Strasbourg. Opéra national du Rhin. Mardi 15 décembre 2015
Giuseppe Verdi (1813-1901), La Traviata. Patrizia Ciofi (Violetta Valéry), Roberto De Biasio (Alfredo Germont). Photo : (c) Alain Kaiser
La Traviata est l’un des opéras les
plus célèbres et ressassés du répertoire lyrique. Chef-d’œuvre incontestable et
incontesté, cet ouvrage créé à Venise en 1853 peut subir tous les traitements
imaginables, il n’en perd pas pour autant son essence. Et c’est heureux, car
sept ans tout juste après la remarquable proposition, ravageuse et décoiffante,
de Christoph Marthaler au Palais Garnier, qui, en juin 2007, suscita certes la
controverse - l’on se souvient de la tondeuse à gazon dans la ferme refuge de
Violetta Valery et Alfredo Germont -, mais qui avait le mérite de chercher
judicieusement à exalter la pérennité du drame inspiré de la Dame aux camélias d’Alexandre
Dumas fils - la pute au grand
cœur qui accepte son triste sort et se rachète dans la rédemption par l’amour -
remarquablement mis en musique par Verdi, le metteur en scène allemand signant pour la
circonstance une véritable mise en abîme du mythe de la mondaine au cœur
pur qui n’avait cependant rien d’une actualisation stricto sensu.
Giuseppe Verdi (1813-1901), La Traviata. Patrizia Ciofi (Violetta Valéry) dans le Brindisi. Photo : (c) Alain Kaiser
A Strasbourg, la nouvelle production de La Traviata que présente en ce mois de
décembre l’Opéra national du Rhin retourne à la tradition héritée du XIXe
siècle, tout en donnant dans la simplicité et le dépouillement. Respectueux de
la volonté de Verdi qui entendait placer l’action de son opéra à l’époque de la
composition, donc contemporaine de la genèse de l’œuvre, avec belles robes à
crinolines, fraques et hauts-de-forme signés il est vrai Christian Lacroix,
Vincent Boussard réalise une mise en scène qui va à l’essentiel et qui s’avère
efficace. Dans le large espace ménagé par le décor de Vincent Lemaire, le
metteur en scène déploie l’action autour et sur un piano à queue qui aurait pu
appartenir à Verdi, tandis qu’un volumineux miroir déformant augmente le champ
de l’action et déforme plus ou moins les silhouettes.
Giuseppe Verdi (1813-1901), La Traviata. Patrizia Ciofi (Violetta Valéry), Etienne Dupuis (Giorgio Germont). Photo : (c) Alain Kaiser
Chanteurs et choristes peuvent
ainsi s’y déployer avec naturel, et s’investir sans réserve dans leurs rôles.
Patricia Ciofi, qui connaît intimement les arcanes de l’âme de Violetta Valeri,
qu’elle a chanté plus d’une centaine de fois sur toutes les scènes du monde, est
une Traviata d’une vérité et d’une densité confondante. Voix limpide et luxuriante,
timbre lumineux, vocalité d’une tenue impeccable, la soprano colorature
italienne s’impose dès sa première réplique, son incarnation allant crescendo
jusqu’à une scène de la mort d’anthologie, qui fait oublier le fait qu’elle
expire sur le coffre d’un piano. A ses côtés, l’Alfredo de Roberto De Biasio n’a
pas la même envergure, la voix moins sûre et le timbre moins uni, mais il fait
un amoureux crédible et plutôt viril dans sa faiblesse. Mais le plus
impressionnant est le remarquable Giorgio Germont d’Etienne Dupuis, voix ample de
baryton au timbre de bronze, qui donne à ce personnage peu glorieux noblesse et
humanité. L’excellente Lamia Bauque (Flora) et Dilan Aryata (Annina) complètent
parfaitement la distribution féminine, tandis que leurs comparses masculins (Mark
Van Arsdale, Francis Dudziak, Jean-Gabriel Saint-Martin et Kyungho Lee) convainquent
par leur homogénéité vocale, seul René Schirrer, docteur Grenvil bienveillant, atteste
d’une fatigue vocale, moins cependant que dans la Damnation de Faust lyonnaise où il chantait Brander en octobre
dernier, tandis que le Chœur de l’Opéra de Strasbourg ne suscitent aucune
réserve.
Giuseppe Verdi (1813-1901), La Traviata. Patrizia Ciofi (Violetta Valéry), Etienne Dupuis (Giorgio Germont), Roberto De Biasio (Alfredo Germont). Photo : (c) Alain Kaiser
Dans la fosse, Pier Giorgio Morandi, qui dirigera Rigoletto à l’Opéra-Bastille le printemps prochain, sollicite avec énergie
et un sens aigu de la couleur qui atteste une réelle connaissance du style
verdien, l’Orchestre philharmonique de Strasbourg est à la fois sans défaut et
nuancé, soutenant et enveloppant les voix sans jamais les couvrir.
Bruno Serrou
A Strasbourg (Opéra) jusqu’au 29
décembre 2015 ; à Mulhouse (la Filature) les 8 et 10 janvier 2016. www.operanationaldurhin.eu. A noter que dans le rôle de Violetta Valéry Patrizia Ciofi alterne avec Ana-Camelia Stefanescu
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