Colmar. Théâtre Municipal. Opéra du Rhin. Mercredi 16 décembre 2015
Ermano Wolf-Ferrari (1876-1948), Cendrillon. Camille Tresmontant (le Prince), Francesca Sorteni (Cendrillon). Photo : (c) Alain Kaiser
Aujourd’hui négligé, Ermano Wolf-Ferrari
(1876-1948) a été de son vivant l’un des compositeurs italiens les plus joués dans
le monde. Né et mort à Venise, enfant d’une mère italienne et d’un père allemand,
il se destinait à la peinture, à l’instar de son père, art qu’il étudia à
Venise puis à Rome, avant de se décider à se perfectionner à Munich, où il optera
finalement pour la composition. Pour ce faire, il devint l’élève de Josef
Rheinberger. A l’âge de 19 ans, il retourne à Venise où il devient chef de chœur
et rencontre Giuseppe Verdi et Arrigo Boito. Auteur d’une quinzaine d’opéras,
le premier composé en 1895 mais resté inédit, le dernier en 1943 pour l’Opéra
de Hambourg, il a également laissé des pages purement instrumentales, notamment
un Concerto pour violon et autres
pièces pour orchestre, de la musique de chambre, essentiellement pour cordes avec
ou sans piano, et de la musique vocale. Parmi ses œuvres scéniques, la plus connue
est le Secret de Suzanne sur un texte
original d’Enrico Golisciani créé en 1909 à l’Opéra de Munich, et, à un moindre
degré, les Quatre Rustres d’après
Carlo Goldoni créé en 1906 déjà à l’Opéra de Munich, ainsi que Sly d’après William Shakespeare dont la
première a été donnée à la Scala de Milan en 1927.
Ermano Wolf-Ferrari (1876-1948), Cendrillon. Coline Dutilleul (la Marâtre), Francesca Sorteni (Cendrillon), Gaëlle Alix (Javotte), Rocio Pérez (Anastasie). Photo : (c) Alain Kaiser
L’Opéra Studio de l’Opéra national
du Rhin, sous l’impulsion de son directeur musical Vincent Monteil, qui, comme
chaque année à pareille époque, propose un spectacle pouvant être vu en famille,
a porté son dévolu sur le premier des opéras de Wolf-Ferrari à avoir été porté
à la scène, Cenerentola. Créé à la
Fenice de Venise dans le cadre du Carnaval le 22 février 1900 sur un livret de
Maria Pezze-Pascolato d’après la Cendrillon
de Charles Perrault, cet ouvrage en trois actes a eu du mal à s’imposer. La
première a été un cuisant échec, au point de susciter la détresse de son jeune auteur.
Il en fut si blessé qu’il quitta Venise pour s’installer à Munich, et rédigea
une nouvelle version de son « conte de fées musical » dès 1902, en
allemand, qu’il donna à Brême, où l’œuvre connut cette fois le succès.
Pourtant, en 1937, Wolf-Ferrari s’attelle à une troisième mouture, mais sur un
livret complété par Franz Rau qui se détourne de Perrault au profit des frères
Grimm. L’opéra adopte alors le nom germanisé de Cendrillon, Aschenbrödel.
Ermano Wolf-Ferrari (1876-1948), Cendrillon. Francesca Sorteni (Cendrillon). Photo : (c) Alain Kaiser
C’est dans une adaptation en français
réalisée par Vincent Monteil, qui concentre le conte en soixante-quinze
minutes, et avec un orchestre en formation réduite que l’Opéra Studio de l’Opéra
du Rhin a choisi de donner la création française de cet ouvrage. Réalisé par le
Britannique Douglas Victor Brown, l’arrangement de la partition de Wolf-Ferrari
requiert une formation de neuf instrumentistes tous les pupitres (flûte,
hautbois, clarinette, cor, violon I, violon II, alto, violoncelle) étant par
un. Si au cours de son évolution le style de Wolf-Ferrari se situe à
mi-chemin du vérisme et de l’atonalité, ses vrais modèles resteront du début à
la fin Mozart, Rossini et le Verdi de Falstaff.
C’est bien sûr à Rossini que l’on pense dans cette Cendrillon, bien que le caractère de l’œuvre soit beaucoup plus
noir et rude, voire violent, que celui de la
Cenerentola. De quoi en tout cas effrayer le plus jeune public, du moins
celui du temps de la genèse de l’œuvre et des générations suivantes, car celui
d’aujourd’hui a, de toute évidence, la peau et le cœur beaucoup plus endurcis,
à en juger du moins des réactions du public plus ou moins bruyant de la
représentation de ce mercredi après-midi à Colmar.
