vendredi 18 décembre 2015

A Strasbourg, Patrizia Ciofi campe une poignante Traviata

Strasbourg. Opéra national du Rhin. Mardi 15 décembre 2015

Giuseppe Verdi (1813-1901), La Traviata. Patrizia Ciofi (Violetta Valéry), Roberto De Biasio (Alfredo Germont). Photo : (c) Alain Kaiser

La Traviata est l’un des opéras les plus célèbres et ressassés du répertoire lyrique. Chef-d’œuvre incontestable et incontesté, cet ouvrage créé à Venise en 1853 peut subir tous les traitements imaginables, il n’en perd pas pour autant son essence. Et c’est heureux, car sept ans tout juste après la remarquable proposition, ravageuse et décoiffante, de Christoph Marthaler au Palais Garnier, qui, en juin 2007, suscita certes la controverse - l’on se souvient de la tondeuse à gazon dans la ferme refuge de Violetta Valery et Alfredo Germont -, mais qui avait le mérite de chercher judicieusement à exalter la pérennité du drame inspiré de la Dame aux camélias d’Alexandre Dumas fils - la pute au grand cœur qui accepte son triste sort et se rachète dans la rédemption par l’amour - remarquablement mis en musique par Verdi, le metteur en scène allemand signant pour la circonstance une véritable mise en abîme du mythe de la mondaine au cœur pur qui n’avait cependant rien d’une actualisation stricto sensu.

Giuseppe Verdi (1813-1901), La Traviata. Patrizia Ciofi (Violetta Valéry) dans le Brindisi. Photo : (c) Alain Kaiser

A Strasbourg, la nouvelle production de La Traviata que présente en ce mois de décembre l’Opéra national du Rhin retourne à la tradition héritée du XIXe siècle, tout en donnant dans la simplicité et le dépouillement. Respectueux de la volonté de Verdi qui entendait placer l’action de son opéra à l’époque de la composition, donc contemporaine de la genèse de l’œuvre, avec belles robes à crinolines, fraques et hauts-de-forme signés il est vrai Christian Lacroix, Vincent Boussard réalise une mise en scène qui va à l’essentiel et qui s’avère efficace. Dans le large espace ménagé par le décor de Vincent Lemaire, le metteur en scène déploie l’action autour et sur un piano à queue qui aurait pu appartenir à Verdi, tandis qu’un volumineux miroir déformant augmente le champ de l’action et déforme plus ou moins les silhouettes. 

Giuseppe Verdi (1813-1901), La Traviata. Patrizia Ciofi (Violetta Valéry), Etienne Dupuis (Giorgio Germont). Photo : (c) Alain Kaiser

Chanteurs et choristes peuvent ainsi s’y déployer avec naturel, et s’investir sans réserve dans leurs rôles. Patricia Ciofi, qui connaît intimement les arcanes de l’âme de Violetta Valeri, qu’elle a chanté plus d’une centaine de fois sur toutes les scènes du monde, est une Traviata d’une vérité et d’une densité confondante. Voix limpide et luxuriante, timbre lumineux, vocalité d’une tenue impeccable, la soprano colorature italienne s’impose dès sa première réplique, son incarnation allant crescendo jusqu’à une scène de la mort d’anthologie, qui fait oublier le fait qu’elle expire sur le coffre d’un piano. A ses côtés, l’Alfredo de Roberto De Biasio n’a pas la même envergure, la voix moins sûre et le timbre moins uni, mais il fait un amoureux crédible et plutôt viril dans sa faiblesse. Mais le plus impressionnant est le remarquable Giorgio Germont d’Etienne Dupuis, voix ample de baryton au timbre de bronze, qui donne à ce personnage peu glorieux noblesse et humanité. L’excellente Lamia Bauque (Flora) et Dilan Aryata (Annina) complètent parfaitement la distribution féminine, tandis que leurs comparses masculins (Mark Van Arsdale, Francis Dudziak, Jean-Gabriel Saint-Martin et Kyungho Lee) convainquent par leur homogénéité vocale, seul René Schirrer, docteur Grenvil bienveillant, atteste d’une fatigue vocale, moins cependant que dans la Damnation de Faust lyonnaise où il chantait Brander en octobre dernier, tandis que le Chœur de l’Opéra de Strasbourg ne suscitent aucune réserve. 

Giuseppe Verdi (1813-1901), La Traviata. Patrizia Ciofi (Violetta Valéry), Etienne Dupuis (Giorgio Germont), Roberto De Biasio (Alfredo Germont). Photo : (c) Alain Kaiser

Dans la fosse, Pier Giorgio Morandi, qui dirigera Rigoletto à l’Opéra-Bastille le printemps prochain, sollicite avec énergie et un sens aigu de la couleur qui atteste une réelle connaissance du style verdien, l’Orchestre philharmonique de Strasbourg est à la fois sans défaut et nuancé, soutenant et enveloppant les voix sans jamais les couvrir.

Bruno Serrou

A Strasbourg (Opéra) jusqu’au 29 décembre 2015 ; à Mulhouse (la Filature) les 8 et 10 janvier 2016. www.operanationaldurhin.eu. A noter que dans le rôle de Violetta Valéry Patrizia Ciofi alterne avec Ana-Camelia Stefanescu

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire