
ne s’est pas contenté de reprendre dans ce nouveau coffret les enregistrements
disponibles jusqu’à présent dans le boîtier de trois CDs, à l’exception de Timbres, espace, mouvement, Mystère de l’instant, les Citations, Ainsi la nuit et Deux Sonnets
de Jean Cassou.
Deux ans après la publication de
l’Edition Dutilleux proposée par DG en six CDs, Warner-Erato présente la sienne
en sept CDs. Outre les interprètes, les deux coffrets, tous deux classés selon
les genres musicaux (œuvres pour orchestre, concertos, œuvres vocales, œuvres pour
piano, musique de chambre) se différencient par quelques absences dans l’un et
l’autre cas. Ainsi, s’il manque dans le coffret Erato les pièces pour piano Petit air à dormir debout et Mini prélude en éventail ainsi que six
mélodies pour voix et piano, il compte en revanche le ballet le Loup pour Roland Petit sur un
argument de Jean Anouilh et Georges Neveux et ses Fragments symphoniques. L’enregistrement du Loup permet de retrouver la voix de Jean Anouilh, en récitant. Même
si les deux coffrets proposent d’écouter les œuvres jouées par leurs créateurs,
celui d’Erato a l'avantage de rassembler des proches de Dutilleux. Ainsi la Symphonie n° 2 « le Double » dirigée par Charles Münch,
qui l’avait créée à Boston en 1959 alors qu’il était directeur musical de l’Orchestre
Symphonique de la capitale du Massachussetts, mais ici à la tête de l’Orchestre
des Concerts Lamoureux en 1965, le Loup
enregistré moins d’un an après sa création Théâtre de l’Empire par l’Orchestre
des Champs-Elysées dirigé par Paul Bonneau en 1954, tandis que les Fragments symphoniques en 1961 par l’Orchestre
de la Société des Concerts du Conservatoire et Georges Prêtre. Timbre, espace, mouvement (1977) est
dirigé par son commanditaire Mstislav Rostropovitch, dirigeant l’Orchestre
National de France, et que l’on retrouve au violoncelle dans le chef-d’œuvre de
Dutilleux dont il est aussi le commanditaire, le concerto pour violoncelle Tout un monde lointain, avec cette fois
l’Orchestre de Paris et Serge Baudo, qui avaient aussi participé à la création
de l’œuvre en 1970. Mystère de l’instant
pour vingt-quatre cordes, cymbalum et percussion (1986-1989) est aussi interprété
par ses commanditaires et créateurs, le Collegium Musicum Zürich et Paul
Sacher, à l’instar de The Shadow of Time
(1997), par le Boston Symphony Orchestra et Seiji Ozawa, que l’on retrouve dans
le Temps l’Horloge à la tête de l’Orchestre
National de France avec Renée Fleming, pour qui l’œuvre a été écrite. L’on a
également plaisir à retrouver Henri Dutilleux au piano pour accompagner le
baryton Gilles Cachemaille dans les Deux
Sonnets de Jean Cassou, ainsi qu’aux côtés de son épouse Geneviève Joy dans
les Figures de résonances pour deux
pianos, tandis que le diptyque les
Citations pour hautbois, clavecin, contrebasse et percussion (1985-1990)
réunit ses quatre créateurs, Maurice Bourgue, Huguette Dreyfus, Bernard
Cazauran et Bernard Balet.
Les autres pages d’orchestre ont
été enregistrées en 2013 par un excellent Orchestre de Paris dirigé avec allant
par Paavo Järvi (Symphonie n° 1, Métaboles, Sur le même accord, cette dernière avec le remarquable Christian
Tetzlaff en soliste), le concerto pour violon l’Arbre des songes moins
convaincant à cause de Renaud Capuçon et de Myung-Whun Chung avec un Orchestre
Philharmonique de Radio France pourtant en forme. Les Trois Strophes sur le nom de Sacher pour violoncelle seul permettent
de retrouver Truls Mørk poète et chaleureux. L’œuvre
pour piano dans laquelle Anne Queffelec semble chanter dans son jardin, la
musique de chambre permet de retrouver des enregistrements des années 1990-2000,
Ainsi la nuit par le Quatuor Sine
Nomine, la Sonatine pour flûte et piano par Emmanuel Pahud et Eric Le
Sage, la Sonate pour hautbois et piano
par Nicholas Daniel et Julius Drake, Sarabande et cortège pour basson et piano par
Marc Trénel et Pascal Godart, ce dernier rejoint par Daniel Breszynski dans Choral, cadence et fugato pour trombone
et piano. Un enregistrement commun aux coffrets DG et Erato, Correspondances
pour voix et orchestre par Barbara Hannigan, l’Orchestre Philharmonique de
Radio France et Esa-Pekka Salonen.
Au total, avec ce coffret et
celui de DG, le choix est difficile à établir, et il faut s’en féliciter, car
cela démontre combien Henri Dutilleux a su attirer à lui de très grands
interprètes qui ont adhéré pleinement à son univers, l’inscrivant autant dans l’histoire
de la musique occidentale tout en exacerbant l’esprit, le raffinement et la
couleur français qui sont l’essence de sa musique.
Bruno Serrou
Henri Dutilleux « The Centenary Edition » - 7 CD Erato 08
2564604798 7 (Warner Classics)
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