Ermano Wolf-Ferrari (1876-1948), Cendrillon. Francesca Sorteni (Cendrillon). Photo : (c) Alain Kaiser
A la demande de la metteuse en
scène Marie-Eve Signeyrole, un certain nombre de sons ont été ajoutés, comme
celui d’un électrophone et d’un disque crissant, ou celui d’une voix perçant à
travers un microphone plein de larsen, de bruits de rue et, surtout, celui d’une
guitare électrique grattée par l’un des protagonistes peu inspiré. Car, pour « actualiser »
l’action ou plutôt pour l’intégrer dans un contexte historique plus
contemporain que celui du conte, le cadre de cette Cendrillon est le Berlin des années 1960, celui de la Guerre froide.
Marie-Eve Signeyrole reconnaît s’être inspirée d’un fait réel, une histoire d’amour
de deux adolescents, l’une vivant à Berlin-Est, l’autre à Berlin-Ouest.
Refusant la fatalité, ce dernier décide de se joindre à d’autres pour creuser
un tunnel sous le mur afin de rejoindre la première.
Ermano Wolf-Ferrari (1876-1948), Cendrillon. Coline Dutilleul (la Marâtre), Francesca Sorteni (Cendrillon), Gaëlle Alix (Javotte), Rocio Pérez (Anastasie). Photo : (c) Alain Kaiser
Le postulat de la
dramaturgie, dont l’essentiel se situe dans des chambres, « royaumes des
adolescents », est de susciter le doute entre rêve et réalité. Ce contexte
historique permet de rendre plus épouvantable le conte que l’original, ajoutant
au fantastique tout en lui donnant pour finir la banalité du quotidien en
concluant sur une phrase anodine de Cendrillon, qui, retrouvant le prince après
avoir rampé dans le tunnel de la liberté, ne trouve rien d’autre à lui dire que
« Figure-toi, je n’ai même pas déchiré mes collants ! » Sombre
et grise, la scénographie de Fabien Teigné permet métamorphoses et projections,
qui, sur un décor tournant sur lui-même, situent l’action dans divers cadres ou
autorisent des simultanéités sans interrompre le développement du conte, donné
dans sa continuité.
Ermano Wolf-Ferrari (1876-1948), Cendrillon. Camille Tresmontant (le Prince), Francesca Sorteni (Cendrillon). Photo : (c) Alain Kaiser
Les jeunes interprètes -
chanteurs et instrumentistes - forment une troupe homogène et convaincante,
tant ils jouent tous avec conviction. Malgré son fort accent italien qui
détonne en français pour un personnage allemand, la soprano italienne Francesca
Sorteni est une Cendrillon fougueuse et généreuse qui touche et séduit, d’autant
que sa voix est ronde et assurée. La mezzo-soprano belge Coline Dutilleul est
une marâtre à la fois revêche, opiniâtre et troublante, la soprano espagnole
Rocio Pérez et la soprano française Gaëlle Alix rivalisent de charme avec leur
demi-sœur tout en s’avérant odieuses sans pour autant surcharger le trait.
Ermano Wolf-Ferrari (1876-1948), Cendrillon. Camille Tresmontant (le Prince), Francesca Sorteni (Cendrillon). Photo : (c) Alain Kaiser
Côté
hommes, le ténor français Camille Tresmontant est un prince un peu allumé à la
voix sûre et bien timbrée, tandis que ses comparses (le baryton mexicain Emmanuel
Franco, le baryton-basse polonais Jaroslaw Kitala et la basse suisse Nathanaël
Tavernier) forment une joviale équipe. Dans la fosse, Vincent Monteil dirige
avec allant ses jeunes instrumentistes du Conservatoire de Strasbourg et de l’Académie
supérieure de musique de Strasbourg-Hear qui constituent l’Ensemble orchestral
de l’Académie supérieure de musique et du conservatoire.
Bruno Serrou
La production est donnée le 18
décembre à Colmar, puis reprise à Strasbourg (Cité de la Musique et de la
Danse) du 9 au 17 janvier, et à Mulhouse (La Sinne) du 29 au 31 janvier. www.operanationaldurhin.eu
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire