Paris. Philharmonie 1. Vendredi 18 décembre 2015
David Zinman. Photo : DR
Résident de la Philharmonie
depuis l’ouverture de cette dernière en janvier 2015, l’Orchestre Français des
Jeunes (OFJ) s’est produit vendredi pour la première fois en public dans la
grande salle de la Philharmonie 1. Première parisienne également pour le navire
amiral des orchestres de jeunes français, la présence à sa tête de son nouveau
directeur musical, l’immense chef américain David Zinman.
A 79 ans, le grand chef américain
David Zinman transmet son amour de la musique et son incomparable expérience
aux 98 musiciens de l’Orchestre Français des Jeunes. Forgeur d’orchestres de
réputation mondiale, David Zinman a accepté sans la moindre hésitation la
proposition que lui a faite l’Orchestre Français des Jeunes de le diriger pendant
deux ans. En août dernier, j’étais allé à leur rencontre en leur résidence au
Grand Théâtre de Provence d’Aix-en-Provence pour le quotidien La Croix (1), dont je reprends ici l’article
qui en est résulté.
L'Orchestre Français des Jeunes en répétitions sur le plateau du Grand Théâtre de Provence. Photo : (c) Orchestre Français des Jeunes
« Le fait que David Zinman
dirige l’Orchestre Français des Jeunes m’a incitée à me présenter au concours, s’enthousiasmait
Solvejg Madler, violoniste alsacienne de 24 ans élève du Conservatoire de
Fribourg-en-Brisgau. Je le connaissais de réputation, et j’avais très envie de
travailler avec lui. M. Zinman a un charisme incroyable, et j’apprends énormément
à son contact. » Depuis sa première session en 1982, l’Orchestre Français
des Jeunes (OFJ) a été dirigé par des chefs de renom comme Marek Janowski, Jesús López-Coboz,
Dennis Russell-Davies entre autres, mais jamais par un artiste de la trempe du
chef américain David Zinman. Ce musicien dans l’âme
qui fut l’assistant de Pierre Monteux, créateur du Sacre du printemps de Stravinski, est en effet l’un des plus grands
directeurs d’orchestre de notre temps. Son travail à la tête de la Tonhalle de
Zurich dont il a fait l’une des plus belles phalanges d’Europe l’atteste. Ses
interprétations séduisent par leur modération, le classicisme qu’il transmet aux
œuvres qu’il aborde, des plus simples aux plus complexes auxquelles il donne un
tour toujours clair et naturel. « Voulant faire à tout prix de l’orchestre,
peu importait qui allait diriger, reconnaît Guillemette Tual, contrebassiste
limougeaude de 20 ans qui vient d’entrer au CNSMD de Lyon. Lorsque j’ai vu
David Zinman pour la première fois, j’ai eu une appréhension qui m’a vite
quittée, percevant immédiatement chez lui une énergie vitale mue par ses
mouvements clairs et expressifs, ses indications du regard qui nous poussent
vers lui. Nous savons immédiatement où il veut aller. Il a aussi de l’humour et
il sait jouer de l’ellipse. Mais le plus important est qu’avec lui je ressens
plein d’émotions différentes. »
David Zinman dirigeant une répétition de l'Orchestre Français des Jeunes Grand Théâtre de Provence le 31 août dernier. Photo : (c) Bruno Serrou
Connaissant à fond le répertoire, Zinman
aime à transmettre son expérience et sa proximité avec les œuvres aux jeunes
musiciens. « J’ai dirigé pendant douze ans l’Orchestre des Jeunes d’Aspen
dans le Colorado où j’ai aussi fondé une académie de chefs d’orchestre. Les
orchestres comme l’OFJ m’ont toujours intéressé. Un jour, ce seront des
musiciens professionnels. Dans les orchestres constitués, les gens connaissent
la musique, mais ils connaissent aussi la routine. Avec les étudiants, il faut être
plus didactique, prendre du temps sur les fondamentaux comme le rythme,
l’intonation, le fait de jouer ensemble. Mais ils sont frais, neufs, et ils jouent
avec enthousiasme. Il faut du temps pour obtenir une unité. Mais ce sont de très
bons instrumentistes. » Zinman devrait diriger l’ONJ jusqu’en 2016, ce
dont se félicite Pierre Barrois, son directeur, qui rappelle que quatre vingt
onze pour cent des musiciens passés par l’ONJ sont devenus professionnels et
soixante pour cent sont titulaires dans des orchestres, français et étrangers.
Pour cette première prestation dans la
grande salle de concerts parisienne, l’Orchestre Français des Jeunes a largement réussi à
faire le plein des places. Mais, afin sans doute d’éviter que les fauteuils se vident
à l’entracte, le concerto programmé occupait la seconde partie de soirée. Il
faut dire que l’interprète et l’œuvre choisis sont en totale osmose, et ce depuis
longtemps.
David Zinman et l'Orchestre Français des Jeunes, à la Philarmonie de Paris vendredi 18 décembre 2015. Photo : (c) Bruno Serrou
Les pièces d’orchestre pur ont occupé donc
la première partie. C’est sur l’ouverture du Carnaval romain op. 9 d’Hector
Berlioz, aux répétitions de laquelle j’avais assisté en août dernier, que la jeune
phalange a commencé sa prestation avec une fringante énergie, titillée par un
David Zinman économe en gestes mais électrique et mutin, l’osmose conduisant à
mettre en exergue la subtilité et l’éclat de l’orchestration de Berlioz. Avec
la seconde pièce d’orchestre, les musiciens ont moins l’occasion de s’adonner à
la subtilité, mais peuvent en revanche de s’abandonner aux épanchements, à la virtuosité
et à la puissance, qui se fera parfois tellurique plutôt que tonitruante. Créées
à Philadelphie début 1941, les Danses
symphoniques sont la dernière partition d’orchestre de Serge Rachmaninov. Du
premier des trois mouvements, l’ONJ a exalté l’énergie, les rythmes trépidants,
subtilement ponctués par hautbois et clarinette solo qui ont parfaitement
restitué l’élan pastoral, tandis que le saxophone excellemment tenu par Maxime
Bazerque a établi la nostalgie qui imprègne la mélodie que le compositeur lui
réserve. Dans l’Andante, la valse a
permis au cor anglais d’exposer la plastique de ses sonorités. Ponctué de
citations macabres du Dies Irae, qui
aura hanté Rachmaninov sa vie durant et revient ici sous diverses formes
rythmiques et harmoniques, auquel fait ici écho un second thème religieux, tiré
cette fois de la liturgie orthodoxe, le dernier mouvement a été servi par les
musiciens de l’OFJ dans sa diversité sonore et expressive, se libérant
totalement de l’ample final au point de quasi saturer l’espace par la puissance
d’une orchestration massive amplifiée par une percussion tonitruante.
Nelson Freire. Photo : DR
Mais c’est dans la seconde partie que le
travail de ces jeunes musiciens encore élèves des conservatoires de régions a permis de démontrer l’excellence à la fois de leur talent et de l’enseignement musical des
institutions pédagogiques françaises. Il s’agissait pourtant d’un concerto pour
piano et orchestre. Le choix s’était néanmoins subtilement porté sur une
partition où le soliste, malgré la virtuosité extrême qui lui est réservée, est
traité comme un instrument de l’orchestre dans une forme symphonique avec
soliste obligé, puisque l’œuvre retenue a été le Concerto pour piano et orchestre n° 2 en si bémol majeur op. 83 de
Brahms. Si l’on peut regretter que Jean-Frédéric Neuburger, après leur
tournée franco-suisse commune en septembre dans la même œuvre, ainsi que la veille
à Aix-en-Provence, n’ait pas été retenu pour ce concert parisien, cela a permis
de retrouver Nelson Freire dans une partition dans laquelle il excelle. Sans prétendre
égaler l’enregistrement qu’il a réalisé avec le Gewandhausorchester dirigé par
Riccardo Chailly dans son intégrale des deux concertos de Brahms parue en 2007
(1), le pianiste brésilien a joué avec une fluidité, une transparence, un toucher
aérien, les doigts courant sur le clavier avec une vélocité déconcertante tout
en exaltant des sonorités pleines et charnues dans un nuancier infini, tel un
véritable poète.
David Zinman, Nelson Freire et l'Orchestre Français des Jeunes Philharmonie de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou
L’Orchestre Français des Jeunes lui a serti un environnement d’une
élégance et d’un panache digne d’un orchestre aguerri, dirigé avec onirisme par
David Zinman qui s’est avéré davantage qu’un partenaire de Nelson Freire, tant
la connivence entre les deux artistes est évidente, tandis qu’il soutenait
discrètement pour mieux les laisser s’exprimer librement les pupitres solistes
et les tuttistes de l’OFJ (les noms des titulaires ne sont pas communiqués dans
le programme autrement que dans l’ordre alphabétique, ce qui empêche de saluer nommément
la prestation de chacun !... à l’exception du saxophoniste dans Rachmaninov,
du premier violon, du trombone basse, du tubiste, du harpiste et de la pianiste.
Dommage), à commencer par la brillante violoncelliste Louise Rosbach qui a conversé en toute sérénité avec une tenue d’archet impressionnante et des timbres charnus
et velouté, rivalisant avec Nelson Freire de vélocité et d’élégance dans son magnifique duo
piano-violoncelle de l’Andante.
Maîtrise aussi du violon solo (Antoine Paul), des premier et troisième cors, de
la première flûte, de la première clarinette, du premier hautbois, du premier basson, du timbalier...
Bruno Serrou
1) Voir le quotidien La Croix daté jeudi 3 septembre 2015. 2)
2CD Decca
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